Pour commencer, une chose à noter. Vous avez sans doute déjà beaucoup entendu parler du contenu de grande qualité de ce DLC. Au delà d'un certain problème de recyclage toujours un peu présent (mais beaucoup moins que dans le jeu de base), je suis tout à fait d'accord. Mais je voulais plutôt parler ici deux principes centraux dans le game design de From Software, autrefois complémentaires dans les Souls et devenus contradictoires dans Elden Ring, dont le DLC accentue encore la dichotomie. Alors que Shadow of the Erdtree pousse toujours plus loin le challenge, cette philosophie semble pourtant de moins en moins adaptée à la proposition d'un titre centrée autour de la liberté dans la progression du joueur, de son personnage comme dans l’exploration.

Pourtant, fût un temps, ces deux aspects n'en faisaient qu'un et étaient au cœur de ce qu'était Dark Souls. Le joueur pouvait faire évoluer son personnage comme il l'entendait, mais devait assumer ses choix sans possibilités de retour. L'exploration était libre, mais souvent hasardeuse comme risquée, avec des traversées tarabiscotées et sans checkpoint, risquant de vous faire perdre une partie de votre progression. Tiraillant toujours le joueur entre rentrer au feu de camp et pousser toujours plus loin, elle représentait aussi la possibilité d'améliorer son personnage et de trouver l'objet qui pourrait enfin mettre à bas le boss. Ces derniers formaient quant à eux un pic de difficulté, mais pas incommensurable: la plupart repose plus sur la technique à trouver que sur des réflexes surhumains, et tous les builds pouvaient s'y atteler sans trop de soucis. D'ailleurs, si vous demandez à quelqu'un quelle était la partie la plus difficile de Dark Souls, je pense qu'il y a autant de chances qu'il vous réponde un boss qu'une zone, il n'y avait pas de grand écart entre les deux. La difficulté venait apporter du poids à vos nombreuses décisions sur votre manière de jouer, et ce dans l'intégralité du titre.

Alors bien sûr, tout n’était pas parfait: Certains builds et les invocations pouvaient simplifier les affrontements au point de ne pas avoir à retenir un seul pattern, ou on pouvait complètement bloquer sa progression si on faisait pas attention. C'est bien pour ça que quand from software a décidé d'y aller à fond sur le challenge et les boss, la formule a changé. Sekiro n'a pas de builds et sa structure est linéaire. Ces sacrifices permettent au jeu d'offrir des boss variés parfaitement adaptés à la progression du joueur et aux capacités de Loup. C'est pourquoi on trouve les meilleurs boss pondus par le studio, qui savent toujours comment jouer avec les nouvelles mécaniques qui impliquent bien plus le joueur dans la mêlée. La parade et la posture, remplaçant la roulade et l'endurance, viennent dynamiser des combats où l'on est toujours actif: alors que Dark Souls nous envoie des géants aux combos inébranlables, interrompre et dicter son rythme et aussi utile que maîtriser la parade, qui permet d'affaiblir l'adversaire sans donner un coup. En résulte des combats exigeants, rafraîchissants et toujours justes, dans ce qui est sans doute l'expérience de fromsoft la plus maîtrisée à ce jour.

Elden Ring, son DLC compris, a pris le chemin inverse. Plus d'options, plus de libertés, et même plus d'accessibilité, dans le même écrin que celui des Souls. Mais, Souls oblige, il faut que ce soit dur. Pour tout le monde de surcroît, et vu qu'on sait pas le build que le joueur choisira, on prend le design qui sera un peu chiant pour le plus de joueurs possible: la toupie. La toupie va vite, saute un peu de tout les côtés et a du mal à s'arrêter. La plupart des boss de ce DLC, avec quelques exceptions, tombent dans cette catégorie. Les fenêtres d'opportunité pour frapper sont limitées et le timing doit être impeccable, parce que le one tap est jamais loin, et ne pensez pas que vous aurez trois minutes pour vous soigner. Ils ressemblent à une partie de ceux de Sekiro, mais sans possibilités de les interrompre et sans déviation permettant de progresser rien qu'en évitant les coups (oui, il y a la parade, mais c'est une option franchement peu viable). Alors oui, j'ai trouvé ça dur, mais aussi un peu pénible, surtout quand les problèmes de caméra s'en mêlent (le boss final et ses attaques qui se calent entre la caméra et le joueur...), en plus de limiter quand même pas mal les possibilités de builds. L'incapacité de construire quelque chose de varié et de difficile pour tous provoque deux autres problèmes. Le premier, c'est que les options alternatives pensées par le studio sont un peu insatisfaisantes selon moi. Les invocs et la magie facilitent la tâche mais poussent à désengager le combat avec les boss. Dans un jeu où ils ne réagissent déjà pas beaucoup à l'action du joueur, cette dernière parait ainsi encore plus déconnectée. Enfin, et c'est peut être là le plus gros problème, c'est la répétitivité. Même pour les boss que je considère être bons et biens équilibrés, j'en avais un peu marre. Combien de gonzes à grosses épées on a vu passer ? Les pattern changent, mais la tactique reste la même. Comme évoqué plus haut, c'est moins le cas dans Dark Souls où les combats étaient plus différenciés et la philosophie de la difficulté différente. Mais quand on doit concevoir un ennemi sans certitude sur les capacités du joueur, offrir plus de variété est extrêmement difficile. Je crois qu'on a un peu vu le bout de ce design de combat qui donne un peu l'impression d'être une guêpe qui tourne autour d'un ours qui a piqué le miel.

Ce qu'il y a de plus étrange, dans cette philosophie de la difficulté, c'est qu'elle a quasiment disparue en dehors des salles de boss. Tout a été fait pour faciliter la progression, parfois même trop, comme quand le jeu vous balance un tuto bien peu subtil avant de rencontrer un nouvel ennemi. Au delà de ça, les checkpoints sont très nombreux, le level design est si limpide que se perdre est impossible et si on peu encore perdre ses runes de temps en temps, on est loin de la suée quand on pense au run de récupération (d'autant plus que la progression se fait par d'autres moyens dans le DLC). On retrouve quelques principes d’antan, par exemple dans l'accès caché de certains lieux et régions (très sympas à rechercher d'ailleurs) et dans quelques rencontres plus ardues, mais globalement l'exploration n'a que peu de tension, et s'apparente plutôt à une fouille systématique des lieux. En revanche, cela reste ici que le jeu brille encore le plus avec toutes les qualités qu'on lui connaît en terme de level design, dont la clarté ne l'empêche pas d'être très bon. Par ailleurs, tous les builds ont leur place, on peut profiter des armes et expérimenter des styles de jeu très sympas dont on ressent bien plus l'impact dans les situations variées qu'offre l'expansion plutôt que chez les boss (même si la limite liée à l'amélioration des armes est toujours là).

Elden Ring, et a fortiori son DLC qui, tout en offrant un contenu de qualité, aggrave les contradictions du jeu de base, sont des titres à la croisée des chemins. Il est clair pour moi que l'explosion des choix offerts au joueur depuis les souls a impacté la capacité de fromstoft à créer des boss à la fois mémorables et offrant un challenge digne de la réputation du studio, les laissant trop souvent tomber dans la fosse des zinzins tourbillonnants. Aussi, par préférence personnelle, j'aimerais un peu qu'on s'éloigne des roulades et des systèmes d'endurance qu'on voit depuis maintenant 15 ans. Pour la suite, les possibilités sont nombreuses: tenter de recoller les morceaux en adaptant la formule plus en profondeur, brider les choix de progression pour offrir une expérience plus millimétrée comme cela a déjà été fait, ou au contraire, embrasser la souplesse, laisser le joueur s'adapter à toutes les situations et ainsi se libérer des contraintes liées aux builds par l'autre côté, quitte à sacrifier un peu de challenge au passage. Il y a sans doute un tas d'autres idées plus pertinentes, mais en tout cas, c'est l'immobilisme qui sonnerait le glas de la formule. Étant donné le passif du studio, j'ai quand même bon espoir.

val990
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