Auréolé d'une popularité jamais vue pour un jeu From Software, Elden Ring est largement considéré comme le Souls-like le plus facile d'accès du marché : ce sont non seulement les vétérans qui l'affirment (j'en fais partie), mais aussi les joueurs eux-mêmes, avec un taux d'obtention du "trophée Platine" (quel que soit le support) de 10%, ce qui est extrêmement élevé pour un jeu de ce genre. Hidetaka Miyazaki, avec Elden Ring, a ainsi rempli sa mission démocratiser le Souls-like vers plus grand nombre. Mais a-t-il changé pour autant au fond de lui ? On se doute bien que non ; une bonne partie du contenu optionnel et même end-game standard d'Elden Ring, ultra-velu, s'était d'ailleurs chargé de le rappeler à des joueurs moins expérimentés qui, arrivés à ce stade de la partie, n'ont eu d'autre choix que d'user et d'abuser des invocations et aides extérieures pour venir à bout d'un titre particulièrement hostile dans ses derniers mètres. "Simple à appréhender, difficile à maîtriser."


Mais les mêmes joueurs (dont je fais toujours partie) n'auraient-ils pas eu la mémoire courte en s'ébaubissant sur Shadow of the Erdtree ? N'auraient-ils pas oublié, tout à leur excitation, que Miyazaki aime les extensions de ses jeux comme ses cafés du matin : froids, intenses et sans eau ? N'avons-nous pas collectivement fait l'autruche en évitant de repenser aux DLC de la trilogie Dark Souls, que seule une minorité d'élus a pu terminer parmi les déjà bien vénères victorieux des jeux de base ? Nous voilà donc, comme prévu par leur superviseur et comme logiquement annoncé par l'historique des extensions des jeux From Software, face à une expérience toute simple : plutôt qu'une extension de l'univers d'Elden Ring, Shadow of the Erdtree est une extension du test de la patience du joueur. Les champs de neige consacrés ? Elphael ? Malenia ? Le géant de feu ? Ces petites merdouilles pitoyables ? Pauvres, pauvres ignorants, vous trouviez ça dur ? Shadow of the Erdtree n'est pas là pour prolonger l'expérience du jeu original : il est là pour fister son public à grands coups d'obélisque. C'est la raison d'être des DLC From Soft. C'est la raison d'être de celui-ci. C'est parfaitement logique, et nous sommes bien naïfs de nous en étonner.


Ceux qui s'intéressent à cette extension le savent probablement, mais il faut déjà noter que Shadow of the Erdtree n'est concrètement accessible qu'en end-game. Bien qu'il soit factuellement "ouvert" plus tôt (mais pas tant que ça non plus : battre Mohg, l'une des conditions d'accès, n'est pas à la portée d'un personnage tout frais), son réalisateur recommande en effet d'avoir atteint le niveau 150 avant de s'y lancer, ce qui correspond grosso modo (je dis bien : grosso modo) au fait d'avoir intégralement poncé le jeu de base, d'avoir rousté tous ses boss et looté toutes ses régions. C'est ainsi qu'il faut voir l'extension comme un nouveau monde d'un niveau de difficulté supérieur au jeu de base, qui rendrait "obsolète" ce dernier, le trivialiserait, si d'aventure on décidait d'y revenir après avoir fait l'extension. Or, cela tombe bien : l'extension est si difficile qu'on a de toute façon intérêt à avoir ramoné le jeu de base pour arriver directement avec le personnage le plus puissant possible. Les joueurs expérimentés pourraient songer à tenter l'aventure dans des NG+ peu avancés, connus dans le jeu de base pour être d'une facilité dérisoire ; mais là encore, Miyazaki, en embuscade, a pensé à tout en imposant un scaling du DLC très énervé qui rendrait toute tentative de duperie totalement vaine (en gros, les échos qui nous parviennent actuellement des joueurs de SotE en NG+ sont qu'il est à peu près impossible de gagner).


L'extension a donc beau offrir, toujours d'après Miyazaki, une durée de vie de 40 heures, la plupart des joueurs au talent "standard" mettront ce temps-là pour atteindre le tiers de l'aventure ; car, contrairement au jeu de base, SotE n'autorise pas le "cheesing", ou du moins très rarement. Si Elden Ring a toujours été totalement ouvert à l'idée que l'on parcoure tout son monde en compagnie d'autres joueurs pétés et d'invocations en +10, en accordant en plus une large part au backtracking permettant de laisser les boss trop difficiles pour y revenir plus tard, SotE voit les choses très différemment, puisque son très haut niveau de difficulté, lui-même renforcé par un scaling de la puissance des boss jouant beaucoup moins en faveur des joueurs que dans le contenu de base, rendra caduque toute tentative de contournement de ses affrontements. Il n'y aura ici pas d'autre solution qu'apprendre, seul ou en groupe, les patterns des boss, de les contrer intelligemment et avec les bons timings, sans possibilité de se soustraire à la lutte d'une manière ou d'une autre. Bref, il va falloir sérieusement "git gud".


La question sera donc : comment faire pire que le end-game facultatif de Elden Ring ? From Soft a la réponse : en foutant partout des boss immondes. Si les premiers peuvent être considérés comme "juste" durs, les hostilités commenceront sérieusement à partir d'un certain Messmer (quatrième dans l'ordre suggéré par les guides, sur 14 boss majeurs) qui marque l'ouverture d'une fête du slip sans fin. One-shots à 50 de vigueur, téléportations, attaques délayées, particules aux quatres coins de l'écran, mouvements erratiques pour tromper la vigilance du joueur, rien ne sera épargné par les boss designers pour faire manger leur dents à ceux qui croyaient avoir maîtrisé le jeu de base. Il y aura, il y a déjà certaines personnes très douées pour plier le DLC à une vitesse record, mais le commun des mortels (celui ayant platiné le jeu en faisant donc preuve d'un talent raisonnable) n'aura pour seule alternative que de pleurer des larmes de fiel en apprenant par cœur les phrases de présentation des boss tout en se retenant très fort de ne pas balancer leur manette à travers l'écran au bout du dixième évidage d'entrailles à peine la porte dorée franchie.


Pourquoi tout ce temps à parler de la difficulté ? Car c'est un point sur lequel SotE se distingue radicalement comparé au jeu de base. De la même façon, finalement, que les boss supplémentaires de DSII ou que la Ringed City de DSIII. Et c'est, quelque part, ce qu'on voulait. Nombreux sont déjà ceux à déjà porter aux nues cette extension qui donne factuellement aux fans les plus hardcore ce qu'ils voulaient, d'autant que l'écrin ne démérite pas. From Software n'a en effet pas oublié les amoureux de l'exploration qui doivent aussi constituer l'intégralité de leur fan-base, et ont donc pondu une grande aire ouverte d'une qualité de conception totalement invraisemblable. Non contente d'être artistiquement belle à chialer en toutes circonstances, avec des panoramas sublimes, des couleurs d'une rare élégance et des reliefs accidentés, ruines et autres châteaux lugubres aux tronches pas possibles, cette extension aligne les morceaux de bravoure en termes de level design, avec une alternance très naturelle entre plaines, extérieurs vertigineux, intérieurs claustrophobiques, zones labyrinthiques, forêts, villes, églises, bibliothèques, mausolées, marais et tutti quanti, le tout donc emballé dans le même papier cadeau de verticalité et de bizarrerie qui animait déjà Elden Ring et qui fait, encore une fois, qu'on passe son temps à regarder autour de soi pour inspecter le moindre recoin de décor.


En termes de superficie, de level design et d'inspiration artistique au sens large, SotE ne ment pas sur les 40 euros demandés : s'ils peuvent faire un peu peur au premier abord, c'est surtout qu'ils correspondent finalement au prix d'une extension, et non d'un DLC. Dans un monde moderne où gouvernent season pass, microtransactions et bonus de précommande, une telle offre est devenue rarissime mais From Software arrive à point nommé pour prouver à quel point elle est nécessaire. Shadow of the Erdtree est un peu un Elden Ring 1.5 qui n'a pas fini de surprendre par son immensité, ses secrets, ses strates horizontales et verticales, qui semblent s'empiler sans fin du plus profond de la terre au plus haut des cieux, du plus lointain horizon escarpé à la plus proche ruine cachée à flanc de falaise ; c'est un contenu qui rajoute un monde au monde. En dépit de menus soucis de performance qui seront probablement corrigés (et ne sont de toute façon pas bien gênants), le choc est puissant de retrouver, deux ans après, le jeu tel qu'on l'avait quitté, enrichi de nouvelles zones et de nouveaux boss pour un standing de qualité globalement identique au jeu original, voire parfois supérieur dans les audaces de level design complètement dingues que réservent certains passages.


Mais du coup, pourquoi pas 8 ? Eh bien, car à l'image des précédents contenus additionnels de jeux Souls, SotE, j'en suis convaincu, ne sera terminé que par une minorité de joueurs. La majorité, elle, lâchera l'affaire bien avant la fin, terrifiée par la méchanceté sans nuance d'une adversité devenue impitoyable, freinée par l'impossibilité de continuer à monter en puissance, par le côté désormais stationnaire de la force de son personnage, qui ne pourra s'en remettre qu'à sa seule persévérance, parfois au-delà de la limite du masochisme, pour tomber des obstacles devenus, officiellement, infranchissables. Sans doute aussi que l'exploration, aussi stimulante qu'elle soit, peut être remise en question dans son intérêt intrinsèque quand la quasi-intégralité du loot est devenue inutile, (presque) rien de ramassable ne pouvant, à ce stade de la partie, contribuer à faciliter les choses. Le fait est qu'on s'en fout bien, qu'on se promène, encore, ébahi par tant de beauté, par tant de violence. Mais plus que dans Elden Ring, il vaut mieux savoir dans quoi on met vraiment les pieds avec Shadow of the Erdtree.

boulingrin87
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le 25 juin 2024

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Seb C.

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