F1 2020
7.8
F1 2020

Jeu de Codemasters (2020PlayStation 4)

Bonne simu, mauvais jeu (…ou comment F1 2020 a alimenté ma réflexion sur les simus sportives).

Tiens, une critique sur F1 2020… Pondue en 2023 ?
…Mais pourquoi, vous demanderiez-vous peut-être ?
Les F1 c’est comme les FIFA, ce sont de vrais pièges à cons : y en a un qui sort tous les ans avec comme seul apport par rapport au précédent épisode que de simples changements comestiques totalement anecdotiques. Chacun d’eux n’est au fond qu’un numéro effacé par le suivant ; des jeux éphémères qui n’ont d’intérêt que sous les feux de l’actualité et qui se fanent sitôt passe le temps des marroniers.
Alors pourquoi me suis-je mis à jouer à F1 2020 entre les derniers mois de 2022 et les premiers mois de 2023, vous demanderiez-vous toujours ?


Disons que la vraie question n’est pas forcément là. En fait, quand m’est venue l’envie, en cette fin d’année 2022 de retâter de cette grande saga de simulation de sport automobile, je ressortais d’une période de plus de vingt ans d’abstinence, alors – vous pensez bien – entre un F1 22 à 60€ et un F1 2020 quasiment identique mais quatre fois moins cher, j’avoue que mon choix a été vite fait.
Non, en fait la vraie question ce n’est pas de savoir pourquoi F1 2020 plutôt que F1 22. La vraie question c’est plutôt de savoir pourquoi, en cette fin d’année 2022, j’ai décidé de renouer avec la saga F1 et surtout qu’est-ce que cette redécouverte du genre m’a amené à penser de l’état actuel de la simulation automobile – voire de la simulation sportive en général – dans le monde du jeu vidéo… ;-)


Si vous lisez cette critique en un moment pas si éloigné que ça de sa rédaction, vous devez certainement avoir une petite idée de ce qui a pu me rapprocher à nouveau de la Formule 1… Bien plus que le dénouement plutôt triste du championnat 2022, c’est davantage l’événement festif organisé en octobre dernier par l’influenceur Squezzie qui a su me redonner goût au sport auto.
Parce que oui – et j’en suis le premier surpris – en découvrant l’existence du fameux GP Explorer juste après que celui-ci ait eu lieu, j’avoue que ça a soudainement ravivé chez moi mes souvenirs d’enfant et d’ado passés sur TF1 à regarder – entrecoupées d’une myriade de pages publicitaires – les passes d’armes entre Senna et Prost, entre Schumacher et Hill, entre Schumacher et Villeneuve, puis surtout entre Schumacher et Hakkinen… Des passes d’armes qui ont d’ailleurs marqué mon parcours personnel de joueur puisque, parmi mes tous premiers jeux jamais joués de ma vie, se trouve Ayrton Senna’s Super Monaco GP II sur Game Gear en 1992.


Donc oui, c’est un fait que ce GP Explorer a produit sur moi ce petit effet « madeleine de Proust » (ou plutôt devrais-je dire « madeleine de Prost », ho ho !) qui a su me renvoyer dans le giron des jeux de sport automobile.
Seulement, il se trouve que cet événement – et la manière dont il a été relaté – a aussi eu une autre incidence. En voyant les Domingo, Etienne Moustache et autres Team Vilebrequin se préparer pour ce Grand Prix, plus que le pilotage des bolides en eux-mêmes, c’est surtout le parcours de découverte et d’apprentissage des enjeux de la course qui m’a captivé.
Voilà des gens qui n’avaient jamais (ou très peu) piloté de voitures de course et à qui il fallait tout apprendre : la sensation d’être dans un habitacle exigu, le fait d’appréhender la masse, l’inertie et l’adhérence du véhicule, la nécessité de gérer ses gommes, l’obligation de connaitre chaque subtilité du tracé qu’on s’apprête à parcourir…
C’était ça que j’étais venu chercher par procuration dans ce F1 2020. Je voulais découvrir. Je voulais apprendre. Je voulais voir jusqu’où je pourrais aller. Bref, je voulais explorer le monde de la F1…
…Or ce n’est clairement pas ce que m’a donné ce F1 2020… Et avec le recul, j’avoue trouver ça assez dingue de la part d’un jeu de simulation sportive.


Sitôt avais-je inséré la galette de F1 2020 dans ma PS4 que, d’emblée, le menu m’a invité à commencer un mode carrière. On ne voit que ça sur l’écran, à tel point qu’on puisse penser que c’est là la seule voie à suivre. Alors après tout pourquoi pas : moi c’est justement pour ça que je suis venu alors let’s go.
…Et là – bim – voilà qu’on me demande de créer mon pilote et mon écurie. Le mode carrière, dans ce jeu, c’est un mode dans lequel on commence en étant à la fois pilote et à la fois directeur d’écurie en F1. On a beau être un novice qu’on n’a pas le choix, c’est comme ça : direct dans le bain.
Alors certes, le jeu offre des centaines de paramétrages donc si on se sent un peu perdu, on peut activer un paquet d’assistances… Mais bon, comme moi je suis venu faire mon Etienne Moustache qui découvre les joies des spins et autres sorties de piste, alors j’ai tout débloqué. C’est que je ne suis pas venu sur F1 pour faire de la course arcade !
…Autant dire que j’ai mangé mes morts dès la première séance de qualif’ à Bahreïn. Entre découvrir les boutons, savoir quand passer les vitesses, appréhender le circuit, le véhicule, les règles en séances de qualif, ça a été le crash direct. Adios l’équilibre budgétaire de la Betteravia Racing Team


Très rapidement j’ai abandonné ce mode. Forcément.
Entre mon incapacité manifeste à conduire une monoplace – qui plus est une formule 1 – et celle consistant à gérer le développement de mon écurie à base d’arbre de compétences R&D assez complexe à appréhender, il était évident que je devais revoir mon plan d’apprentissage.
Je suis sorti du mode carrière. J’ai alors découvert les petits onglets (bien cachés) renvoyant vers d’autres modes. J’ai notamment découvert le mode solo qui permettait de commencer en F2 en tant que jeune pilote prometteur pour ensuite monter les échelons. Autant dire que ça ressemblait déjà davantage à ce que j’étais venu chercher, du coup je m’y suis tout de suite lancé…


…Et en fait c’est carrément la même chose que le mode carrière mais sans la gestion d’écurie.
On est direct balancé dans une monoplace pour notre première séance de qualif’ de la saison et démerde-toi avec les vitesses, les réglages, etc.
Quand bien même choisit-on une école de pilotage en début de carrière qu’au final aucune leçon ne nous sera donnée. Cela ne jouera que sur l’identité des écuries cherchant à nous recruter par la suite. Du coup – pas le choix – pour apprendre il va falloir rajouter des assists.
Affichage de la trajectoire optimale sur la route ? Oui, ça je pense que c’est ce qui s’impose le plus.
Gestion des vitesses ? Automatique pour commencer. On en reparlera quand je connaitrais mieux les circuits.
Niveau des dégâts ? On va mettre faible sans être inexistant. Laissons-nous une marge d’erreur.
Niveau des concurrents ? Facile. Ne jouons pas avec le feu.
Assistances techniques enclenchées ? Arrêt aux stands et départ ce sera déjà pas mal. Pour la suite on verra.
Ce n’est qu’ainsi faisant que j’ai vraiment commencé à appréhender le pilotage proposé par F1 2020 et force est de constater que ce fut riche d’enseignement.


Ce fut riche d’enseignement parce que, en sachant se la jouer modeste pour commencer, j’ai pu appréhender progressivement la richesse et la subtilité de la simulation qui m’était proposée là.
Franchement, en termes de gameplay et de sensations, je trouve que c’est vraiment un remarquable travail d’orfèvre que nous a livré là CodeMasters.
Les circuits sont parfaitement modélisés. La configuration des touches est plutôt instinctive. L’ambiance sonore est remarquablement retranscrite et cela jusqu’aux consignes de notre directeur d’écurie qui se font entendre dans le haut-parleur de la manette…
Mais le vrai gros point fort de ce jeu ce sont vraiment les sensations de conduite. Moi qui ressortais justement tout fraichement de cet étron vidéoludique qu’est Gear.Club Unlimited et contre lequel je n’ai cessé de me plaindre du comportement douteux de la voiture – et surtout de l’incapacité qu’a eu le jeu à nous faire sentir quand le véhicule était à la limite de la perte d’adhérence – je n’ai pu qu’être fortement réceptif au travail accompli par CodeMasters en termes de feedback ; lequel est – à mon sens – presque irréprochable.


On sent très bien quand le véhicule commence à perdre de l’adhérence : entre vibration dans la manette et ce léger déport dans les virages et les reprises, l’usure des gommes est palpable comme peut l’être la conduite sur asphalte mouillée. De là on peut vraiment travailler notre attention et notre vigilance au moment des freinages et surtout des relances, participant ainsi à vraiment développer une sensation de prise de risque dans notre manière d’appréhender notre pilotage.
Ah ça ! Sur le point du gameplay – vraiment – ce F1 2020 accomplit un véritable sans-faute, au point qu’il remplit le premier objectif de toute bonne simulation sportive, c’est qu’il parvient à faire en sorte qu’on s’y croie.
…On s’y croit même tellement que la pratique du jeu peut apporter quelques éclaircissements sur la pratique du sport en lui-même. Et ça ce n’est quand-même pas rien.


Moi par exemple, ce jeu m’a fait prendre conscience d’à quel point un départ arrêté était un exercice dangereux et technique ; à quel point on s’en remettait totalement aux qualités des pilotes qui nous entouraient ; et surtout à quel point tout carton survenant à proximité de nous nécessitait forcément de notre part des réflexes d’acier.
Et puis poncer ce F1 2020 c’est aussi et surtout l’occasion d’éprouver le tracé de chaque circuit du championnat et de les appréhender d’une toute autre manière qu’à la télévision.
Ah ça ! C’est sûr que manette en main on comprend mieux le frisson des pilotes à s’engager à pleine vitesse dans le Raidillon de l’Eau rouge à Spa-Francorchamp ou bien de rester pied au plancher à la sortie du tunnel de Monte Carlo…
…C’est aussi l’opportunité de juger à quel point il y a tout un monde qui sépare les vieux circuits mythiques qui composent l’actuel championnat des nouveaux tracés commandés par ces nouveaux riches en quête de soft power : autant c’est une excitation inusable que d’essayer de gratter quelques dixièmes de secondes sur son record du tour à Spa, Silverstone, Spielberg ou bien encore Imola, autant c’est toujours le plus mortel des ennuis qui me prend quand il s’agit d’aller user l’asphalte des circuits de Bakou, Hanoï, Sotchi ou bien encore (et surtout) Bahreïn.

L’air de rien, pour tous ces aspects-là : chapeau à CodeMasters.


…Mais alors dans ce cas, pourquoi ne mettre que 7/10 ?
Pour un type qui, comme moi, ne cesse de chouiner sitôt estime-t-il le gameplay un brin désirable, pourquoi ne porte-je pas aux nues ce F1 2020 en le qualifiant de fleuron de la simulation de sport automobile ?
Eh bien c’est à partir de là que vous allez vraiment comprendre pourquoi je me suis permis mon petit laïus un peu long concernant le GP Explorer.
Comme je le disais plus tôt, moi, ce que j’étais venu chercher dans ce F1 2020, c’était cette sensation de partir de rien et d’apprendre, de gravir les échelons, et d’espérer – à force d’abnégation – décrocher le Graal de titre de champion du monde…
…Et c’est là pour moi que ce jeu révèle d’ assez surprenantes carences quand on prend bien la peine d’y réfléchir.


Je parlais tout à l’heure du mode carrière du jeu. Or ce mode – si on considère bien les attentes particulières que je nourrissais à l’égard de cette simulation – c’était clairement celui qui était le plus à même de me satisfaire. C’était le mode qui devait me permettre de simuler une carrière
…Mais qui commence une carrière de pilote directement dans un baquet de F1 ? …Voire même de F2 ?
Quel pilote a appréhendé pour la première fois son véhicule en pleine séance de qualif d’un Grand Prix mondial ?
Pourquoi a-t-il fallu que j’apprenne à piloter en enchainant les championnats du monde, d’abord avec beaucoup d’assistances puis après avec des réglages davantage proches d’une vraie simulation de F1 ?


…Parce qu’en effet – et on ne va pas se mentir là-dessus – se faire un championnat du monde avec plein d’assistances et contre une IA en mode facile, ça a vraiment un côté farcesque. Partir au carton à chaque départ parce que Lewis Hamilton et Max Verstappen freinent trois secondes trop tôt dès le premier virage, ça n’a vraiment rien d’immersif.
Ne plus tenir la route dès le cinquième tour parce qu’en mode facile les Grands Prix se bouclent en sept ou huit tours et que le jeu a décidé d’adapter en conséquence le cycle d’usure des gommes, ça non plus ce n’est pas très immersif…
…Et c’est d’autant moins immersif quand on prend conscience que tout arrêt au stand est à exclure car, en mode facile, aucun pilote ne fait d’arrêt.


Or le problème qu’il y a avec cette logique qui consiste à apprendre à piloter en enchainant ainsi les championnats, c’est que lorsque vient enfin le moment où on se sent prêt à affronter les Hamilton, Verstappen et autre Charles Leclerc sans aucune assistance – bref en condition optimale de simulation et d’immersion ! – eh bah l’envie s’est estompée.
Dans mon cas elle s’est même estompée avant ce moment-là.
Pourquoi ?
…Eh bah tout simplement parce qu’entre le championnat qu’on fait à l’arrache pour s’entrainer et celui qu’on fait au taquet avec tout l’enjeu que ça implique, eh bien en termes de mise en condition et de feedbacks offerts par le jeu il n’y aucune différence.
Remporter un Grand Prix avec trois minutes d’avance sur un peloton de papys qui mettent leur clignotant à chaque virage est gratifié de la même façon qu’un Grand Prix remporté à la plus grande sueur de notre front. Mêmes scènes cinématiques, tout le temps. Mêmes commentaires, à chaque course, de chaque championnat, de chaque session d’apprentissage… Si bien qu’à force plus rien n’impacte.
La lassitude a fini par l’emporter sur tout le reste.
Tous les effets déployés par le jeu pour retranscrire l’émotion et l’effervescence d’un championnat du monde sont totalement retombés.
Pour toutes ces raisons, la simulation se met d’elle-même en échec.


Présenter les choses ainsi en étonnera peut-être plus d’un et j’en ai conscience.
Il est vrai que cette manière de faire qu’a adopté CodeMasters pour son F1 2020 n’a finalement rien de nouveau. Les précédents opus fonctionnaient déjà comme ça ; comme c’est d’ailleurs aussi le cas pour la plupart des autres simulations sportives.
Qu’il s’agisse d’un FIFA, d’un NBA ou d’un NHL, auucne de ces licences phares de la simulation sportive ne conçoit son expérience ludique autrement : on glisse la galette, on choisit son niveau de difficulté, on active ou non certaines assistances et puis on joue. Si on est familier de la licence on commence tout de suite en niveau Pro. Sinon on commence en niveau Amateur et on montre progressivement jusqu’à ce qu’on sache jouer. Comment pourrait-on faire autrement après tout ?
Eh bien justement, c’est là où le déroulement du récent GP Explorer me parait riche d’enseignement…


Comment nos chers YouTubeurs ont-ils été plongés dans le bain de la course ? Qu’est-ce qui a rendu leur parcours jusqu’à la course finale aussi grisant ?
Aucun d’eux n’a été foutu sans explication aucune dans le baquet d’une F4 au moment des qualif’ ! Ça non ! On les a entrainés. On leur a fait subir toute une batterie de tests. On les a foutus sur des simulateurs et tout cela avant de se risquer à leur donner un volant pour des essais libres !
Pourquoi ces phases d’apprentissages ne sont pas présentes dans F1 2020 ?
Si on prend bien la peine d’y réfléchir deux minutes, on se rend forcément compte qu’elles devraient y être ! Personne ne veut pouvoir commencer un Zelda dans la Tour de Ganon avec vingt cœurs et la Master Sword en main !
Personne ne veut devoir apprendre à jouer à Elden Ring en commençant avec un mode atrocement facile pour ensuite enchainer les parties avec de moins en moins d’assistances jusqu’à ce que, après avoir vaincu huit fois Radahn de manière plus ou moins insignifiante, on puisse enfin se confronter à la vraie épreuve qu’avait prévu pour nous le jeu ! Personne !
Alors pourquoi est-ce la formule que nous propose ce F1 2020 ?
…Pourquoi est-ce d’ailleurs la formule que nous propose quasiment toutes les simulations de sport actuellement sur le marché ?


Avant de répondre, prenons juste la peine d’imaginer ce qu’aurait pu être ce jeu.
Imaginons qu’au lieu d’enchainer les championnats du monde de F1 à des niveaux différents, ce titre ait préféré faire des championnats à niveau de difficulté ?
Après tout c’est ce qu’il fait déjà avec la possibilité qu’il offre de pouvoir nous faire commencer au sein d’une écurie de F2 ! Donc pourquoi s’arrêter à ce seul niveau inférieur ? Pourquoi ne pas avoir étendu l’idée jusqu’à la F4 ?
En plus ces championnats se déroulant pour l’essentiel sur les mêmes circuits que ceux de F1, le fait d’opter pour un tel choix n’aurait en plus eu qu’un coût réduit en termes de modélisation et de stockage… Et puis franchement, ne serait-ce pas plus logique et immersif que de nous faire progresser par divisions et véhicules différents avant d’obtenir l’insigne honneur de pouvoir jouter aux côtés des Max, Charles et Lewis ? …Ne serait-ce pas mieux que d’avoir à enchainer le même championnat mais en laissant au joueur le soin de moduler par lui-même le niveau d’insignifiance qu’il entend donner à ces grands noms du sport auto ?


Idem, est-ce que ça n’aurait pas plus de sens de nous faire découvrir nos baquets non pas en qualif’ mais… En école de pilotage ?
Après tout c’est bien ce que fait Gran Turismo lui !
Dans Gran Turismo, le jeu offrait la possibilité d’enchainer les permis comme autant d’occasions d’appréhender les véhicules et la façon de les piloter. Il allait même encore plus loin dans cette logique d’apprentissage progressif en offrant carrément au joueur la possibilité de passer par l’étape obligée pour tout futur pilote professionnel : le karting.
Là encore, les efforts en termes de modélisation sont quand même moindres et les gains sont, en contrepartie, considérables. Alors – encore une fois – pourquoi ?...
…Pourquoi donc une licence aussi aboutie en de nombreux aspects passe totalement à côté de ce qui aurait pourtant dû être une composante essentielle de son mode carrière ?


Alors oui, je me doute qu’on a tous la réponse, mais prenons tout de même la peine de la formuler pour prendre conscience d’à quel point elle est triste ; d’à quel point elle nous fait passer à côté de simulations qui pourraient être bien plus abouties.
En fait, le vrai problème de ce F1 2020 c’est qu’il n’a justement pas été pensé pour être une simulation pleine et aboutie. Il n’a pas été pensé pour des joueurs comme moi qui espéraient en achetant ce jeu parcourir un mode carrière qui sache les faire passer du stade de simple pilote débutant à celui de pilote accompli pouvant en bout de parcours lutter aux côtés des plus grands noms du circuit. Non. F1 2020 n’a pas été pensé ainsi. Il a plutôt été pensé pour n’être qu’un épisode ; une mise-à-jour à destination des habitués de la franchise à qui on a plus rien à apprendre.


Un tuto ? …Mais pour quoi faire ? Ce que veulent les joueurs c’est de pouvoir tout de suite tester les nouveautés de l’année, non ? Ce qu’ils veulent c’est repartir se frotter aux plus grands noms pour aller tout de suite choper le titre 2020 ! Ils ne voudront certainement pas qu’on vienne les emmerder avec des tutos, des divisions à monter, des écuries à débloquer alors pourquoi s’emmerder de notre côté avec du contenu que beaucoup bouderont…
Les néophytes ? …Ah bah ils se démerderont les néophytes ! On leur mettra des assists et quelques pages de descriptifs ici et là et ils finiront bien par rattraper leur retard sur les autres pour ensuite suivre le train comme tout le monde…


En fait – et à bien y regarder – F1 2020 est juste la suite de F1 2019 comme la saison 2020 est la suite de la saison 2019. On reprend quasiment les mêmes et on recommence. On réactualise juste le look des bagnoles et on intègre les nouveaux circuits s’il y en a et c’est tout. Le reste n’est que gadget et esthétique. Une option à la con ici ; un changement de couleur de grue là (véridique) et voilà comment on justifie le fait que le chaland doive raquer 60 boules de plus.
On est vraiment dans la même logique qu’un FIFA : la seule réactualisation des stats, transferts et maillots semble suffire à elle seule pour que chacun paye à nouveau le prix fort quand, dans un autre monde, on nous aurait simplement fait payer quelques euros pour une mise-à-jour téléchargeable…


Alors oui – bien sûr – peut-être que, concernant ce F1 2020 je force un peu le trait. Après tout le fameux mode « My Team » dont je parlais en tout début de critique – celui nous permettant de gérer notre propre écurie – est justement une nouveauté apportée par cet opus. (En tout cas c’est ce que j’avais cru comprendre en me rancardant au sujet des différentes versions au moment de mon achat…) Et si je peux entendre que cet apport n’est certes pas insignifiant, peut-on dire qu’il justifie à lui seul un nouvel opus ?
…Surtout quand on prend en considération que, pour l’essentiel, les gars de chez CodeMasters n’ont eu aucun scrupule pour recycler circuits, voitures, visages, jusqu’à certaines célébrations de victoire ?
Désolé mais moi je trouve ça quand même chiche.


Avec un autre modèle économique – un modèle n’obligeant pas à sortir un jeu tous les ans – il me parait évident qu’on n’aurait pas eu le même jeu.
S’il n’avait dû sortir qu’un seul (voire deux) Formula One par plateforme comme ça a pu être le cas des Gran Turismo – voire des Mario Kart (après tout, pourquoi ne pas faire le rapprochement…) – on n’aurait certainement pas eu du tout eu le même type de jeu. Quand c’est le rôle d’un seul titre d’alimenter les ventes sur une seule génération de machine, généralement on s’efforce de faire un jeu-masse ; un jeu-somme ; un jeu qui marque le game de son emprunte…
…Et là j’aurais peut-être eu mon Formula One façon GP Explorer ; avec karting, écoles de conduite et gravissement des échelons jusqu’au Graal de la course automobile ! Tout le monde aurait alors été content car, avec ce genre de formule, chaque type de joueur aurait forcément été servi…


Mais seulement voilà, dans notre monde à nous, c’est le modèle d’exploitation type « EA » qui est dominant. Ainsi chaque opus n’est-il qu’une extension ; qu’une déclinaison ; mais aucun d’eux ne sait faire somme.
Que faire si je suis un grand fan des circuits de Singapour, Sepang ou Valence ? Ils n’étaient pas de la grand messe mondiale de 2020. Faut-il que je ressorte une vieille galette plus ancienne si j’espère satisfaire mon souhait ? …Quitte à devoir ressortir ma PS3 ?
Que faire si j’aspirais à voir ma carrière évoluer sur toute une tranche d’Histoire de la F1 plutôt que sur une sempiternelle même année 2020 qui tourne sans cesse en boucle, avec les mêmes pilotes, mêmes voitures, mêmes circuits ?
Que faire même si je n’aspirais qu’à me faire à ma sauce mon propre GP Explorer en arpentant le circuit Bugatti ? :-)
Tant de possibilités de jeu que cette licence n’exploite pas. Pourtant elle a tous les noms et tous les droits, mais qu’en fait-elle ?
…Finalement pas grand-chose.


C’est de ce constat amer qu’a donc découlé ce titre de critique que je reconnais un brin provocateur.
Oui, cet opus 2020 de Formula One est vraiment une très bonne simulation. En termes de reconstitution, de sensations et de paramètres, je considère qu’il n’y a même pas débat sur la question…
Par contre en termes de jeu, j’avoue que cette formule à épisode annuel referme beaucoup trop de possibilités pour être vraiment stimulante. Pire, je trouve même qu’elle est bien trop rigide et simpliste pour permettre une véritable immersion à la hauteur de la qualité technique de la simulation…
…Or, moi, ce serait presque ça que j’aurais envie de retenir de mon expérience de F1 2020 : le fait qu’en définitive, ce titre – bien que très bonne simulation – a perdu de vue ce qu’était un bon jeu.


Car qu’est-ce qu’un bon jeu ? …Voire même plus simplement, qu’est-ce qu’un jeu ?
Un jeu reste un défi ; un défi que le joueur va chercher à déjouer. Et si, nous, joueurs et joueuses, nous aimons tant nous imposer des défis, c’est surtout parce que ces derniers nous apportent une forme de gratification.
Alors certes, la gratification peut surgir du fait qu’on soit parvenu à déjouer un défi technique nécessitant une discipline particulière – comme ça peut être le cas quand on chipe le titre à Lewis Hamilton sur le dernier tour à Suzuka – mais il me semble qu’au regard de la manière dont ils ont pensé leur formule au sein de ce F1 2020, les gars de chez CodeMasters ont l’air d’être passés à côté du fait que, depuis 1997 et la sortie du premier Formula One sur PS1, le jeu vidéo s’est mis à explorer d’autres voies que celles-là pour susciter de la gratification chez le joueur.


Durant ces deux à trois dernières décennies, le jeu vidéo ne s’est pas seulement contenté de muter d’un point de vue technique, il a aussi considérablement muté d’un point de vue narratif. Offrir au joueur la possibilité d’accomplir un parcours sensitif dans lequel il joue une part active peut aussi s’avérer être une grande source de gratification.
Gratification pour soi car on a su trouver une manière d’explorer à sa façon le jeu et d’en ressentir quelque chose qui nous est propre… Mais aussi gratitude à l’égard du jeu qui a su nous offrir le cadre sensoriel adéquat pour qu’on puisse cheminer au sein de cette expérience personnelle.
Aujourd’hui, je pense que le jeu vidéo – du moins le vidéo Triple-A – ne peut pas se permettre d’ignorer que même dans les jeux reposant pour leur essentiel sur de la maitrise de skill, les questions de la narration et du cheminement sensoriel soient devenus des composantes indispensables.


Doom et Doom Eternal auraient-ils été aussi gratifiants sans l’habile mise en adéquation de l’univers et de l’atmosphère avec le défi ludique qu’ils ont su posée ? Même question pour des jeux comme Celeste, Hollow Knight ou (pour celles et ceux qui ont su être réceptif à la proposition faite par From Software l’an dernier) Elden Ring
Formula One, toute simulation de sport soit-elle, fait reposer son attrait sur le fait que le joueur puisse se transposer, d’une façon ou d’une autre, dans la peau d’un pilote ou d’un directeur d’écurie. A partir de là – et au regard des possibilités actuelles du média – on ne peut plus se contenter du seul gameplay pour travailler cette transposition. On ne peut plus se contenter de la seule reconstitution visuelle et sonore non plus.
Or, à une époque où on n’a jamais autant réfléchi dans ce domaine en termes de narration et de cheminement vidéoludiques, c’est peu dire s’il apparaitra comme archaïque le fait qu’en 2020 on puisse encore se permettre d’enchainer exactement les mêmes commentaires et les mêmes cinématiques et cela de course en course, quand bien même sera-t-on amené à en courir des centaines dans un jeu comme celui-ci.


Alors oui, je pense en guise de conclusion qu’il serait enfin temps de prendre conscience d’à quel point ces jeux à licence annuelle s’emmurent dans une logique qui les empêche de suivre le cours des événements. Parce qu’il est quand même triste de constater qu’en cette fin d’année 2022 et ce début d’année 2023, le contenu qui a su le mieux me refiler les frissons de la course sans me faire quitter mon fauteuil ne fut pas une simulation remarquablement finie mais bien les vidéos de YouTubers participant à un surprenant GP Explorer


Mesdames et messieurs de chez EA et CodeMasters : à méditer…

Créée

le 12 févr. 2023

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