« Compris. Je reste en arrière pour regarder ton cul. Euh, ton dos ! Ton dos ! Attentivement... »
Prenez ce qui fait le charme de Fallout, à savoir un univers sombre et torturé, une ambiance sinistre mêlant cynisme et horreur avec une pointe d'espoir, des dialogues « métalliques » et acides, des combats brutaux accompagnés d'un journal aux réflexions désopilantes et jubilatoires, le tout dans un monde ouvert et vaste à explorer. Ajoutez-y des personnages et des scènes planant à plus de 9000 mètres d'altitude, lâchez-vous sur les dialogues en permettant au joueur de prostituer sa femme, de se faire sodomiser ou laver le cerveau, donnez davantage de personnalité à vos compagnons, écrivez des quêtes complexes se déroulant sur plusieurs villes et multipliez la durée de vie de votre titre par deux.
Vous venez d'obtenir Fallout 2.
Sorti un an seulement après son prédécesseur (ce qui doit expliquer la ribambelle de bugs), Fallout 2 nous met dans la peau du descendant de l'Habitant de l'Abri (le héros du premier volet), lequel part en quête d'une technologie d'avant-guerre censée l'aider à sauver son village de la famine et du choléra. Mais avant de partir, et parce que la courte paille, c'est cool[1], mais qu'il en va tout de même de l'avenir du village, il va d'abord devoir prouver sa valeur en traversant le Temple des Épreuves.
Si notre objectif reste donc le même que dans l'épisode précédent, le changement de ton de début d'aventure peut déplaire, mais je trouve qu'il convient parfaitement au personnage, d'abord isolé puis lancé au travers des ruines d'une civilisation étrange et agonisante.
J'ai une préférence pour l'atmosphère sombre et, à mon avis, plus vraisemblable du premier jeu, même si l'histoire de ce dernier, basée sur des éléments de film d'horreur, ne prend vraiment son sens que devant l'antagoniste principal. Mais pour autant, je ne peux pas m'empêcher d'apprécier le ton général de Fallout 2, dont la subversion et l'autodérision sont un véritable pied de nez à tous ces scénarios clichés et chiants qu'on aura pu voir, imaginer ou même écrire en pleine partie de jeu de rôles sur table ou sur ordinateur.
Fallout 2 ne vous incite pas à aller tabasser des prostituées, ne se contente pas de faire une simple inversion des rôles opprimés-oppresseurs, et ne fait pas dans la provoc puérile ou dans l'oiseau-phoque façon Gearbox. Il vous donne par contre la possibilité de jouer un personnage si idiot que ses répliques se réduisent à « Hmm ? » et à « Grr ! », de devenir esclavagiste, de coucher pour obtenir un rabais, de faire couper votre sixième orteil mutant au pied gauche, de décimer une centaine d'innocents en faisant le malin devant un interlocuteur inattendu, ou de venir en aide à des types qui, au bout du compte, vous avouent avec une fausse gêne détachée que ce qui leur arrivait était en grande partie de leur faute. Cette liste n'est pas exhaustive.
En somme, le premier jeu contenait des scènes plus classiques, plus manichéennes, qu'on aurait pu trouver dans Mad Max. Black Isle a cherché à s'émanciper de cette source d'inspiration pour développer un univers très différent, prenant fortement le parti des minorités mutantes tout en continuant à se moquer de leur apparence, de leurs ambitions ou de leur bêtise, parfois dans les dialogues, parfois dans leurs affaires, encourageant de ce fait l'exploration sous toutes ses formes.
J'apprécie par contre beaucoup moins l'antagoniste principal, moins inspiré et moins subtil, mais qui a au moins le mérite de jeter un froid sur l'image protectrice et paternelle d'une force jusqu'ici présentée sous le bon angle.
Ce jeu est extraordinairement riche, et je ne veux pas parler de donjons copiés-collés qu'on torche en deux minutes pour trouver la vingtième bouteille de Nuka Cola (*burp*). Les dialogues sont truffés de répliques à débloquer grâce à telle caractéristique ou telle compétence et iI m'est souvent arrivé de trouver de nouvelles quêtes, même des zones entières, lors d'une nouvelle partie ou d'une simple excursion sur la soluce de Checkman.
Le fait d'avoir une carte située légèrement plus au nord de celle de Fallout nous permet aussi bien de retrouver des lieux familiers et de constater leur évolution que d'en découvrir de nouveaux. Le nombre de villes présentes est assez impressionnant, d'autant que ces dernières possèdent chacune une atmosphère bien distincte. Klamath et ses trappeurs... la bien-nommée Fosse... Modoc et ses fermiers... la République de Nouvelle Californie... New Reno ! Seules Redding et San Francisco me semblent être en dehors du cadre, mais elles ne sont pas dépourvues de leurs qualités. Et ça change un peu du sable et des radscorpions.
L'obsolescence de l'interface, la lenteur du gameplay et la difficulté assez élevée en début d'aventure pourra en décourager plus d'un (surtout si vous êtes un peu taré et que vous essayez de désarmer chacun des pièges du Temple pour grappiller 25 points d'expérience ; arrêtez de me regarder.) : on commence notre épopée à poil, littéralement, et les premières armes à feu mettent un peu de temps à arriver, un parti pris des développeurs qui souhaitaient mettre davantage l'accent sur la survie et sur le combat à mains nues plutôt que sur la profusion de munitions.
Malgré ça, et même si le jeu est un peu moins accessible que Baldur's Gate, je vous conseille fortement ce petit monument du jeu de rôles PC.
[1] Voir le manuel de Fallout 2, page 8, introduction (spoilers du 1) :
http://cdn.akamai.steamstatic.com/steam/apps/38410/manuals/Fallout%202%20Manual%20French.pdf?t=1394214629