Face à l’abîme, on se rapproche dangereusement du bord, près à basculer, tandis que nos regards hypnotisés plongent dans l'infinité du gouffre. C'est un peu le ressenti que j'ai en repensant à Far Cry 3, j'aime bien cette impression. Ou pour se replacer dans le référentiel du jeu, c'est comme Alice qui fait sa chute dans le trou du lapin, une descente semblant infinie et où se mêlent le merveilleux, l'étrangeté et l'effrayant (http://goo.gl/F9vOQu).
Je n'ai pas trouvé Far Cry 3 excellent mais là n'est pas la question, je l'ai trouvé intéressant, intrigant. Du moins assez pour avoir envie d'écrire dessus. C'était donné dès le départ, je ne m'étais vraiment intéressé à ce jeu qu'à partir du moment (récent) où j'ai lu un entretien avec le scénariste qui détaillait le sous-texte de l'oeuvre. Bref Far Cry 3 peut se montrer intelligent, ce n'est d'ailleurs pas le seul compliment que je peux lui faire : saisissant, original, jouissif. Jouissif. Jouissif. Jouissif. C'est le mot, ou l'idée, qui revient le plus dans le sweep que j'ai fait des critiques sur le net. Chasser le guépard dans la jungle sauvage, torcher des champs de cannabis au lance-flamme, exploser un camp ennemi au C4, fuck yeah. Bien que l'évolution de Jason Brody soit expédiée car souffrant des limites que le jeu s'impose à lui même (à la Tomb Raider 2013), elle est conséquente. Je me suis délecté en buvant ce cocktail composé de drogue, de folie et de pouvoir.

Voila, je crois qu'on en arrive à la partie importante de cette critique. Si Far Cry 3 est un jeu marquant, un jeu brillant, c'est qu'il se montre capable de dialoguer avec lui même. On peut même aller jusqu'à dire qu'il dialogue, qu'il joue, avec le jeu vidéo en soi. Et tout revient à la notion de pouvoir. Citra, la Jungle, sont des déclencheurs, des libérateurs pour Jason Brody et pour le joueur. Cette Jungle où l'on va être sauvage, où l'on va assouvir nos passions et nos instincts : sexe, violence, domination, feels good man (http://goo.gl/HXBMVQ). Si l'histoire met en scène une évolution dans la psychologie de Jason, il ne s'agit pas d'un traumatisme dans le meurtre mais d'une montée en puissance. Si le protagoniste est de plus en plus capable physiquement, il se perd de plus en plus mentalement, c'est en prenant en main son destin qu'il se retrouve à la dérive. Comme le joueur qui se perd dans cet univers fictif, il se fond dans Jason Brody en y voyant son reflet. Une prise de pouvoir jouissive : Jason et le joueur deviennent progressivement le Roi de la Jungle. Far Cry 3 à le brio de jouer avec les bases du jeu vidéo tel qu'on le connaît, interrogeant non seulement le plaisir de la violence (nécessaire a la plupart des jeux) mais aussi le statut même de l'immersion. Jamais une descente en enfer n'aura eu aussi bon goût. D'une certaine façon, l'œuvre s'attaque à toute une tradition vidéo-ludique qui place le joueur dans une optique de fantasme et qui l'immerge dans le rôle de l'aventurier surpuissant. Histoire de remettre les choses en place, je vous laisse les mots du scénariste, sûrement plus justes que les miens : "What if you have a game that’s so sweet, it’s like getting an overdose on drugs? So Far Cry 3 was a journey into the game itself. The point was to give the player an opportunity to experience that, and decide whether he or she wanted to be trapped in that gameworld". Le jeu vidéo, où la prison en tant que terrain de jeu.

Pour mener à bout cette critique, on peut s'attarder sur la fin de Far Cry 3. Pour une fois je vais essayer d'en parler sans trop la révéler. En temps normal, j'exerce un certain mépris pour les jeux qui multiplient les offres de conclusion, car dans ma petite tête bornée je les mets dans la catégorie de jeux qui ne savent pas ce qu'ils veulent dire. Et pourtant Far Cry 3 m'a encore une fois impressionné à ce niveau là : je ne sais quoi penser des derniers moments. J'ai tendance à m'amuser à essayer de trouver quelle est "la vraie fin", celle qui correspond le plus à l'esprit et à l'univers imposé par les créateurs, mais cette fois ci je me trouve perdu dans le doute. La "bonne fin" semble faire un peu tâche et ne semble pas s'inscrire logiquement dans la cohérence narrative instaurée, et pourtant elle s'imbrique parfaitement à la continuité du jeu sur la prise de pouvoir. Finalement c'est en ouvrant les yeux, en refusant d'être un esclave que Jason Brody et le joueur sont au comble de leur puissance, car se libérant de la Jungle. La "mauvaise fin" s'inscrit dans la continuité scénaristique imposée par le scénariste ("Jason Brody is actually used as a tool by the natives, who end up bending him to their will") et semble être le déroulement canon, une conclusion délicieusement atroce où tout ne se révèle qu'être mensonge. Bref je ne sais quoi penser, les deux fins se valent.

Et sur ce, je retourne dans la Jungle.
Vagabond
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le 17 sept. 2014

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Vagabond

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