Ce ne sont pas des héros. Ce sont des damnés. Condamnés à devoir exécuter la volonté des dieux, Lightning et ses compagnons d'infortune se retrouvent plongés dans une course contre la montre : s'ils ne réalisent pas leur Tâche à temps, ils se transformeront en créatures mues par la souffrance et le désespoir. S'ils parviennent à accomplir leur devoir, ils se changeront en cristal, sorte de chrysalide étincelante les isolant du monde dans un sommeil de plusieurs siècles : à l'échelle humaine, une forme de mort. Ces élus là, outils de puissances divines, sont honnis par l'humanité. Porter la marque des dieux les condamne donc à la fuite permanente.
Évidemment, la froide et enivrante Lightning ne compte pas se laisser dicter sa destinée, surtout quand celle-ci offre d'aussi sombres perspectives. Se retrouvant là presque par hasard, les membres de l'équipe se jaugent, se méfient, se trahissent aussi, avant de réaliser que leurs destins sont liés par la malédiction. Le jeu déploie tout son gameplay autour de cette idée de fuite en avant, renforcée par l'illusion d'une horloge qui tourne, les rapprochant inéluctablement de leur mort. Le jeu nous pousse à avancer, encore et encore, avec un terrible sentiment d'urgence. Les personnages glissent à la surface de leur monde poli et artificiel pour contrer les desseins des dieux. Évidemment, comme toute bonne tragédie, ils sont les jouets de consciences supérieures. Plus ils se débattent, plus ils se jettent dans des plans spécialement conçus pour eux. Ramassé dans sa temporalité, dans les lieux que le joueur traverse, Final Fantasy XIII nous précipite le long d'un toboggan aux reflets multiples, captant à la volée les richesses d'un monde que l'on entrevoit à peine dans ce voyage désespéré.
N'ayant que pour objectif de servir cette expérience si singulière, Final Fantasy XIII fait table rase des conventions : pas de villages, pas d'auberges, pas de marchands, très peu de personnages non jouables avec qui converser, pas de système de niveaux. Le jeu tend vers une certaine forme d'épure et recentre son expérience sur le système de combat, colonne vertébrale du jeu. Délaissant la tactique au tour par tour, le jeu préfère parler stratégie. Certes, l'ensemble semble bien doux à côté du haut degré de personnalisation de Final Fantasy XII, mais la vitesse des combats - tout en temps réel, rend la tension palpable, les décisions significatives, les joutes hypnotiques dans leur enchaînement.
L'ensemble fonctionne si bien que lorsque l'on échoue dans la plaine sauvage de Gran Pulse, grande zone ouverte à l'exploration "classique", nous nous perdons, délaissés par les enjeux et le rythme haletant de l'aventure. C'est que le jeu change de nature. Rien de déplaisant en soi - d'autant que Gran Pulse est un monde aussi magnifique que dangereux - si ce n'est l'impression tenace que l'on a autre chose à faire que partir à la chasse aux monstres. Fort heureusement, le jeu, compréhensif, offre la possibilité de retourner fouler en toute quiétude ce monde fascinant le jeu terminé.
Il m'aura fallu cinq années avant de me décider à faire Final Fantasy XIII. Cultivant une certaine aversion pour Final Fantasy X avec qui il partage un air de famille, j'étais convaincu que j'allais le détester. Loin du brouhaha qu'a provoqué le jeu à sa sortie, je l'ai abordé en toute sérénité. Sorte de pendant négatif au si iconoclaste Final Fantasy XII, ce treizième opus d'une saga parfois malmenée démontre à quel point la saga a su se questionner. C'est peut-être le point positif de cette remise en cause du jeu vidéo japonais, moins hégémonique, plus challenger. Ce Final Fantasy trace une ligne si singulière qu'il parvient, du haut de sa treizième marche, à faire quelque chose devenu trop rare dans le jeu vidéo moderne : prendre nos attentes à rebours.