Final Fantasy XV
6.5
Final Fantasy XV

Jeu de Square Enix, Hexa Drive et Xeen (2016PlayStation 4)

Attention amateur de Chocobo, cette critique révèle la structure du jeu et des points clés de l'intrigue.


Final Fantasy XV commence par un arrêt, une pause. Noctis, à peine poussé par son père hors des murs de la cité-État d’Insomnia, se retrouve coincé sur une route à l’américaine, symbolisant à elle seule une promesse de voyage et d’exotisme. Le jeune prince est là, à pousser la magnifique voiture royale, en compagnie de ses compagnons de toujours : Ignis l’élégant majordome, Gladiolus le garde du corps tout en cuir vêtu, Prompto l’ami d’enfance. Bien que le film Kingslaive: Final Fantasy XV soit un joli gâchis, cette longue introduction censée exposer les enjeux et lancer le jeu Final Fantasy XV est au moins révélateur sur un aspect : Noctis le héros est sciemment mis à l’écart du tumulte politique et de la malédiction du pouvoir. En suivant son aventure, Final Fantasy XV raconte cet entre-temps, cet espace d’insouciance et de vie qui s’épanouit, avant qu’un destin ancien et confus ne vienne s’abattre sur les épaules trop jeunes du prince. Final Fantasy XV, c’est l’histoire d’un roi qui ne voulait pas porter la couronne.


Une histoire qui fait écho au statut même du jeu. À l’origine conçu comme la face sombre du lumineux Final Fantasy XIII, Final Fantasy Versus XIII, ce spin-off rebelle, revanchard et libre de toute contrainte, se voit soudain sommé d’agir en membre légitime de la plus prestigieuse des familles du J-RPG en devenant un épisode canonique. En devenant Final Fantasy XV.


Final Fantasy XV est en réalité une digression. Aucun enjeu épique n’émaille réellement le déroulé de l'histoire. Les libertés des créateurs, probablement des espaces d’expression après des années de frustrations liées à un développement difficile, sont des capsules isolées (parfois instanciées) qui s'intègrent au sein d’une expérience plus douce.


Il faut voir les stratégies qu’emploie le jeu pour en permanence retenir le joueur, l'inciter à la pause. Les quatre membres de l’équipe ne sont ni des élus, ni des guerriers. Ce sont des voyageurs au long cours. Ils avancent à vitesse mesurée. Le rythme lent et hypnotique de la voiture sur les routes paisibles d’Eos en est le symbole.


On dit de Final Fantasy XIII et de Final Fantasy XV qu’ils ont une structure inversée : c'est-à-dire une progression linéaire puis ouverte pour le premier et une progression ouverte puis linéaire pour le second. C’est vrai. Mais l’inversion est surtout dans la dynamique. En cela, Final Fantasy XV reste Versus XIII. Dans Final Fantasy XIII, le joueur est constamment poussé vers l’avant, traversé par un sentiment d’urgence. Dans Final Fantasy XV, le jeu ralentit la progression du joueur dès qu’il en a l’occasion. Le tour de force, c’est de parvenir à rendre complice le joueur qui pourrait se sentir bridé et empêché par cette proposition. Les feux de camps permettent à l’équipe d’engranger non seulement l’expérience acquise en journée mais octroient des effets très bénéfiques pour le jour suivant, en préparant des plats cuisinés. Ces pauses sont si incontournables que dès 17-18h, on commence à chercher un endroit pour passer la nuit. À ce moment, le jeu joue à plein la carte des retrouvailles, comme si chacun rentrait au foyer : les plats cuisinés d’Ignis, les photos souvenirs de Prompto font de ces points obligés de véritables moments de convivialité. Parfois, le jeu s’autorise, avant la reprise du jeu, une petite aventure en tête à tête avec un membre de l’équipe, que ce soit pour une simple discussion, un petit footing matinal, une partie de pêche. Pour le dire simplement, la pause dans Final Fantasy XV est absolument centrale, elle est au cœur de son game design. Les effets bénéfiques qu’elle procure, par l’approfondissement du lien entre les personnages, l’expérience accumulée et les bonus associés, en font le nœud de l’aventure. Même le fait de ne pas cumuler les quêtes semble être un prétexte supplémentaire pour inciter le joueur à la balade plutôt que de l’asservir en lui soumettant une liste de tâches à accomplir. Final Fantasy XV veut prendre le temps.


Là où Final Fantasy XIII proposait d’avancer en ligne droite à un rythme effréné, Final Fantasy XV propose au contraire d’explorer de fond-en-comble Eos. Le monde du jeu, disponible dans son intégralité presque tout de suite, étonne par sa (relative) uniformité. Outre Leide, la zone de départ enclavée, on constate que l’univers tout entier s’articule autour d’un cratère central causé par la chute (ou presque) d’un météore. Le monde porte les traces permanentes de cet ancien chaos. La terre se soulève par endroit, des pics apparaissent, des plateaux se forment, des arches irisent le ciel, de larges roches - presque des champs de menhir - parsèment les plaines. Si la nature a repris ses droits, le monde porte encore les balafres (dont une immense faille, un haut volcan) de temps anciens. Partout dans ce monde, l’équipe verra ces traces géologiques puissantes, anciennes et surtout cohérentes, même dans leur extrême stylisation. On ne s’étonnera pas de savoir que l’ennemi le plus redoutable du jeu est en fait une montagne en elle-même.


On s’est beaucoup moqués de la campagne de communication du jeu montrant des développeurs prenant en photo des rochers pour s’en servir comme textures. Oui, c’était probablement risible. Cependant, quand on voit cette telle puissance minérale dans le jeu, on comprend mieux l’emphase sur cet aspect du développement. Les donjons n’échappent pas à cette règle : nombreux sont ceux qui prennent place dans des lieux purement naturels – montagne ou souterrains, où la roche est omniprésente. Et si le Luminous Engine tousse trop souvent, le raffinement des éclairages naturels renforce la sensation d'un monde organique, balloté par les aléas climatiques.


C’est dans ce temps long et dans cet univers brut que se déploie l’histoire de ces quatre jeunes hommes. Les photos sont des souvenirs fabriqués tout au long du jeu, qui nourrissent au bout de dizaines d’heures passées ensemble, une vraie nostalgie de voyageur. Le récit, qui s’ouvre sur une introduction sibylline avec un Noctis manifestement plus âgé affrontant un ennemi en apparence invulnérable, aurait dû faire le pari d’une histoire racontée au passée par l’un des protagonistes, comme le fait d’ailleurs très bien The Last Guardian dès ses premières secondes, car on sait que le destin de Noctis est scellé. Quoiqu’il en soit, la sensation d’unité n’a jamais été aussi forte dans la bande qui se mue en famille à mesure que l'aventure avance. Il faut dire que le jeu s’en donne les moyens. Les personnages parlent tout le temps, se font des blagues, commentent ce qu’ils voient, font part de leurs doutes, se chamaillent dans les donjons dans la plus parfaite insouciance. Bien sûr, le joueur n'échappera pas à des répétitions de répliques. Mais tout est fait pour créer une véritable cohésion. Le travail très précis sur les animations ne fait que renforcer la sensation de vie du quatuor : ils trainent des pieds, se cherchent des postures cool, se tiennent de travers etc. Comme nous l’avons expliqué, le jeu n’hésite pas à privilégier la relation entre un personnage de l’équipe et Noctis un court moment pour resserrer les liens. Le jeu traduit même cela dans son système de jeu. Fini la progression personnage par personnage. Ici, tout le monde évolue en même temps, avec des capacités liées. Ce n'est pas l'individu qui progresse, mais le groupe tout entier. De lui dépend la réussite de leur quête. Un concept profondément japonais.


Aux enjeux gigantesques auxquels on aurait pu s’attendre, Final Fantasy XV fait le choix de l’intime, du détail. Il partagerait presque un petit air de Shenmue. On le sait, cet opus se voulait en prise avec le monde réel. Il en découle un soin tout particulier pour la mise en scène de la vie quotidienne, du superflu, du banal, en rupture avec la découverte de ruines et de lieux exotiques. Dans Final Fantasy XV, on s’attarde dans les magasins de bord de route où les ventilateurs soufflent pour rafraîchir l’atmosphère lourde, on marche dans des villes magnifiques mais usées, avec des détritus, des poubelles, des tuyaux qui fument, des murs tapissés d'affiches. On s’immerge dans la vie d’un marché, on passe par les petites ruelles. Aux grandes mégalopoles, Final Fantasy XV préfère la vie de quartier. À la vie trépidante, Final Fantasy XV préfère la douceur de vivre. On aimerait flâner dans ce monde à jamais, même si les escouades lancées par l’empire nous rappellent constamment que le destin de Noctis est ailleurs. Elles sont comme des mouches qui viennent troubler le repos paisible d'un marcheur allongé dans l'herbe : on les tolère un moment avant de décider de s'en débarrasser.


Et ce, jusqu’au basculement fatidique. On ne saura jamais si tout cela est parfaitement volontaire ou non, tant le développement du jeu a été incertain et chaotique. Quoiqu’il en soit, la deuxième partie du jeu sonne le glas. Un évènement tragique fait tout basculer, l’histoire, le groupe, le jeu. Dépassé par des évènements anciens, lourds, flous et visé par une vengeance qui le regarde si peu, Noctis sait qu'il doit porter la couronne du roi, incarner sa lignée et en finir pour de bon. De là, la petite mécanique tranquille du jeu se dérègle puis casse. Le groupe explose, se disloque lentement avant de se briser. Le train remplace la voiture et met en place un autre type de voyage. Il n’est plus question de vagabonder ou de caboter mais d’aller directement à destination, d'avaler des kilomètres sans jamais s'arrêter, d'effleurer des lieux sans les explorer. Le chapitre 13, considéré comme odieux, représente l’acmé de ce dysfonctionnement. Noctis - et le joueur - vit le cauchemar. L’univers est vidé (littéralement), le gameplay est défiguré.


Pénible, long, douloureux. Noctis est écrasé par le poids du destin. Dans son ultime chapitre, Final Fantasy XV replace soudainement toute une série d'enjeux enfin dignes de la saga, alors que le monde semble sombrer dans une nuit éternelle. Condamné, Noctis doit reprendre son trône. Et mourir.
Et nous comprenons enfin. Nous comprenons que ces heures de légèreté, de banalité, de douceur, parfois d'ennui, bref, tout cet entre-temps s'étirant sur de longues journées avec ses amis de toujours, n'étaient rien d'autre qu'une célébration de la vie.

numerimaniac
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le 20 mars 2017

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numerimaniac

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