Il va sans dire qu'Intelligent Systems sont loin d'être débutants dans le genre qu'est le tactical-RPG, avec deux des licences les plus marquantes à son actif dans le domaine que sont Fire Emblem et Advance Wars. Cependant, avec la survie du studio sur la ligne selon les ventes de cet opus, IS a dû mettre les bouchées triples pour son supposé chant du cygne, mais à l'instar d'un certain Square en son temps, le titre a rencontré et le succès des critiques et l'engouement du public. Et il ne l'a pas volé, le bougre !
FE:A nous plonge au milieu d'un univers médiéval fantastique au travers des aventures de Chrom, prince d'Ylisse et l'un des multiples descendants de Marth, et de notre avatar créé en début de jeu dans un continent où les royaumes se détruisent les uns les autres, alors que semble se dessiner en arrière-plan un dessein bien plus sombre. Sont vite abordés un futur apocalyptique où Grima, entité maléfique ressuscitant à chaque millénaire a réussi à tuer le symbole Chrom et réduire le monde en ruine. S'ajoute à cela des voyages temporelles tandis que s'installe la lutte contre un destin pré-conçu pour éviter de rencontrer la tragédie qui mènerait à la fin du monde. Il y a à boire et à manger dans la narration du jeu. Dans les bons points, notre personnage s'avère principal à l'intrigue et même s'il se contente de suivre Chrom le plus souvent, il devient primordial à la suite de renversements scénaristiques. On note aussi des scènes assez fortes au cours de l'histoire, notamment avec la mort de personnages alliés bien amenés et la plupart des interaction avec Lucina, fille de Chrom issue du futur où Grima l'a emporté, l'un des dilemmes auxquels elle fait face est particulièrement bien amené. Par contre, Dieu que c'est manichéen. Alors c'est peut-être un peu hypocrite de dire ça, Fire Emblem ne tentant pas souvent de faire dans la finesse dans ce domaine. Si cela est compréhensible dans la seconde partie, la première qui tourne autour de guerres entre les royaumes sont vraiment simplifiés au possible ("He's a bad guy ! Let's kill him because we are right !"). Cet aspect simpliste ressort d'autant plus qu'il s'oppose à certains moments assez sombres de l'intrigue. Aussi, les personnages sont des clichés sur pattes, et cela ressort beaucoup trop fortement dans les mécaniques sociales du jeu. Mais surtout, Chrom est l'un des protagonistes les plus inintéressants qu'il m'ait été donné de voir. En plus d'être un Marth-bis, le bougre n'a aucun trait de caractère ou développement intéressant qui le ferait quitter son rôle de héros fonction.
Mais là n'est pas le cœur de Fire Emblem, qui est avant tout un gameplay qui a fait ses preuves et que quelques nouveautés simples d'apparence viennent ajouter encore plus de profondeur à un système facile à comprendre mais dur à maîtriser. Vous déplacez chacune de vos unités lors de votre tour sur une carte en vue de dessus, chacune pouvant lancer un assaut sur un des adversaires. Le déroulement des attaques dépend alors des statistiques de vos personnages, du rapport de force entre les armes (les épées battent les haches qui battent les lances qui les épées) et leur portée (un arc par exemple ne peut riposter au contact) plus certains paramètres, comme la faiblesse inhérente des pégases aux archers.
Chacune de vos unités disposent d'une classe qui déterminera les compétences passives qu'il pourra développer, ses statistiques, dont le mouvement, et ses affinités avec les différents types d'armes. Ces classes seront modifiables en avançant dans le jeu, et s'ouvre alors de larges possibilités pour customiser votre armée. La grande nouveauté de cet opus est la possibilité de former des duos entre vos unités sur le champ de bataille. L'une des unités servira alors de support au second, augmentant ses caractéristiques et pouvant éventuellement intervenir en combat pour des dégâts supplémentaires ou bloquer entièrement l'attaque adverse.
Mais la plus grande force de ce Fire Emblem, c’est de laisser le joueur aborder le jeu à sa guise. Le système de difficulté en est déjà un exemple, le jeu donnant la possibilité d’annuler les morts définitives des personnages sur le champ de bataille, mais c’est surtout par le fait que la stratégie est autant récompensée que le temps investi à développer ses unités. L’optimisation des unités permet de largement faciliter le travail, mais elle n’est pas indispensable, puisqu’une bonne stratégie peut pallier à la faiblesse de vos troupes. L’importance du placement des troupes est d’autant plus prononcée par les cartes du jeu assez complexes disposant souvent de couloirs assez étroits où la mobilité des unités se trouve réduites. La constitution de son équipe laisse aussi beaucoup de choix, malgré de gros écarts rendant certaines unités presque inutilisables.
Du moins tout cela est vrai jusqu’à la dernière mission du jeu, qui rompt complètement avec le reste et est pour moi l’une des plus grosses aberrations qu’il aurait été possible de faire. Fini les maps sinueuses, bonjour la ligne droite. Fini la possibilité de réduire les forces ennemies petit à petit, les ennemis repopent à l’infini. Au revoir les placements complexes, bonjour le patchwork difforme d’unités. Oh, vous n’avez pas entraîné Chrom malgré sa faiblesse apparente ou Lucina qui a le malheur d’hériter des stats de ce dernier ? Pas de chance, vous allez bien le regretter. Comment peut-on passer de « tout est permis » à « il faut entraîner ces deux unités spécifiquement ! » alors que rien jusque-là ne nous poussait à les utiliser ? À ce stade, ou vous avez optimisé vos troupes, ou vous allez devoir vous y forcer. C’est plutôt dommage d’avoir une conclusion aux antipodes de tout ce que le jeu proposait jusque-là.
Un dernier mot sur l’un des éléments clés de la série, les soutiens. En combattant ensemble, vos unités peuvent tisser des liens entre eux, pouvant aller de la simple camaraderie au mariage entre deux de vos unités. En plus d’accroître les compétences en duo des unités disposant de soutiens, les mariages pourront débloquer les enfants de ces personnages, issus du futur apocalyptique de la trame principale. De nombreux paramètres rentrent en compte dans les compétences des rejetons, renforçant plus encore les possibilités d’améliorer ses unités. Mais si les soutiens s’avèrent amusants quelques instants, c’est malheureusement aussi à travers eux que l’on constate le manque total de personnalités intéressantes de nos troupes. Enchaînant stéréotypes sur stéréotypes, le tout tourne vite en rond, surtout que les soutiens se basent quasiment toujours sur le même schéma (Problème – tentative de résolution – résolution – MARRIONS-NOUS !!). Ce n’est pourtant pas mal écrit, mais les personnages manquent beaucoup trop de profondeur pour rendre ces (nombreuses) discussions intéressantes. C’est d’autant plus dommage que c’était vraiment l’occasion de développer les différents combattants.
Autre point mineur sur les soutiens, les soutiens père-enfant/frère-sœur sont de simples variantes les unes des autres, et si l’on ne s’en rend compte que sur une seconde partie, toujours est-il que ça ne rend pas les soutiens plus agréables.
Au final, Fire Emblem est un jeu au système de combat très solide, très beau et propre, abordable de bien des façons et avec de quoi noyer son temps libre, mais il manque l’excellence de par quelques lacunes scénaristiques et des personnages qui se cantonnent à des clichés vus depuis des décennies. Ce serait cependant bouder notre plaisir que de se restreindre à ces éléments, le jeu se dévorant si goulûment que l’on passe aisément outre ses défauts. À ne pas manquer.