En trois lignes
Un tactical-RPG qui gâche son potentiel avec une histoire décevante et manichéenne couplée à un level-design faisant déshonneur à la customisation disponible. Le tout ‘sublimé’ par une localisation qui dessert l’œuvre. Une sacrée déception bien trop chère pour ce qu’elle vaut.
En 6 pages word
Grand étendard du tactical RPG depuis déjà deux décennies au Japon et récemment sauvé de la noyade après un succès phénoménal avec le fort sympathique Awakening, Fire Emblem revient sur le devant de la scène avec un nouvel opus promettant monts et merveilles. Scénario à branches divergentes, dilemme majeur obligeant le protagoniste à sacrifier ses liens familiaux et une bande-son plus qu’alléchante, la première bande-annonce du dénommé Fates nous annonçait déjà un opus plus impressionnant et dramatique encore que son prédécesseur.
Puis vinrent les premières désillusions : jeu découpé en trois versions et montagnes de DLCs, scénario à l’apparence plus traditionnelle que ne pouvait laisser présager les trailers… à cela vint s’ajouter tout un lot de polémiques sur une localisation plus que bancale mêlant contenu retiré et traduction modifiant radicalement le sens de plusieurs dialogues.
Fates est finalement arrivé avec un sacré retard dans nos contrées avec une traduction basée sur la controversée version américaine, pour un résultat relativement bancal dont la version complète coûte au minimum 80 deniers, DLC exclus.
« Les très méchants contre les très gentils »
Fates relate le conflit de deux pays que tout oppose : la rayonnante et pacifique Hoshido vivant dans la prospérité à la culture très clairement nippone, face au sombre et obscur Nohr dont le manque de ressources naturelles les poussent à conquérir d’autres contrées pour pallier à ce déficit et à la culture médiévale européenne, plus dans la tradition des Fire Emblem classiques.
Le protagoniste a été élevé au sein de la famille royale de Nohr, mais ses vraies racines sont ancrées dans la royauté hoshidienne, se retrouvant en Nohr après son enlèvement enfant. Ignorant tout de ses origines, le héros a vécu une enfance confinée du monde extérieur au sein de ses frères et sœurs de Nohr jusqu’à ce que son père adoptif, roi de Nohr froid et belliqueux, l’envoie avec une escorte minimale faire ses preuves. Il se fait cependant trahir dans son périple et se retrouve finalement récupéré par sa famille d’Hoshido. Après plusieurs pavés d’explications sur ses origines, le héros se retrouve vite confronté à un dilemme : se joindra-t-il à sa famille d’Hoshido pour lutter contre les politiques belliqueuses de son père, ou retournera-t-il auprès de sa famille de Nohr qui l’a élevé toutes ces années pour tenter de changer les choses de l’intérieur ?
Les bases de Fates sont prometteuses, avec un conflit relationnel nous forçant à sacrifier nos liens au nom de nos idéaux. Le fort contraste entre Nohr et Hoshido sur le plan culturel perpétue cette idée de conflit et ressent tout particulièrement dans le fort sympathique character design par Yusuke Kozaki. Tout est cependant réduit en miettes par un scénario terriblement manichéen et un protagoniste niais au possible. Quel que soit la route empruntée par le protagoniste, il sera toujours question d’un très méchant grand méchant quand le synopsis promettait une intrigue moralement ambiguë où chaque camp avait ses propres raisons. Il est vraiment dur à croire qu’Intelligent System ait fait appel à un auteur de manga professionnel pour son histoire quand celle-ci s’avère aussi générique. Le drama familial permet quelques montées d’intérêt mais se cantonne au second plan et tend à tourner en rond.
Fates tente à multiples reprises d’être aussi dramatique que possible, mais échoue à construire ces scènes intelligemment pour faire un quelconque effet. Certains sacrifices impliquent des personnages complètement oubliables, ont des raisons bancales, ou sont au pire cas ridicules. Mention spéciale à ce personnage qui s’immole dans le plus grand calme (parce que tout le monde sait qu’une mort par le feu est indolore) sous le regard impuissant de notre équipe qui cherche désespérément de l’eau dans un village entièrement recouvert par un demi-mètre de neige. L’histoire échoue aussi à responsabiliser le protagoniste, qui n’aura jamais à prendre de décisions par lui-même une fois le choix des familles passé, le rendant à chaque chapitre un peu plus fade et ennuyeux.
Le plus gros crime fait à l’histoire réside cependant dans le modèle financier du jeu. Fates est divisé en trois versions qui relatent chacune une différente route du jeu. Dans Héritage, le protagoniste se rallie à Hoshido et inversement dans Conquête, tandis que Revelation est une sorte de version idyllique ralliant les deux pays contre un ennemi commun caché dans l’ombre.
Le problème est que la version du jeu acheté nous impose donc notre choix narratif. Le dilemme du jeu ne devient plus « de quelle famille me sens-je le plus proche et quels idéaux voudrais-je honorer à ce moment critique de l’intrigue » mais « quelle version a les persos les plus classes sur la jaquette pour mes 40 deniers avant même que je ne sache quoi que ce soit de l’histoire », nuisant directement au développement de l’histoire et à l’implication du joueur. Les développeurs ont justifié ce modèle sur l’argument que chaque version disposait de suffisamment de contenu pour justifier cette séparation, mais l’abondance de contenu partagé (personnages, maps, animations, voir même des moments du scénario) entre les 3 versions peinent à supporter cette déclaration.
Héritage est terriblement banal dans son histoire et ne gagne en intensité que dans l’avant dernier chapitre avec une scène relativement forte nuancée par un combat absolument misérable.
Conquête dispose d’un fil directeur absolument misérable qui peine à justifier pourquoi notre protagoniste participe à l’invasion d’Hoshido notamment après avoir touché aux autres versions. En aucun cas cette version n’implique le « combat depuis l’intérieur » qu’il promettait, mais a un drama légèrement plus intéressant.
Revelation est une montagne de Deus Ex Machinas sorti de l’arrière-train du scénariste au déroulement terriblement cliché et prévisible. Elle se noie dans une intrigue manichéenne qui semble n’exister que pour justifier une route du jeu dans laquelle « tout le monde se bat ensemble ».
Fates multiplie les promesses en l’air avec une histoire bien en deçà des espérances, s’avérant même inférieure sur ce point à son prédécesseur.
Système de jeu complexe mais déséquilibré
Si Fire Emblem s’est fait un petit nom avant Awakening, c’est (grâce à Smash Bros)
grâce à un level design sournois déterminé à nous faire arracher les cheveux, nous forçant à exploiter tout et n’importe quoi pour empêcher nos troupes de passer six pieds sous terre. De multiples mécaniques ont été altérées depuis Awakening. Le triangle des armes a notamment été refait et intègre désormais les armes à distances venant redynamiser le système un peu simpliste de son prédécesseur. Le système de duos a été également largement refait. Auparavant bien trop puissant, on ne peut désormais que décider d’effectuer un duo offensif où notre allié peut porter un coup supplémentaire à l’assaut, ou un duo défensif augmentant nos statistiques et nous protégeant de certains coups. L’ennemi peut désormais aussi en profiter, et ne s’en privera pas si vous lui en laissez l’occasion.
Le système de classes est moins permissif qu’auparavant, avec seulement une classe de départ et une alternative disponible initialement à l’inverse du « tout est permis » d’Awakening. Une tournure fort appréciable puisqu’elle permet d’individualiser chaque personnage de notre équipe et limite les possibilités d’abuser du système en aillant piocher à droite à gauche les meilleures compétences de chaque classe. Cependant on aboutit vite à des « classes primordiales » et un déséquilibre accentué par de très forts écarts entre les différents membres du cast. Au final seuls quelques membres auront vraiment un quelconque intérêt sur le champ de bataille à cause des statistiques de départ de certains très faibles et mettant beaucoup trop de temps et ressources à compenser.
On retrouve un système de soutiens similaire à Awakening : les personnages combattant ensemble finissent par tisser des liens, le tout à travers de courtes scénettes où les personnages interagissent entre eux pouvant aller jusqu’au mariage. Ces soutiens améliorent notamment les performances des combattants s’ils se retrouvent en duo et permettent aussi d’élargir le panel de classes disponible à chacun. Cependant, les conversations entre nos personnages les développent assez peu, les maintenant dans des rôles assez clichés. Rares sont les exceptions dans lesquels les personnages évoluent réellement. On notera quand même les conflits du second prince de Nohr, dont le complexe d’infériorité vis-à-vis du reste de sa famille mène à des dialogues intéressants.
Toujours est-il, les soutiens restent une mécanique fort appréciable pour leur capacité à lier gameplay et narration, leurs liens se répercutant directement sur leur performance. Cependant, on aboutit à certaines contradictions dans l’histoire. Difficile à croire que les derniers mots d’un personnage central seront pour le protagoniste avec lequel elle n’a aucun lien plutôt que son mari. Mais la pire contradiction reste la conséquence des mariages : les enfants.
Une fois vos personnages mariés, le couple arrivera avec un splendide rejeton tout fait déjà prêt pour le combat après une mission de recrutement. Leur poussée de croissance de 15 ans en l’espace d’une journée est justifiée par le plus grand rien-à-foutisme des scénaristes. « Apparemment, afin de protéger leurs enfants de la guerre, leurs parents les enferment dans un trou dimensionnel dans lequel le temps passe très plus vite, ce qui les rend directement âgés juste après le mariage » Il est expliqué dans la version Conquête qu’il y a en effet des différences dans le déroulement du temps entre les dimensions. Mais se posent alors 2 problèmes :
- de 1, les différences temporelles que le jeu démontre ne sont pas du tout de l’échelle 1 jour = 18 ans + 9 mois
- de 2, je ne comprends pas pourquoi les enfants ne sont pas élevés dans le château du protagoniste (lui-même une propre poche dimensionnelle mal justifiée), surtout que 50% des missions de recrutement implique la poche dimensionnelle pacifique des enfants se faisant attaquer.
Il est clair que le concept des enfants n’existe que parce qu’il était présent dans Awakening. Sauf qu’Awakening était cohérent narrativement (du moins autant que possible en impliquant des voyages temporelles dans l’histoire). Awakening justifiait la présence des enfants et leur âge avancé par leur provenance d’un futur apocalyptique qui était le déclencheur du scénario. Ici on a clairement affaire à une pensée « après-coup » qui s’imbrique très mal à l’histoire et tend à faire penser qu’il n’y a aucune notion d’urgence dans l’histoire vu la possibilité de dilater le temps selon son bon vouloir. On pourrait entièrement retirer les enfants et absolument rien ne serait perdu narrativement. Cela aurait même rendu le jeu plus cohérent… « Mais il fallait le faire parce que dans Awakening y avait les enfants ! »
Cependant, ils ont au moins le mérite d’ajouter une couche de customisation dans notre armée, car leurs capacités varient en fonction de leurs parents, héritant même de leur classe et de leurs techniques.
Malheureusement, le système des unités est gâché par un level-design éhonté qui confond difficulté et remplissage.
Chaque version a son propre niveau de difficulté. Héritage est très permissif, donnant la possibilité de pexer entre chaque mission à volonté, tandis que Conquête est bien plus strict, plus corsé et sans séances de rattrapage, tandis que Revelation fait office d'entre-deux.
Mais des trois versions, seul Conquête offre des missions intéressantes. Les missions d’Héritage et Révélations souffrent notamment du défaut de bourrer ses maps d’unités arrivant en renforcement dont le seul intérêt est de vous faire perdre du temps. Dans la plus grande partie d’Héritage, on peut tout simplement se contenter de se cloîtrer dans un coin de la map tandis que l’armée adverse vient se suicider sur nos unités au front. Les deux versions nous donnent facilement accès à des unités surpuissantes qui pourraient aisément détruire le camp ennemi à eux seuls, et la possibilité de pexer n’arrange rien. Révélations multiplie les maps sinueuses où les ennemis abondent sans jamais vraiment être une quelconque menace. L’exercice se résume à une interminable randonnée sans intérêt, où le challenge s’écroule face au moindre de nos tanks.
Conquête à défaut nous demande des approches différentes au cours de ses missions, souvent prudentes mais rarement ennuyeuses. Surtout qu’au challenge inhérent des missions s’ajoute la nécessité de distribuer efficacement l’expérience entre nos unités pour ne pas peiner plus loin devant. On retrouve cependant le déséquilibre des unités, mais cette version reste probablement la seule à faire tourner un minimum nos méninges.
Les travers de Fates ne s’arrêtent malheureusement pas là, et la ‘splendide’ localisation du titre dans nos contrées vient encore lui causer du tort.
Lolcalisation
Sans vouloir rentrer dans du drama Internet, il est clair que Treehouse, le studio interne de Nintendo en charge de la localisation du titre, a réussi à plomber plus encore la bête. Awakening avait déjà été censuré en Europe avec des dialogues modifiés et des CGs changés parce qu’il fallait que quelqu’un pense à protéger nos chérubins d’un maillot de bain. Fates cette fois-ci aura aussi été charcuté en Amérique en plus de chez nous.
On remerciera notamment le retrait de certains costumes dans nos contrées dans le plus bel esprit de puritanisme, et aussi le concept d’interaction tactile avec nos compagnons dans notre QG. Si le système derrière n’avait rien de très complexe ou particulièrement intéressant, je ne comprends pas pourquoi l’avoir retiré si ce n’est des relents de puritanisme ou paranoïa.
Un point cependant qui pour moi vient vraiment nuire à l’œuvre est la « réécriture » de certains personnages. En effet, certaines unités ont vu leur caractère changer drastiquement leur du passage en dehors de l’Archipel. Par exemple, le personnage de Elffie, auparavant montagne de muscles bisounours façon géant de fer, est devenue une timbrée de la musculation dont le vocabulaire se résume à « je suis forte !! », « j’aime les muscles !! » et « j’aime la bouffe !! ».
Certains soutiens S perdent sans raison tout sens romantique et se finissent sur une pauvre plaisanterie, tandis que certains dialogues changent complètement de sens.
Le texte anglais est notamment truffé de memes qui joie n’ont pas fait la transition en français. Car quoi de mieux dans un monde de fantasy que d’entendre son unité dire « This girl is on FIRE !! » pour briser notre immersion !
Avoir des références modernes dans un jeu vidéo est un pari risqué, car il ancre le jeu dans une période temporelle et tendent à faire très mal vieillir une œuvre. Jouez donc à Borderlands The Pre-Sequel pour vous hérisser sur le « Double Rainbow all the waaaay » sortant de nulle part pour vous faire une idée.
En tête, le seul jeu qui réussit à mêler efficacement références modernes à son texte est Phoenix Wright, déjà car il a une approche assez subtile avec ces derniers et évite les références directes.
De deux, ces références sont souvent faites de façon à rester drôle même sans connaissance du contexte derrière ou du moins ne brise pas le rythme de la narration. (après il y aurait long à dire sur la décision de changer complètement le pays du jeu en Amérique, mais c’est un autre sujet)
Une leçon que Treehouse aurait bien fait de prendre avant de nous faire part de leurs talents d’écrivains. Le texte d’origine est en effet charcuté de partout et les différences entre VO et VF sont ahurissantes. D’autant plus décevant que Nintendo a récidivé avec Tokyo Mirage sur Wii U plus tard. Dur de soutenir une entreprise avec si peu d’intégrité qu’elle est prête à déchiqueter son œuvre afin d’être certaine de ne choquer personne, quitte à nuire à l’identité de son jeu. Localisation d’autant plus détestable que les très bons exemples de localisations ne sont plus des raretés avec des cas comme xSeed et Trails of Cold Steel.
Fates est un jeu qui passe son temps à se mettre des bâtons dans les pattes, avec nombre de décisions contradictoires qui viennent former un tout incohérent et en décalage de ses promesses initiales. Elle peine à se trouver une identité en se voulant être « l’héritier d’Awakening et de Fire Emblem », image dont elle a du mal à se détacher vu ses mécaniques. Dommage, car la direction artistique et la bande-son étaient fort réussies. Annoncé comme un immense conflit dramatique et ambitieux, Fates ne sera qu’une tentative de « formule sûre » perdue entre deux mondes.
Conquête : 7/10
Héritage : 4/10
Révélations : 4/10