Tired Emblem
Entre les temps de chargement aussi interminables que les dialogues, et ces derniers étant aussi insipide que les phases d'exploration du monastère, il n'y a pas grand chose à sauver de ce Fire...
Par
le 13 oct. 2019
14 j'aime
11
Jeu de Intelligent Systems, Koei Tecmo Games et Nintendo (2019 • Nintendo Switch)
L’histoire se raconte déjà comme une légende. Délaissée par le public, la saga de jeux de rôle tactiques Fire Emblem trouve dans Awakening, sensé être son baroud d’honneur, une renaissance inespérée. La frénésie la pousse alors jusque dans les plus étranges directions, entre cross-over avec Dynasty Warriors, jeu mobile à microtransactions, et double épisode Fates plus préoccupé par sa rentabilité que par son épopée. La fièvre retombant, il était temps de décider de la marche à suivre pour le prochain grand chapitre de la saga : Three Houses.
Le continent de Fodlan a tout d’un croisement improbable entre Game of Thrones et Harry Potter. Trois pays en-paix-mais-pas-trop, avec à leur frontière commune un monastère faisant office d’académie militaire pour une jeunesse venue de tous les horizons et organisée en trois maisons. Les références de Three Houses sont bien sûr toutes autres (plutôt Fire Emblem 4 et les Romance of the Three Kingdoms), mais le spectateur occidental, le sourcil déjà levé, se sentira bien vite chez lui dans cet univers pourtant inédit. C’est aussi le terrain idéal pour une aventure qui oscille volontiers entre tranche de vie innocente et récit dark fantasy, entre musique épique et fan service plus sage que dans Fates (si l’on omet quelques bêtises comme le design de l’avatar féminin et la possibilité de romance avec un être millénaire-mais-au-corps-de-fillette).
Nouvelle recrue du corps enseignant de l’académie, notre avatar, mercenaire à qui on ne la fait plus, a pour première tâche de devoir choisir la maison qu’il s’agira de tutorer. Chacune, menée par un délégué d’ascendance royale, comporte huit élèves, nobles comme roturiers, soit autant de personnages jouables. Chaque maison possède sa spécialité (lances, arcs, magie), mais surtout, chacune est liée à l’un des trois Etats de Fodlan, ce qui définira d’abord les quêtes de la première partie du jeu avant de tout bonnement faire évoluer l’intrigue dans une direction très différente. Déjà, on entrevoit les velléités de rejouabilité de Three Houses.
Ce premier choix est déjà cornélien, et ce, grâce à la réussite que constituent les vingt-quatre élèves. Hauts en couleurs et cernés dès le premier regard, ils sont répartis de telle sorte qu’il y aura toujours quelqu’un dans une classe que l’on veut bichonner et surtout pas voir devenir notre ennemi. Ce choix initial n’est que faussement aidé par la possibilité de recruter des élèves dans d’autres classes, car la procédure est volontairement laborieuse. Heureusement, une quatrième catégorie de personnages jouables, le personnel de l’académie, pourra compléter les rangs indistinctement de la maison, pour une équipe finale qui, quoi qu’il arrive, ne dépassera pas la douzaine d’unités en mission.
Si le casting est une franche réussite, on ne peut décemment pas en dire autant des décors et, par extension, de la réalisation du jeu. Quiconque attendait d’un Fire Emblem confié à Koei Tecmo la fluidité de Fire Emblem Warriors sera sans doute déçu d’apprendre que c’est une toute autre équipe qui est en charge du titre. À des années lumière de la finition attendue pour un jeu majeur de Nintendo, Three Houses réussit l’exploit de faire chauffer plus que de raison la console en affichant, avec un framerate aléatoire, des décors dont la direction artistique n’arrive pas à faire oublier les problèmes techniques. Évidemment, les cartes quadrillées en vue du dessus s’en sortent mieux que le reste (cutscenes, exploration, animations de combat), mais on regrettera que le style plus réaliste qu’avant nuise un brin à la lisibilité.
Après des années de 3DS, la principale victime du passage sur Switch est bien l’ergonomie générale. Alors qu’avant un écran tactile entier était dédié à disposer les informations sur lesquelles il suffisait de cliquer pour en obtenir les détails, ici tout se superpose à l’action et demande de presser un bouton puis de déplacer un curseur jusqu’à atteindre enfin l’option que l’on veut voir précisée. Des options si nombreuses à l’écran qu’une fois en mode portable, certaines ne sont pas loin d’être illisibles. La plus grande réussite des épisodes 3DS devient tout à coup le plus gros point faible de Three Houses. Cependant, celui-ci apporte des choses dont ses prédécesseurs ne pourraient que rêver, comme la possibilité de voir pendant son tour si un personnage est ciblé par un adversaire, et pour quels dégâts. Le genre de petits détails qui changent totalement l’approche d’une mission.
Et c’est le genre d’options bienvenues face à des adversaires qui ne se privent pas pour opposer jusqu’à plusieurs dizaines d’unités. Au passage, si vous entendiez dans le titre Three Houses la possibilité de batailles à trois armées façon impasse mexicaine, on regrette que cela n’arrive si peu tant cela fonctionne. Mais entre la virtuosité du level design et des situations, ou encore les ennemis massifs occupant avec leurs multiples barres de vie plusieurs cases de la carte, on ne manque certainement pas de choses à faire au combat.
Si l’on s’émeut encore, des dizaines d’heures après, de la réalisation de Three Houses, il suffit de regarder son générique de fin pour comprendre ce qu’il se passe. Une dizaine de programmeurs contre les quelques cent-cinquante designers dédiés aux personnages, ce sont bien nos héros qui sont le fruit du plus gros du travail. Et c’est peu de le dire car, pendant que Three Houses peaufine toujours plus les combats de la série, il révolutionne ce qu’il se passe en dehors.
L’histoire est découpée en chapitres d’un mois avec, au dernier jour, une mission principale scénarisée. Le reste du temps, compté en semaines, vire alors au jeu de gestion de ses précieuses troupes. La logique rappelle Persona 5, où le temps est une ressource limitée à répartir entre diverses activités. La grosse réussite de ce système, c’est justement de nous faire nous poser devant le calendrier, chaque mois, pour planifier notre temps libre. Cela peut être déjeuner en bonne compagnie, restaurer de vieilles statues du monastère pour obtenir des bénédictions, rendre des objets trouvés à leur propriétaire supposé, ou juste se reposer pour remonter le moral des élèves et leur assurer plus d’efficacité en cours. Le but est toujours le même pour nos troupes : améliorer des talents qui, selon leurs rangs respectifs, permettent de passer des certifications et débloquer de nouvelles classes (pas celles qu’on donne, celles qu’on attribue). L’équilibre entre gestion et combats est quant à lui à la carte, puisqu’une partie du temps libre peut-être consacrée aux missions annexes, parfois scénarisées, pour des runs oscillant entre quarante et quatre-vingt heures.
Totalement débridé, le système de classes devient même l’outil le plus fascinant offert par le jeu aux stratèges. Chacun de la grosse trentaine de personnages jouables peut ainsi prétendre non plus à une petite dizaine de classes maximum, mais bien à la quasi totalité de la quarantaine présente (hormis quelques sempiternelles exceptions). Évidemment, tous les élèves ont leurs préférences et même leurs talents cachés qu’il s’agit d’aller dénicher pendant les cours. Mais l’immense liberté ainsi que les combinaisons possibles de talents de différentes classes donnent simplement le tournis.
Face à un chamboulement qui occupe une si grande partie du temps de jeu, on aurait apprécié que le reste fasse l’objet d’un peu d’épuration. Car en l’état, Three Houses est un jeu qui déborde de systèmes à ne plus savoir quoi en faire. Il ne sera pas rare d’arriver à la fin de sa première partie sans avoir compris l’ensemble d’entre eux. Entre les emblèmes, les escouades (sans doute l’une des plus importantes nouveautés), les techniques, la forge, les assistants, etc., les préparatifs d’une bataille peuvent parfois durer aussi longtemps que la bataille elle-même. Heureusement, la profondeur est là, mais cette complexité parfois inutile est d’autant plus dommage quand Fire Emblem Echoes avait proposé des solutions aussi simples qu’intelligentes.
On regrette par exemple que la magie et les capacités (compétences liées aux types d’armes) ne soient plus régies par la même épée de Damoclès et aient plutôt leurs propres contraintes, auxquelles les ennemis semblent de surcroit injustement échapper. La durabilité des armes devient un poids dont on se serait passé, et le moindre mage ennemi est un danger sur patte. Ce n’est peut-être pas pour rien si, dans les premiers objets consommables dans la besace du héros, on trouve des breuvages augmentant la résistance à la magie, comme une tentative de rééquilibrer en catastrophe un système trop complexe pour être repensé. Par chance, la difficulté de base n’oblige pas à maitriser tous les systèmes et ce, sans même évoquer les options d’accessibilité bienvenues pour désactiver la mort permanente ou remonter le temps quelques fois par mission. Mais c’est à croire que, en voulant aller le plus loin possible, Three Houses se retrouve écrasé sous son propre poids.
Un sentiment similaire traverse l’écriture du jeu. Certes, aucune des trois (en fait quatre) histoires n’est la version définitive, et c’est un vrai plus. Cependant, on s’étonne en fin de partie d’avoir cette sensation d’inachevé ou, plus probablement, de mal amené. À vouloir répartir tout son univers sur autant d’intrigues, Three Houses l’étale parfois tant que ce qu’il reste dans chacune semble léger. Ça peut être des éléments clés de l’intrigue résolus en une ligne de texte dans l’épilogue ; Ça peut être des personnages secondaires plein de mystères disparaissant subitement parce que leur développement dépend d’une autre route ou d’une quête bien cachée ; Ça peut être le développement des personnages, qui les sort des archétypes auxquels on les pensait réduits, éclaté en tant de saynètes que chacune donne l’impression de prendre trop de temps pour ne rien raconter. L’immensité de Three Houses a un coût. Pour en avoir une vision complète, une seule run ne sera jamais suffisante. Et quelque part, c’est son talent de nous faire pardonner ces moments de flottement en faveur de ce qui tient d’un long voyage en bonne compagnie. Car quand, malgré nos efforts, Bernadetta tombe sur le champ de bataille, on sait que l’on fera au moins un new game + pour réparer cette infamie.
Three Houses n’est ni trois jeux en un, ni un jeu étalé sur trois faces. C’est l’entre-deux, pour le meilleur comme pour le pire. A la fois écrasé par ses ambitions et porté par sa générosité, il est d’une souplesse inégalée et capable de s’adapter à une majorité d’approches. Nous serons nombreux à ne pas vivre Three Houses de la même manière. Mais entre les échanges sur ces expériences et l’attachement à son univers, les raisons d’y retourner et retrouver ses systèmes précis ne manqueront pas. Un épisode mastodonte et d’une richesse qui, parfois, franchit la barrière de l’absurde. Mais même avec un arrière-goût amer, on retourne volontiers se servir au buffet.
Créée
le 3 nov. 2019
Critique lue 292 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Fire Emblem: Three Houses
Entre les temps de chargement aussi interminables que les dialogues, et ces derniers étant aussi insipide que les phases d'exploration du monastère, il n'y a pas grand chose à sauver de ce Fire...
Par
le 13 oct. 2019
14 j'aime
11
En 2019, dans Fire Emblem, la guerre c'est une vision très personnelle de la chose. D'accord il faut décimer les unités ennemies à dos de wyvernes. Mais il faut aussi boire le thé avec la nana au...
Par
le 24 août 2019
10 j'aime
13
Titre inspiré de: “Trois tyrans : la loi, l'usage et la nécessité.” de Ménandre Même si Fire Emblem est, et de loin ma licence préférée, je dois bien admettre que je n'ai pas touché à un nouveau jeu...
Par
le 24 juin 2020
9 j'aime
10
Du même critique
ATTENTION, CETTE CRITIQUE COMPORTE DES RÉVÉLATIONS SUR LA FIN DU JEU Entre un Other M qui ne met personne d’accord et un Federation Forces qui fait l’unanimité pour les mauvaises raisons, voilà dix...
Par
le 17 avr. 2019
5 j'aime
1
Dans la vie de toute saga de niche, il arrive que les astres s’alignent et qu’un épisode ait la possibilité de devenir la coqueluche du public. Persona 5, entre dungeon-RPG et psychanalyse nekketsu,...
Par
le 7 mai 2019
3 j'aime
1
En plus de deux ans, je n’ai jamais réussi à parler de Nier Automata. Je n’ai jamais trouvé les mots, et ce n’est pas faute d’avoir fait partie de l’inébranlable defense force de son prédécesseur,...
Par
le 23 mars 2019
3 j'aime