Persona 5
8.5
Persona 5

Jeu de Atlus et Deep Silver (2016PlayStation 4)

Dans la vie de toute saga de niche, il arrive que les astres s’alignent et qu’un épisode ait la possibilité de devenir la coqueluche du public. Persona 5, entre dungeon-RPG et psychanalyse nekketsu, a mis les bouchées doubles pour faire entrer sa saga dans la cour des grands.


C’est l’histoire de lycéens tokyoïtes qui découvrent une dimension parallèle à la nôtre. Dans cet espace, la psyché humaine bâtit des palaces, reflets de l’impunité dont jouissent les puissants dans le monde réel. Révoltés et aidés de leur Persona, nos héros en herbe décident de changer la société, un adulte corrompu à la fois, en volant le trésor de leur palace respectif pour « changer leur cœur ». Ça commence par leur lycée, devenu un château, où un professeur de sport ex médaillé olympique harcèle les élèves jusqu’à l’agression physique. Puis c’est un faussaire, la mafia, et ainsi de suite. Ces palaces et leur braquage sont la plus grande réussite du jeu, tous avec leurs idées, bien loin des couloirs vides et copiés/collés de Persona 4. D’un côté, Persona 5 prend aux tripes dès le début, mais de l’autre, jamais il ne renoue avec l’intensité de son premier acte.


Troisième épisode du réalisateur Katsura Hashino, Persona 5 propose une nouvelle fois le concept signature de ses deux prédécesseurs. Les joueurs et joueuses sont invités à passer un an dans la peau d’un jeune homme fraichement débarqué à Tokyo. Chaque nouvelle journée est l’occasion d’étudier, de travailler, voir ses amis, faire du sport, ceci afin de mieux se préparer pour partir explorer les donjons. Le temps est ainsi une ressource limitée qu’il est important de bien gérer, et des dates butoirs à ne pas dépasser structurent l’histoire en différents épisodes tout en mettant la pression. Terminer un palace avant sa date butoir est d’ailleurs une des sensations les plus plaisantes que le jeu a à offrir.


Une telle structure fait qu’il paraît impossible de trouver le temps pour tout voir sans s’aider d’un guide. Cela n’empêche pas Persona 5 de durer au minimum une petite centaine d’heures, et il ne faudra pas compter sur l’intrigue, contée comme une série, pour renouveler les situations ou changer l’univers en cours de route. Loin des épopées légions dans le RPG japonais, Persona ne quitte jamais ses quelques quartiers de la capitale. Afin de ne pas lasser, il faudrait alors une incroyable gestion du rythme, mais à toujours vouloir faire plus, comme une certaine vision de l’adolescent qui veut prouver sa valeur, Persona 5 en fait trop. Une discussion qui n’en finit pas, un palace qui s’éternise, des allers et retours injustifiés, un jeu tout entier qui annonce trois fois sa bataille finale… Persona 5 est un jeu de cent heures qui devrait en durer 70 au grand maximum, de quoi faire douter d’en voir un jour le bout.


Il se donne pourtant un mal fou pour rendre chaque moment agréable. L’emballage global du jeu lui donne un panache qui est il faut bien le dire son premier argument de vente. Les interfaces ultra-stylisées et les musiques délicieuses ne sont que la partie émergée d’une réalisation des plus soignées, qui fait oublier que l’on est face à un jeu PS3, et pas le plus techniquement ambitieux. La direction artistique de Persona 5, c’est ce moment de Thor Ragnarok où Valkyrie marche au ralenti, des feux d’artifice dans le dos : un show là pour mettre des étoiles dans les yeux.


On aurait aimé que le reste soit aussi flamboyant. Persona 5 se prend extrêmement au sérieux, mais oublie au passage de se délester de tous ses archaïsmes. Il étale ses dialogues aux airs clichés japanime, où chaque personnage va donner sa réplique sur une même situation selon son trait de caractère principal. Dans ces moments, nos Phantom Thieves perdent en profondeur pour devenir des personnages fonction, des caricatures d’eux-mêmes sans plus de développement. Eux qui rêvent d’émancipation ressemblent parfois à des pantins au regard vide. Ryuji incarne bien cette contradiction : caricaturé par le jeu comme le « vulgar boy » qui hurle au « shitty adult » (à en devenir un meme), on en oublie l’histoire tragique du jeune homme mutilé aux rêves brisés. Le game design se trimballe aussi ses vieux démons, lorsque par exemple la mort du héros provoque encore et toujours un game over quand bien même le reste de l’équipe est debout. Une aberration dans un jeu où les ennemis disposent de sorts de mort instantanée. Quand même son cousin Shin Megami Tensei IV, pourtant réputé pour son austérité, s’est débarrassé de cette fausse bonne idée trois ans avant, il y a de quoi se questionner. Pas vraiment souple malgré de vrais progrès, Persona 5 est cet adulte qui nous enferme dans notre chambre et nous empêche trop souvent de vivre notre vie. C’était pourtant la promesse. Elle s’envole chaque fois que Morgana décide à notre place que l’on est fatigué.


Persona 5 déploie une telle armée d’idées qu’il y en aura toujours une pour voler notre coeur, du blondinet punk à la professeure avec une double vie. Impossible de ne pas lui reconnaître ses qualité, mais derrière chacune d’elle, il y a un « mais ». Mis bout à bout, ils finissent par peser et laisser un arrière gout et de la frustration. Persona est en devenu le cool kid de la récrée, celui qui préfère entretenir son public avec du rab de fan service plutôt que faire son autocritique. C’est peut-être cette maturité qui lui manque pour devenir vraiment « grand ».

Ensis
8
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le 7 mai 2019

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