Alors oui, 'juste' 7/10. Mais s'il y a bien un truc auxquels servent les petits cœurs sur Sens Critique (ces mêmes petits cœurs que pas deux personnes ne semblent utiliser avec la même logique), c'est bien de pouvoir (se) dire "OK, j'ai été déçu, OK, ç'aurait pu être mieux, mais mince j'ai tout de même passé un temps inoubliable devant".
Donc déception ici, parce que l'on nous promettait les grandes étendues d'une réserve naturelle du Wyoming, et qu'à l'arrivée ce parc possède l'allure et les ambitions que l'on pouvait logiquement attendre d'une production indépendante. Sans être minuscule, la carte est loin d'être immense pour autant, et surtout bardée de murs invisibles et de chemins tout tracés ; ça, ça passe déjà moins bien 2016, surtout quand tant de représentants du genre sont déjà passés par là et ont prouvé qu'il était possible de camoufler habilement les limites de son univers. Le bon côté, c'est qu'avec cette direction narrative nous poussant à emprunter les mêmes chemins à plusieurs reprises, on se surprend à vraiment (re)connaître le terrain, passées les premières fois où l'on recherche laborieusement l'ouverture vers la suite, on finit par connaître de tête tous les chemins pour se rendre aux endroits-clés. C'est très intéressant car on peut dès lors se passer totalement de mini-carte, de marqueurs de quêtes flottants et autres pourritures jalonnant nos productions modernes, qui ont contribué à doter le joueur contemporain d'un sens de l'orientation et d'une autonomie opérationnelle dignes d'une poule. Le décor reprend sa véritable nature, un véritable terrain de jeu, et pas simplement une carte postale glorifiée. C'est juste dommage que le terrain en question soit à peine plus grand/dense que la maison de Gone Home, finalement.
Et donc ç'aurait pu être mieux aussi, parce que derrière ce projet se cristallisaient beaucoup d'attentes quant au renouveau de la scène indépendante et du jeu narratif au sens large ; mais qu'à l'arrivée, si Firewatch se montre rigoureux et appliqué, il n'est en rien (r)évolutionnaire dans un genre qui pourtant a d'ores et déjà grand besoin de se revitaliser avant de commencer à tourner à l'auto-parodie. Ce n'est sans doute pas de chance d'arriver un mois après OXENFREE, qui, à sa manière, a tenté timidement de changer les choses, mais il y a aussi tout un parti-pris derrière le titre qui achèvera de le clouer au sol. Cette obsession pour la littérature, très manifeste tout au long du titre, et louable au premier abord, se traduit toutefois par une simplification outrancière de la narration, au point d'en renier ses spécificités vidéoludiques. On pourra y voir, lire et entendre ce que l'on souhaite, mais on nous demandera d'interpréter, d'extrapoler en permanence, comme pour combler les lacunes d'un jeu vidéo s'avouant déjà vaincu. A la manière d'un bon bouquin, Firewatch pose un univers riche en détails et laisse au joueur le soin d'esquisser les contours de sa propre vision, à l'aide de sa psyché ou de ses expériences passées. Or, si c'est ce que j'attends d'un bon bouquin, un jeu vidéo se doit d'aller plus loin en rendant tangible cet univers. Dans un monde parfait, on ne devrait pas avoir à s'imaginer la vie au pied de la Tour dans Destiny, on devrait pouvoir y assister, y participer. Les limites techniques étant ce qu'elles sont, le jeu vidéo total n'existe pas (encore), nous autres joueurs nous retrouvons donc à la merci de ce que développeurs décident de nous montrer ou non.
En l'occurrence, si l'on nous montre beaucoup, on restreint de même énormément notre champ d'action, par le biais de ces frustrants murs invisibles, nous imposant le chemin incontournable entre le point A et le point B, de ces dialogues finalement peu impactant, où pour schématiser on nous demandera si l'on préfère la compote de pommes ou de poires, sans que cela n'ait une quelconque incidence sur l'issue-même de la discusion ; enfin, de cette narration pressante, faite d'ellipses, où l'on se retrouve à imaginer le quotidien de Henry entre deux temps de chargement alors qu'il était pourtant là à nous tendre les mains, prêt à être exploré. En littérature, de l'épure naît l'ambiance, c'est même à cela que l'on reconnaît un grand roman d'un roman de gare, l'erreur fatale de Firewatch sera de penser qu'un même crédo peut s'appliquer au jeu vidéo, avec un résultat plus que frustrant dans le cas qui nous intéresse : on peut regarder, mais pas toucher, et que le Patron nous garde de dévier un peu trop du schéma initialement précu. Alors, autant tout cela passe pourtant très bien dans un jeu Telltale, autant ici le titre triche en se faisant passer pour ce qu'il n'est pas : libre et ouvert aux interprétations. La dissonance ludo-narrative érigée au rang de cas d'école.
Pour autant, j'ai passé un moment véritablement marquant devant le premier titre de Campo Santo. Car aussi guindé soit-il, il n'est pas question de renier la réussite formelle que représente le jeu. De la direction artistique à l'ambiance sonore, la musique, en passant par l'écriture, les interprétations vocales, le rythme au cordeau, voire même le scénario (dont le final paraît éventé au premier abord, alors qu'il est en fait plutôt malin, et peut-être même un des meilleurs de ces derniers temps, dans une industrie qui ne sait plus bien terminer ses jeux), tout y fait preuve d'une maestria irréprochable. Même le lore est très réussi, et bien implémenté de surcroît. C'est simplement incroyablement dommage qu'auprès de toutes ces réussites qui auraient bénéficiées à la création d'un film ou d'un livre exceptionnel, soit mis de côté le vecteur d'interactivité, pourtant le plus important dans la création d'un jeu vidéo. Il y avait de quoi faire pourtant : le titre aborde des thématiques matures, dont certaines ont trouvé chez moi une résonance toute particulière et personnelle ; le rythme, couplé au scénario, ont réussi à me tenir engagé sur de multiples sessions de 15-20 minutes réparties sur deux semaines, là où un jeu de cet acabit ne me résiste généralement pas plus d'une soirée ; enfin, l'idée de l'appareil photo jetable est très bien implémentée, pas un simple gadget, c'est surtout un véritable plaisir de voir ses clichés défiler lors du générique final, et de se remémorer certains moments-clés, comme on ressortirait un album photo de vacances. Tout, dans Firewatch, m'exorte à aimer ce jeu de tout cœur, dans cette immersion au sein d'un univers distant mais familier, dans ces journées printanières au milieu de la Nature, dans ces chaudes nuits estivales où peur, excitation, adrénaline et contemplation se conjuguent au sein d'une même randonnée, dans cette collection de souvenirs et de clichés amassés, dont la simple évocation future suffira à me provoquer un petit pincement au cœur.
Alors pourquoi, ô pourquoi, pendant 3 heures je n'ai pas eu l'impression de jouer MON histoire mais celle d'un autre, et comment autant de qualités irréfutables peuvent-elles se retrouver en équilibre si précaire à cause de quelques misérables défauts ? En jeu vidéo, comme partout ailleurs, il y a des choses qui ne s'expliquent pas, et qui ne tiennent qu'à l'instinct. Firewatch en fait partie, mais grand bien lui fasse, le titre restera gravé dans un coin de ma tête pendant un long moment.