Capitaine, regardez! Sur l'écran de contrôle! Y a rien! Y a rien du tout!

Pour ceux qui n'auraient pas la ref.

Alors que les jeux narratifs sont devenus légion en l'espace d'une décennie et qu'ils suffoquent parfois le joueur dans un dirigisme étouffant pour lui imposer leur narration pas toujours de grande qualité, le terme de "film interactif" est devenu quelque peu galvaudé et souvent employé à tort et à travers. Je pense néanmoins pouvoir affirmer que Fort Solis est le premier "jeu vidéo" depuis la lointaine époque des FMV à pouvoir totalement assumer ce titre péjoratif ; voyez plutôt : l'intégralité du récit va en effet consister à déambuler à deux à l'heure dans un espace vide avec des interactions surtout associées aux portes et aux ordinateurs tandis que les QTE sont tellement espacés qu'on en vient presque à oublier leur existence, le tout au fil d'un scénario presque intégralement émaillé d'emails, de messages audios et de confessions vidéos.


Problème : le jeu prend quasiment tous les aspects inintéressants des différents genres de jeux narratifs sans jamais en réitérer la réussite; le choix de la vue TPS est déjà assez malheureux pour l'immersion d'un Walking Simulator mais contrairement à ses illustres prédécesseurs, la surface de jeu à explorer est bien trop grande pour une capacité de déplacement aussi réduite, donnant simplement l'impression de meubler littéralement par deux heures de marche un film qui aurait gagné à s'enchainer de façon bien plus fluide. Le jeu vidéo a déjà démontré que fondamentalement, marcher pouvait constituer l'essence même d'un titre mais là où un Everybody Gone to the Rapture distillait une ambiance mélancolique, propice à cette contemplation forcée; Fort Solis joue bien laborieusement la carte du suspense où l'inertie du personnage devient presque risible face à l'urgence de la situation (les rares courses poursuites du jeu seront relayées aux cinématiques).


C'est également un film interactif dénué du moindre choix moral où il est même permis de penser que les QTE n'ont en réalité aucune incidence sur le déroulement de l'action. Problème à nouveau : comme mentionné précédemment, le jeu va nous imposer sa foutue marche d'escargot dans un dédale futuriste, là où les jeux narratifs sont généralement structurés en chapitres afin de diversifier l'aventure proposée et d'offrir un certain rythme à l'expérience véhiculée, malgré sa teneur intimiste.


Enfin et c'est un comble : le jeu se voudrait presque Resident Evilien dans son approche du décor et ses chemins bloqués par des clés numériques; problème évident à nouveau : si vous avez le malheur de vous planter de direction, vous êtes bon pour un aller retour à pas lents, en essayant désespérément de faire passer le temps, le long du trajet. Si vous aviez rêvés d'incarner un jour les célèbres paresseux de Zootopia, Fort Solis en est sans doute l'incarnation la plus proche.


Et le pire dans tout ça, parce que c'est pas fini oui, c'est que le scénario n'a finalement pas grand chose à raconter en définitive et se voit plombé par deux écueils assez vite omniprésents dans le récit :


-Déjà, on nous refourgue la sempiternelle voix off / compagnon / assistante du joueur avec laquelle le héros va être en communication durant la majorité de l'aventure, depuis que les jeux vidéos modernes se sont mis à craindre le silence comme leur pire ennemi pour un public visiblement jugé trop peu attentif pour suivre un récit, sans être rappelé à l'ordre toutes les dix secondes (tout le monde n'utilise pourtant pas Tiktok mais c'est ainsi). Et de surcroît, ces dialogues constants vont surtout être l'occasion d'une dérision faussement désinvolte, très prisée des scénaristes envieux du succès des Marvel; ça peut passer au début comme une tentative de se rassurer vainement face à la gravité de la situation mais ça fait surtout passer le personnage pour un con quand il est encore en train de faire des blaguounettes à proximité du deuxième cadavre encore chaud qu'il a trouvé en explorant les lieux.


-"Que s'est-il passé à Fort Solis?" C'est bien la question que le jeu nous pose d'entrée de jeu et c'est tout le mystère auquel le joueur va se raccrocher pour se motiver à poursuivre cette, heureusement, courte aventure. Le problème à nouveau, c'est que la cohérence du jeu s'effondre vite en morceaux dans une tentative désespérée de dissimuler cette énigme aux yeux du joueur : comme je l'ai déjà dit, la grande majorité du récit va être véhiculée par des enregistrements audios et visuels, ça coute moins cher à produire que des cinématiques soit; mais par essence, ces documents sont voués à être entendus uniquement par les intéressés ou leurs proches, il n'y a ainsi aucune raison qu'ils dissimulent à eux mêmes les raisons de leurs galères et ne cessent d'éluder en permanence le fruit de leurs recherches, comme s'ils étaient soudainement conscients qu'un joueur allait épier leur conversation et qu'il ne fallait pas leur spoiler la fin de l'intrigue. A partir du moment où vous avez remarqués cet écueil, autant dire qu'il va vous sauter à la figure du début à la fin du jeu, un peu comme si les protagonistes de Bioshock faisaient tout pour ne pas mentionner les Petites Sœurs et leurs Protecteurs, alors qu'ils font évidemment parti intégrante de leur vie commune.


Bref c'est un ratage complet à quasiment tous les niveaux sauf un, heureusement, et qui m'a motivé à donner malgré tout sa chance au jeu (j'aurais pu me regarder un film à la place pour le coup mais bref): la direction artistique extrêmement réussie du jeu, surtout pour les amateurs de Hard SF, cette variante de la science fiction qui se veut davantage rationalisée et une anticipation des technologies à venir, qu'une vision du futur complètement déconnectée de notre réalité. Et après avoir enchainé les deux volumes passionnants de 2001 Night Stories dernièrement, le visuel de Fort Solis était au moins du bonbon pour les yeux et j'avoue avoir presque de la peine pour les merveilleux artistes qui ont tant œuvré pour ce décor sublime et qui ont dû tirer une sacrée tronche en voyant le résultat final de leur jeu (bon, au moins leur travail est constamment sous le nez du joueur, avec les choix hasardeux de "gameplay"). Je ne peux malheureusement pas en dire autant du Sound Design très timoré ou des musiques quasiment inexistantes; cela fait simplement plaisir d'entendre à nouveau le Arthur de Red Dead Redemption 2, même s'il n'a malheureusement pas beaucoup de matière à jouer (et il faut également supporter un Troy Baker une énième fois en roue libre; comment ce mec arrive à trouver autant de boulot dans l'industrie, cela restera toujours un mystère pour moi).


Une dimension Hard SF qui sera également assumée jusque dans la véritable teneur du scénario, ce qui représente mine de rien un élément assez inhabituel dans le cadre d'un jeu vidéo et peut être également accordé au crédit du jeu. Ici, pas d'entité extraterrestre malveillante ou de force surnaturelle qui dormait dans les profondeurs; tout est question en vérité d'un virus crée dans l'espoir d'insuffler de la vie sur Mars et d'un personnel qui devient paranoïaque à l'idée d'une possible contamination de la Terre, le récit ayant également le mérite de laisser suffisamment de zones d'ombres sur la gravité réelle de la menace pour laisser le joueur se faire sa propre interprétation du déroulement des évènements, même s'il a plus de chances d'être dégouté, qu'autre chose, après être parvenu à une fin particulièrement abrupte. D'autant qu'il est également possible de se questionner si ce récit n'aurait pas tout simplement pu avoir lieu sur Terre tandis que le cadre martien s'avère finalement assez négligé dans le fil du scénario.

Bref, imaginez un monde où les documents audios de Dead Space, Alien Isolation ou Doom 3 auraient formés un jeu et vous serez assez proche du ressenti de ce Fort Solis. J'ai toujours tendance à avoir plus de curiosité pour le jeu vidéo que d'autres médias et je suis ainsi plus enclin à conseiller des œuvres imparfaites dans ce vaste domaine de l’interactivité mais encore faut-il qu'il soit question justement d'interactivité et là j'avoue qu'il fallait non seulement la chercher mais également comprendre l'intérêt finalement de la manœuvre. Un film en Live Action aurait finalement couté presque moins cher à produire (nonobstant les très rares plans où la planète Mars est visible mais l'intégralité du récit se situe dans des environnements intérieurs et plutôt réalistes) et au moins, on se serait simplement fait chier pendant deux heures avant de passer à autre chose.


Qu'est ce qui s'est passé pendant la production de Fort Solis? C'est finalement la question la plus intéressante qui demeure à l'issue de cette laborieuse expérimentation plus cinématographique que vidéoludique.

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