Un RPG narratif dans un univers cyberpunk, à première vue pas de quoi faire la fine bouche; néanmoins, le jeu s'oriente davantage vers une réflexion sur les réalités fictives que des considérations sur le transhumanisme : dans un monde où les jeux vidéos addictifs sont désormais légion, l'humanité est devenue tellement dépendante à ces univers fictionnels que des enquêteurs sont spécialisés dans la résolution de mystères liés au dysfonctionnement de ces programmes chronophages; ce détective du virtuel, c'est bien évidemment vous et le récit va ainsi vous trimballer aux quatre coins de la toile pour résoudre une poignée d'enquêtes dissociées en apparence.
Si la perspective d'un Ready Player One plus premier degré vous semble alléchante alors inutile d'hésiter plus longtemps, d'autant que le titre lorgne volontiers vers une satire de l'actualité vidéo-ludique entre groupements sociaux improbables sur les MMORPG, la progression à la fois gratifiante et frustrante des jeux mobiles ou même l'explosion de l'e-sport et ses inévitables dérives; néanmoins, ce n'est pas tout à fait le tableau promis par la perspective d'un Blade Runner interactif et malheureusement, quelques séquences seulement renoueront avec une atmosphère plus archétypale du genre avec ces néons, hologrammes et autres ruelles dégueulasses. Pour le reste, le jeu nous assomme au départ avec un tutoriel un peu poussif alors qu'il est bien moins complexe à appréhender qu'il n'y paraît au premier abord; notre personnage sera principalement défini par quatre caractéristiques sociales (schématiquement l'Empathie, la Force, le Piratage ou la Déduction) qui augmenteront à la plupart des choix de dialogues à notre disposition; les points de compétences octroyés vous permettant ainsi d'acquérir des aptitudes en lien direct avec ces caractéristiques. Comme dans The Council (et dans une moindre mesure Vampire : Swansong), cette approche revient un peu à faire de la divination car il est bien difficile d'anticiper à quel moment ses compétences se révèleront utiles dans le déroulement de l'aventure, découlant davantage d'une logique RolePlay que d'une réflexion plus poussée; néanmoins, le jeu fait preuve d'un certain équilibrage efficace en la matière en offrant une multitude de résolutions possibles pour ces différentes quêtes, de telle sorte que vos arbres de talents devraient normalement se révéler adéquats tôt ou tard pour faciliter votre progression.
A dire vrai, le jeu emprunte de toute façon beaucoup à la démarche plus linéaire des jeux épisodiques post TellTale Games, reprenant même les habituels "Jean-Philippe s'en souviendra", "cette action aura des conséquences" et autres artifices narratifs plus ou moins illusoires; même le système de déduction est directement emprunté aux récents jeux Sherlock Holmes avec beaucoup moins de brio que son modèle : là où les indices permettaient d'échafauder de nombreuses théories et hypothèses dans les productions de Frogwares, elles représentent ici des barrières beaucoup plus superficielles pour entraver le déroulement de l'enquête, amenant le joueur à émettre des jugements beaucoup trop hâtifs par rapport à la somme des informations récoltées. Une approche qui laisse quelque peu perplexe d'autant que l'écriture n'est pas toujours très finaude sur la manière d'exposer son univers au joueur, lui demandant également d'émettre une opinion très tranchée sur des bouleversements sociaux dont il vient à peine de prendre connaissance.
Fort heureusement, le récit parvient à briller davantage sur le long terme, notamment en incorporant totalement la dimension conspirationniste et paranoïaque du cyberpunk : ici tout le monde est un suspect éventuel, une main tendue est souvent synonyme d'un couteau dans le dos et la confusion identitaire de notre personnage nous amène à questionner fréquemment la réalité des évènements qui nous sont présentés. Un tiraillement pas forcément dépaysant pour les lecteurs habitués aux écrits de Philip K Dick mais tout de même rarement retranscrit avec une telle ambiguïté dans le jeu vidéo, même si d'autres œuvres comme Observer ont également eu déjà leur mot à dire à ce sujet.
A noter qu'à la manière de Baldur's Gate 3 prochainement, le jeu permet également de choisir des personnages avec un background déjà bien défini au lieu d'une coquille créée de toutes pièces par nos soins; néanmoins, j'ai un peu de mal à décerner une réelle Replay Value dans un jeu d'enquête où le sentiment de découverte prime bien plus que l'interactivité proposée. Une expérience avec des fondations solides donc mais qui manque d'un brin de folie et peut être de créativité pour transcender ses thématiques; dommage car par la notion même de contrôle que le jeu vidéo impose à ces héros infortunés, le médium interactif est décidément propice à sublimer les craintes bien fondées des auteurs de science fiction de jadis.