« Il y a comme un petit vent de fraîcheur qui souffle sur le monde des jeux en open-world… »
…Voilà ce que j’ai cru entendre et comprendre de ce « Ghost of Tsushima » quand je me suis mis à consulter mes éclaireurs ès jeux-vidéo.
Du coup, quand je me suis risqué à regarder quelques images de ce jeu histoire de voir à quoi il ressemblait – j’avoue – ça m’a tout de suite séduit.


Esthétique très soignée. Beaucoup d’élégance. Et surtout tout ce charme corrélé à l’imagerie du Japon médiéval... C’est tout bête mais moi à partir de ça j’ai construit tout un fantasme.
Je m’imaginais déjà le retour en force du savoir-faire vidéoludique nippon ; un jeu à mi-chemin entre un « Sekiro » et un open-world kojimesque. Je suis même tellement parti tout seul dans mon trip – sans même savoir qu’en fait il s’agissait d’un jeu tout ce qu’il y a de plus américain – que je l’ai acheté sur un coup de tête afin de me laisser au mieux surprendre…
Et c’est là que réside justement toute ma peine…
Car s’il y a bien un mot qu’il ne convient pas d’associer à ce « Ghost of Tsushima », c’est bien le mot « surprendre »…


A peine deux heures de jeu et déjà les pires oripeaux du Triple-A se sont dressés par légions dans ma partie, comme s’il s’agissait d’une armada de Mongols débiles fonçant sur moi.
Franchement, qu’on puisse encore faire aujourd'hui des introductions comme ça, moi je ne comprends pas.
C’est comme si le titre prenait son public pour une bande de babaches incapables de faire preuve d’un minimum de patience.
Dès le départ, il faut tout de suite qu’on nous en foute plein la vue avec de l’action, du spectaculaire, du rythme et de la sensation…
Non seulement ça tourne à vide mais en plus c’est totalement absurde quand on sait le jeu qui nous attend juste derrière.
Eh les gars, on le sait que votre jeu il va nous prendre une bonne quarantaine d’heures à base de milliers d’allers-retours hein… On est prêts vous savez, donc la prochaine fois skippez-nous tout ça et lancez-nous tout de suite sur ce qu’on est tous venus chercher : du jeu ! De l’open-world !


Parce que franchement, pendant deux à trois heures, le jeu il faut le chercher.
On est coupé toutes les deux minutes par des scènes cinématiques qui blablatent pour brasser du vide et sitôt on reprend le contrôle – et surtout sitôt on cherche à s’éloigner de seulement deux mètres du parcours prévu – qu’on se bouffe soit un mur invisible, soit un vent qui nous souffle soudainement à la tronche pour nous dire (textuellement) « Rejoignez la zone de récit… »
Non mais voilà quoi. Tout est dit…
« Rejoignez la zone de récit. »
Désolé les gars, moi j’étais en train de chercher la zone de jeu là…


Alors après, je vous rassure, au bout de deux ou trois heures de jeu donc, on commence enfin à sortir des flash-backs à répétition, des parcours ultra-scriptés et des mécaniques de jeu terriblement faméliques pour qu’enfin on puisse se balader dans l’open-world mis à notre disposition.
A partir de là ça devient déjà bien mieux (en même temps difficile de tomber plus bas) mais malgré ça, chez moi, l’essentiel était déjà entamé. Et l’essentiel chez moi c’est l’envie.
L’air de rien, ces trois heures d’intro venaient de m’annoncer tout ce qu’allait être « Ghost of Tsushima » : beaucoup de récit comme dans un « Red Dead » ; beaucoup d’explication de gameplay dès le départ qu'on oubliera forcément une fois la partie lancée comme dans « The Witcher » ; un système de combat à la « Assassin’s Creed » auquel on a rajouté l'arc d’ « Horizon » et le grappin de « Sekiro »…
Bref, dans cette intro, rien ne m’a surpris.
Et le pire c'est qu’après cette intro – comme prévu – rien ne m’a surpris non plus.


Que c’est effrayant de constater à quel point ce jeu est hanté par les fantômes du cahier des charges du bon gros Triple-A pour PS4…
Une grosse carte divisée en trois zones. Chaque zone est remplie de missions, de quêtes annexes et d’évènements aléatoires. Pour combler les vides on nous a semé des collectibles à ne plus savoir qu’en faire et pour justifier le tout on te refile un chêne centenaire de compétences et je ne sais pas combien d’upgrades pour les armes, tenues, etc…
Tout ça c’est du vu, revu, et triplement revu…
Sakai qui enquête à grand coup de touches R2 enfoncées (que c’est dur !), c’est exactement la même chose que lorsque Geralt de « The Witcher » utilise sa fameuse vue de l’aigle / sixième sens / œil de loup / shining / toutcequetuveux…
Sakai qui attaque les camps de bandits, c’est exactement comme quand Aloy attaque les camps de bandits de « Horizon » (…et de tout le reste aussi par ailleurs.)
Sakai qui attaque un camp rempli d’une vingtaine de soldats qui attendent gentiment de nous combattre par grappes de deux ou de trois, c'est exactement comme avec Ezio et ses trente-huit successeurs dans la saga biblique d’ « Assassin’s Creed ».
Tout ça c’est usé jusqu’à la corde. Ça copie tout sans réfléchir. Et moi ce qui me tue c’est que ça copie même des choses qui nous gonflaient pourtant déjà il y a dix ans.


Moi, par exemple, le principe de la mission scriptée, je trouve que c’est vraiment de la merde.
On est censé être dans un open-world et en fait on ne peut pas naviguer à l’envie.
Perso, lors de mes dix premières heures de jeu, j’ai voulu me balader sur la map un peu pour partir à la découverte de ce monde là, selon mon envie du moment.
Alors OK le jeu m’indiquait des quêtes vers le sud de l’île, mais moi je voulais explorer le Nord. Après tout, pourquoi pas…
Eh bah que n’avais-je pas fait là ! Toutes les coutures de la narration se sont mises à sauter d’un seul coup !
A ce moment là de l’intrigue j’avais laissé le personnage de Masako (les initiés comprendront) au sud de l’île, mais voilà que je la croise au nord-ouest. Elle m’annonce qu’il faut aller prendre un phare où les Mongols sont regroupés en masse. Seulement voilà, moi ce phare, j’en venais. Et et il n’y avait personne ! Alors on y est retourné et là – bim – il y avait pleins de Mongols apparus comme par magie.
Même chose pour le camp des hommes au chapeau de paille (les initiés comprendront toujours). Je tombe dessus bien avant de croiser le personnage de Ryozu. Le camp est assez grand. Vide. Je le fouille. Je me dis que quelque-chose cloche, mais rien. Je pars frustré pour n’avoir la réponse à ma situation que plusieurs heures plus tard : il fallait que je lance la première mission de Ryozu pour espérer enfin voir apparaître le fameux camp. Génial pour l’immersion…
Et même chose encore pour l’enclos aux fleurs violettes (les initiés comprendront encore). Je l’ai retourné je ne sais pas combien de fois avant d’abandonner l’affaire… Et j’ai eu raison car le jeu n’y avait pas encore popé l’intrigue et les récompenses à y collecter. Le seum…
Non mais franchement, ça sert à quoi d’ouvrir le monde s’il ne faut surtout pas se rendre ailleurs qu’à l’endroit indiqué ???
Tout ça, dans ma partie, ça a été du temps de perdu. Et pour le jeu aussi ça a été des possibilités de perdues !
Au final j’ai été obligé de faire ce qu’on me demandait de faire depuis le début : rentrer dans le rail et subir des missions scriptées et incroyablement répétitives.


En même temps elle était pratiquement inévitable cette répétitivité.
Plus la carte est grande et plus il faut la remplir, et là c’est quand même vrai que ça atteint un niveau absurde.
D’ailleurs, comme un triste constat d’échec, moi personnellement je n’ai jamais vraiment pris de plaisir à la parcourir cette carte.
OK tout ça était super joli, c’est vrai. Et même si les effets de lumière et de météo sont pour moi clairement exagérés, il faut néanmoins reconnaitre que les paysages en jettent ; que l’atmosphère infuse…
Mais bon, d’un autre côté on se retrouve malgré tout avec une carte remplie de végétation et dont le relief est escamoté de partout. Pas d’horizon (ou rarement), très peu de choses pour se diriger à vue…
Et si certaines colonnes de fumées permettent de repérer les camps ennemis (ce qui est bien vu), cette astuce ne fonctionne que pour les gros points d'intérêts. Pour le reste, il faut juste fouiller à l'ancienne, sans indice. Et franchement, c'est fastidieux.
Alors d’accord, cette absence de visibilité elle s'explique aussi et certainement pour des raisons purement techniques (il ne faudrait pas que le jeu lague trop à afficher autant de textures), mais d’un autre côté les possibilités offertes sont très limitées. Soit on s'aide du vent – ce GPS du Moyen-âge ! – mais là encore il ne fonctionne que pour les gros points d'intérêts, soit on espère de temps en temps qu'un oiseau vienne nous aider... Mais comme ces foutus oiseaux ne se pointent pas toujours et que parfois ils ont la bonne idée de filer tout droit sans prendre en compte le fait que nous on va se taper une falaise de trente mètres à grimper, la seule solution viable qu'il nous reste c'est de naviguer régulièrement à la carte.
Car la carte se dévoile selon nos passages, donc pour ne rien louper, l'idéal reste encore de passer partout. Et si parfois les neutralisations de base de bandits dégagent les alentours, la plupart du temps, pour être sûr que rien ne nous échappe, eh bah il faut quadriller.
Et là on tombe sur des phases de jeu incroyablement gonflantes.
Pour être certain que rien ne nous échappe, on se retrouve contraint à faire des allez-retours, des trajets en zig-zag en ouvrant et fermant la carte toutes les vingt secondes.
Et l’air de rien le jeu est bien vicelard parce que la bande de nuages qu’on dégage n’est pas bien large et n’a rien à voir avec notre champ de vision, si bien qu’on peut passer à vingt-mètres d’un point d’intérêt planqué derrière un élément de relief ou un bosquet et ne pas le voir s’inscrire sur la carte.
Or ça, pour moi, c’est juste un terrible échec.
Parce que soit on reste les pieds scotchés au début des années 2010 et on maintient un système où on affiche toutes les icônes assez facilement à la sauce Ubi, soit on franchit le cap des jeux de 2020 et on s’inspire de ce qu’a fait « Breath of the Wild » en termes de navigation, c’est-à-dire à la vue.
Mais là, cet espèce de non-choix pour lequel a opté « Ghost of Tsushima », pour moi ce n’est juste pas tenable.
Alors après, sûrement que tout ce que je viens de dire ne dérangera pas tous ceux qui font le jeu en mode « routine-GTA » et qui se contentent d’aller de mission en mission sans trop sortir du rail, mais pour moi c’est juste rédhibitoire…
Enfin rédhibitoire…


En fait, c’est un petit peu le paradoxe que j’entretiens avec ce « Ghost of Tsushima » : j’ai beau être accablé par ce manque cruel d'inventivité qui plombe pour moi totalement ce jeu, j’avoue que malgré tout j’ai continué à y jouer.
D’ailleurs, là, au moment où j’écris ces lignes, j’y joue encore.
Je viens tout juste de finir la première zone et je pense sincèrement que je vais sûrement continuer encore un peu.
Je vais continuer sans passion certes, mais je vais continuer malgré tout et ça, pour moi, ça dit quand même quelque-chose.
L’air de rien « Ghost of Tsushima » ça sait occuper le temps. Ça sait détendre…
En cela, j’ai beau trouver ce jeu très proche de « The Witcher III » dans son fond, il n’empêche que je n’ai pas ressenti le même fardeau en traversant le titre de Sucker Punch que celui que j'ai ressenti en traversant celui développé par CD Project Red.
Étonnamment donc, « Ghost of Tsushima » ça « passe ».
(Enfin, à peu près, mais ça passe quand même…)


La première raison de ce miracle – je l’ai déjà évoqué plus haut donc je ne vais pas revenir dessus – c’est l’atmosphère générale du jeu.
Quand bien même elle est systématiquement polluée par cette espèce d’opposition binaire et presque risible entre gentils Japonais et très-très-très méchants Mongols, il n’en reste pas moins qu’elle laisse sa marque dans les esprits.
La deuxième raison par contre est beaucoup moins anodine : c’est le gameplay.
Alors certes, je ne retire rien de tout ce mal que je pense des missions linéaires et figées de ce jeu, mais par contre je dois bien lui reconnaître que son système de combat est plutôt efficace dans son genre.
Pas trop complexe à maitriser et suffisamment diversifié pour inciter à tirer parti du terrain et ainsi varier ses approches : l'équilibre est suffisamment efficace pour que ça dynamise bien notre aventure.
Après je dois malgré tout reconnaitre que l’accumulation (abusive) des situations de confrontation fait qu’au bout d’un moment on a vite rodé sa technique et perso – moi qui joue en niveau normal – je me suis très vite senti à mon aise en partant à l'assaut d'un camp mongol, sans stress, au point que le seul véritable ennemi que je craignais encore n'était que cette fichue caméra parfois hasardeuse...
Mais le plaisir visuel des combats et leur bon ratio facilité / technicité font l’essentiel.
Et l’air de rien, si pour le moment je suis parti sur de bons rails pour aller jusqu’au bout de ce « Ghost of Tsushima » c’est sûrement pour les mêmes raisons qui m'ont poussé à finir « Horizon » : l’esthétique, l’atmosphère et le gameplay.
Et il faut être honnête : c’est clairement le genre de choses sur lesquelles je ne suis pas du genre à cracher.


Alors du coup forcément, après avoir dit ça certains pourraient se demander en guise de conclusion pourquoi je fais tant de chichis sur quelques conventions certes lourdes mais bien communes alors qu’à côté de ça, il y a dans ce « Ghost of Tsushima » de belles qualités qui font que je m’y retrouve quand même un peu…
Eh bien justement, moi je trouve ça triste que face à un jeu qui résulte d’autant de travail et de soin j’en sois réduit qu'à ne m’y retrouver seulement qu’un petit peu…
Moi je regrette le temps du premier « Red Dead Redemption », de « Skyrim » ou d’«Assassin’s Creed 2 » où découvrir un Triple-A c’était quand-même se prendre une sacrée baffe dans la gueule.
OK déjà à l’époque je me plaignais de certaines lourdeurs et limites, mais visiter le Duomo de Florence ou parcourir les grands espaces de l’Ouest américain compensaient largement tout ça.
Il y a dix ans, un Triple-A ça me faisait rêver. Et s’il serait tentant de dire que le problème vient de moi plus que de ce « Ghost of Tsushima », je pense au contraire qu’il faudrait mieux questionner cette tendance qu’ont les grosses écuries à ne plus vouloir innover du tout.
Là les Triple-A s’enchainent et se ressemblent tous, et sur cet aspect là, ce « Ghost of Tsushima » en est une illustration des plus criantes, pour ne pas dire des plus effrayantes.
Il n’y a juste RIEN dans ce jeu qu’on n’ait pas déjà vu ailleurs. Rien.
Franchement, comment on a pu en arriver là ?
Comment on a pu se retrouver dans une pareille situation où un studio flippe à ce point de sa propre ombre, craignant de s’éloigner du modèle-fétiche des Triple-A standards ?


Et dire que presque vingt ans plus tôt sortait un autre Triple-A où il était aussi question de vent ; un Triple-A qui s’appelait « The Legend of Zelda – The Wind Waker ».
Je me souviens qu’à cette époque on avait crié à droite et à gauche parce qu’une licence-phare avait osé bouger quelques lignes ; avait osé faire souffler un vent nouveau… Eh bien aujourd’hui, force est de constater que depuis le temps ce jeu fait désormais (pratiquement) consensus derrière lui ; au moins pour ce qui est de ce qu’il a apporté au jeu vidéo…
Dira-t-on franchement la même chose de ce « Ghost of Tsushima » dans vingt ans ? …Même dans dix ?
Personnellement je ne crois pas.
Ce que je crois, malheureusement, c’est que dans dix ans, tout ce qu’on dira de ce « Ghost of Tsushima » c’est qu’il est passé comme un coup de vent et qu’il s’est vite enfui, effrayé par ses propres fantômes…
Et ça, pour des jeux qui investissent autant dans l'espoir de nous marquer, c'est quand même sacrément triste...

lhomme-grenouille
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le 29 sept. 2020

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