GiFTPiA par Low Energy Idol
Ça faisait hyper longtemps que je voulais me faire cette aventure. Des années, même. Il faut dire que la simple idée qu'il existe un jeu Nintendo dont je ne connaissais pour ainsi dire rien m'était difficilement supportable. Mais ici, il s'agit de plus qu'un simple délire de fanboy : Dès que j'ai découvert l'existence de cette œuvre, j'avais été attiré par son aspect graphique particulier et surtout par son aura un peu énigmatique. Il faut dire que peu d'informations circulent à son sujet sur le web francophone et anglo-saxon, à l'exception d'une poignée d'artworks dont un avec une putain de chèvre ainsi que quelques tracks de l'OST, enfin surtout le Main Theme. Pas étonnant, au fond : Le jeu a déjà eu du mal à se faire véritablement connaître au Japon, dont il n'est bien évidemment pas sorti, alors ici ... Ça doit être le jeu le plus particulier que Nintendo ait édité depuis MOTHER 2, c'était donc plus ou moins évident qu'on pouvait s'asseoir dessus. "Trop bizarre" pour les non-Japonais, dixit NoA. Et comme le jeu contient des tonnes de texte et que c'est de toute évidence là que se trouve son cœur, j'avais donc fait une croix dessus. Jamais, probablement jamais, ne pourrais-je jouer à GiFTPiA. Je l'avais tant bien que mal oublié, comme on oublie une jeune fille des îles que l'on doit quitter à la fin des vacances, c'est à dire jamais complètement (trop beau putain). Et c'est comme ça, qu'un jour, au détour d'une anodine recherche Google, je L'ai trouvé.
Un script. Un script en anglais. Un PUTAIN de script qui fait plus de 150 pages. Mais il y en avait un ! Une traduction existait ! En effet, la Team Kirameki, un couple italien qui a décidé de se lancer dans la traduction de jeux japan-only, a réalisé un énorme travail et cette traduction est disponible depuis mars 2011. Alors, autant être clair, il y a deux gros inconvénients : Le premier, et le plus évident, c'est que c'est particulièrement chiant de faire un jeu et de devoir lire un autre truc en même temps, même si ça dépend surtout de la patience du joueur ... perso, je trouve qu'on s'y habitue vite, alors que d'autres trouvent ça absolument insupportable (et je peux les comprendre). Le deuxième inconvénient, c'est que le jeu n'est pas vraiment traduit dans son intégralité. Tout l'essentiel pour progresser dans l'histoire est bien là, et y a un paquet de dialogues de NPC aussi, mais il manque les dialogues des situations où on montre des objets à ces NPC ... ce qui fait qu'on rate sans doute pas mal de discussions certes facultatives mais qui participent clairement à l'ambiance du jeu. C'est très dommage, mais on a pas vraiment le choix : Non seulement tout traduire demanderait un travail colossal à la limite de l'humain, mais ce serait en plus impossible à organiser sous forme de script ... et si vous pensiez à un patch, c'est beau de rêver mais je doute qu'un tel truc sorte dans moins de 10 ans. Mais je râle, je râle, alors que là quoi ? J'ai un putain de script de GiFTPiA ! Certes pas parfait, mais suffisamment complet que pour profiter de l'expérience du jeu ! Je vais enfin pouvoir y jouer ! Je vais enfin découvrir GiFTPiA ! Alors, GiFTPiA, c'est quoi ?
GiFTPiA est un jeu développé par skip et édité par Nintendo, sorti sur GameCube en 2003. Pour la petite histoire, skip, le studio derrière Chibi-Robo! et les bit Generations aussi, est avec Vanpool (Tingle's Rosy Rupeeland) et Punchline (Chu♥lip, Rule of Rose) l'un des successeurs du studio Love-De-Lic, formé par des anciens de Square en 1995 et qui s'est fait connaître pour ses trois jeux particulièrement originaux que sont moon Remix RPG adventure, UFO ~A day in the life~ et L.O.L. Lack of Love avant de fermer en 2000. Et si je précise ceci, ce n'est pas pour rien : On ressent clairement l'influence de cette volonté expérimentale dans GiFTPiA, qui a d'ailleurs été designé par Kenichi Nishi, qui était l'un des plus importants membres de Love-De-Lic, étant donné qu'il était déjà designer sur moon et L.O.L. en plus d'avoir été field designer sur Chrono Trigger et Super Mario RPG lorsqu'il bossait encore chez Square. Quelle sorte de gameplay va donc nous offrir GiFTPiA ? Jetons plutôt d'abord un œil au scénario, histoire de planter le décor.
Sur Nanashi Island, les ouragans ne sont pas vraiment des plus rares, même hors saison. Mais pourquoi fallait-il qu'il y en ait un aujourd'hui, le jour de la Cérémonie de la Majorité ?! Nous voilà arrivés au jour où Pokkle va devenir un adulte. Mais c'est terrible ! Pokkle est en train de rêver et il ne se réveille pas !! Les gens attendent, ils attendent, mais il n'arrive pas. Pokkle est toujours en train de rêver. Et pour finir, tout le monde repart chez soi en colère. Pokkle s'est finalement levé de son lit, mais ... le maire, Mr. Mayer, est hors de lui et hurla : "C'EST DE LA TRAHISON !". Et ainsi Pokkle fut emprisonné. Pokkle pourra-t-il enfin devenir un adulte un jour ? GiFTPiA est sur le point de commencer ...
Je reviendrai sur ce scénario dans pas longtemps. En attendant, revenons-en au gameplay ... Hé bien, le jeu se définit lui-même comme un ... "alternative RPG". Disons que, vu l'absence quasi-totale d'action, il s'agit davantage d'un jeu d'aventure. En fait, GiFTPiA fait un peu penser à un croisement improbable entre Animal Crossing et Zelda ... L'accent est mis à la fois sur l'exploration et les relations avec les NPC. Détaillons : Donc, quand vous commencez le jeu, vous contrôlez Pokkle qui a la gueule pixelisée et un boulet au pi- WTF QUOI ? Bah oui, vous avez atterri en taule, vous vous rappelez pas ? C'est comme ça que vous commencez le jeu : Au trou. Votre première mission ? Du travail d'intérêt général en nettoyant la place du village, sous l'œil attentif de Mappo le robot-flic et avec en fond musical un vieux vinyl niqué qui passe en boucle. Et vous apprenez la bonne nouvelle, c'est que la Constitution de Nanashi Island est formelle : Si vous voulez repasser la Cérémonie de la Majorité, il va falloir allonger 5 millions de Manes. La journée commence bien.
Heureusement pour vous, vous serez vite libéré (... après avoir payé une amende). Ça sera l'occasion de vous balader un peu et de vous familiariser avec l'environnement du jeu ... enfin, pas trop loin sans faire attention quand même, parce que le jeu n'a pas une barre de vie pour rien : C'est une jauge de faim. Et si vous restez trop longtemps sans manger, bah vous crevez. Et moins votre barre est remplie, plus lentement vous vous déplacez. Heureusement, vous trouverez des fruits un peu partout sur l'île qui vous permettront de régénérer la jauge en question. Mais surtout, et c'est là le plus important à gérer dans le jeu, ne restez pas trop longtemps dehors : Vous êtes encore un gosse après tout, donc si vous ne retournez pas chez vous pour aller vous coucher à temps (à savoir, avant que votre compteur de fatigue n'atteigne 0), hé bien vous vous endormirez par terre et la fée du sommeil viendra vous piquer votre fric et vos objets. C'est dur la vie. Pour ceux qui ont déjà joué à Chibi-Robo!, cela vous rappellera sans doute le principe de la base où vous devez retourner recharger vos batteries lorsqu'elles sont presque vides : C'est un moyen de limiter votre capacité de progression sans imposer de barrière fixe et de vous forcer à adapter votre emploi du temps à une contrainte qui, bien entendu, se fera tout de même de moins en moins forte au fur et à mesure que vous progresserez dans le jeu. Et oui, je vous parle bien d'emploi du temps ! Connaître l'heure n'est pas seulement utile pour savoir quand aller vous coucher, mais aussi pour vous organiser par rapport aux autres personnages : Les NPC ont un emploi du temps bien précis et il vous faudra le prendre en compte lorsque vous voudrez aller les trouver. Mais plus que rajouter une dimension au gameplay, cela donne véritablement vie au petit village de Nanashi ! Que le maire se barre tous les jours de son lieu de travail pour aller roupiller sur un banc de la place, c'est anodin, mais ça contribue à une atmosphère d'activité qui fait qu'on ne se lasse vraiment jamais de se balader dans le coin pendant qu'on fait ce qu'on a à faire. Tiens, parlant de ça, qu'est-ce qu'il y a à faire, justement ? Parce qu'au cas où vous auriez oublié, la Loi exige que vous payiez pour avoir le droit de devenir adulte. 5 millions, pour être précis.
Donc ben, pour récolter des Manes, il va falloir faire des petits boulots passionnants tels que coller des affiches, ou attraper des grenouilles. Ou vous pouvez revendre du poisson et des ananas aussi. Voilà. C'est tout.
... Enfin, jusqu'à ce que vous rencontriez un certain Ziggy . Certes, vous pourrez continuer à amasser des Manes, qui une fois déposés serviront d'ailleurs à installer des facilités sur l'île ; vous pourrez même terminer le jeu de cette manière en récoltant les 5 millions exigés, mais ça ne vous donnera accès qu'à une mauvaise fin ... Mais revenons au plus important : Ziggy, donc, est un vieux hippie qui vit en marge du village, dans un arbre décoré d'images du Dieu protecteur de l'île. La Cérémonie de la Majorité, il a décidé de ne jamais la passer. Il ne veut plus entendre parler ni d'argent ni de lois. Rien d'étonnant à ce qu'il soit hors de lui lorsqu'il apprend que Pokkle est condamné à bosser comme un con pour avoir le droit de devenir adulte ! Il dit clairement ce qu'il pense de Mayer et du village lorsqu'il casse la gueule de Mappo : "Le pouvoir de l'État ? Et puis quoi encore ?!" C'est là qu'il décide de faire comprendre à Pokkle qu'il peut devenir adulte sans avoir à payer ces 5 millions ou à suivre de rituel : Après avoir mangé un ragoût de champis, Pokkle en a des hallucinations ... et il y fait la rencontre de la Fée des Champignons, qui lui explique que c'est en exauçant des souhaits qu'il pourra vraiment devenir adulte. Et c'est là que GiFTPiA commence vraiment.
wtf
Aussi bizarre que cela puisse paraître, c'est bien là-dessus que l'aventure démarre pour de bon, et que l'élément de gameplay central du jeu entre en scène : L'exaucement de souhaits. En fait, il y a un petit temple à côté de votre maison : En faisant quelques offrandes à l'autel qui s'y trouve, vous obtiendrez une Gemme. Il vous faudra ensuite partir à la recherche d'un villageois qui a un souhait à exaucer, et lui présenter la Gemme pour prendre connaissance de la mission à mener à bien. La Gemme se remplira de son souhait. Une fois la mission remplie, la Gemme se mettra à luire et vous pourrez passer à la suivante. C'est ainsi que la situation dans le village évolue, sachant que remplir une Gemme en débloque l'accès une autre. La nature des missions en elles-mêmes est assez variable, même si elles restent généralement assez simples en soi. Elles sont en tout cas fortement scénarisées, il suffira donc en général simplement d'apporter des objets ou d'aller chercher des personnages pour déclencher les scènes et les dialogues. Une fois tous les souhaits d'un chapitre exaucés, vous pourrez allez offrir les Gemmes à la statue derrière l'autel, dans le temple. La Fée des Champignons vous expliquera alors que vous avez "grandi" et, non seulement le scénario progressera, mais vous pourrez aussi rester plus longtemps debout.
Vous l'aurez compris : Le gameplay de GiFTPiA est dans le fond assez minimaliste : Explorer, survivre, résoudre de simples quêtes et mener quelques activités par-ci par-là. En fait, tout est clairement axé sur le social. L'âme du jeu tient clairement dans son background. Alors, voilà sur quoi tout va se jouer : Est-ce que cet aspect tient la route ? Je dois avouer que c'est un peu difficile de répondre à cette question, car c'est très subjectif. Ce n'est pas dit que vous adhérerez au charadesign, aux personnalités des NPC, à l'humour, même à l'ambiance en général ne fut-ce que parce que tout ça est dans le fond très ... bizarre. Cela dit, j'ai tendance à penser que le simple fait qu'il soit si difficile de décrire l'impression que m'a laissée le jeu prouve qu'il a déjà réussi ce à quoi il voulait parvenir. Enfin, personnellement, j'ai beaucoup aimé le cast de GiFTPiA, haut en couleurs et vraiment unique, même si les fans de Chibi-Robo! retrouveront le cell-shading et les voix "yaourt" qu'ils avaient déjà pu apprécier dans cet autre jeu de skip. J'adore la bouille du héros et de sa copine Kyappi, et il y a d'autres persos géniaux comme Peevee le transsexuel kitsch ou Ziggy dont j'ai déjà parlé plus haut. Je n'en dirai pas plus, ce serait évidemment vous gâcher une (grosse) partie du plaisir que de spoiler sur cet aspect du jeu. Dans tous les cas, préparez-vous à des rencontres atypiques, c'est le moins que l'on puisse dire ! Des rencontres atypiques sur fond de ... oui, sur fond de quoi, tiens, au juste ? Elle ressemble à quoi, l'ambiance musicale qui anime tout ce bordel ?
Si vous avez écouté le Main Theme posté en début d'article, vous devez déjà vous être fait une idée. Après tout, c'est pas tous les jours qu'on entend des chœurs qui chantent dans une langue imaginaire dès l'écran titre. Hé bien pourtant, c'est loin d'être la plus grosse surprise du jeu ! Cela ne veut pas dire que l'OST d'Hirofumi Taniguchi (qui a bossé sur Chibi-Robo! mais aussi sur des jeux comme beatmania III ou Suikoden V) est à mettre de côté pour autant ; elle est excellente, et dans la même veine que le Main Theme qui plus est : Tous les personnages ont un thème qui leur colle parfaitement, et ça ne fait que renforcer leur personnalité déjà bien marquée. Mais le vrai tour de force dans l'OST de GiFTPiA, c'est Nanashi FM. Qu'est-ce que c'est ? Hé bien, c'est la radio de Nanashi Island, tout simplement. En fait, lors de votre exploration de l'île, il n'y a pas de BGM fixe : Tous les matins, DEEJ la ... DJ de Nanashi FM vous annoncera ce qu'elle va passer (avec une banderole de texte, comme sur ce topic) et ce sera ça cette track qui servira de BGM. Et là, c'est juste hallucinant : TOUTES les tracks de Nanashi FM sont des contributions de petits groupes indépendants ! Et y en a pas moins de 19 ! Je ne sais pas ce qui est passé par la tête du mec de Nintendo ou du skip qui a proposé ça, ni comment ça a pu être accepté, mais ... c'est passé. Il y a des tracks de tas de genres différents : techno, jazz, hip hop, metal, tango, country, post-rock, dream pop, etc. Certaines sont assez expérimentales, et il y en a qui sont vraiment excellentes. Et ça fout une putain de claque, parce que je vous assure que courir à côté d'une chèvre pendant qu'il pleut et que la radio passe du metal, ça a quelque chose de magique.
Personnellement, j'adore Dig That Beat (du jazz, j'adore la voix du chanteur sérieux), Fruits of Love (du pop/rock, hommage assez évident aux Beatles), right from wrong (du metal, tellement en déphase avec l'univers du jeu que ça rajoute une touche), Nocturne (de l'ambient, cette track me transporte, c'est ouf), mais je pense que ma préférée est pop_errong song ; d'ailleurs, j'ai encore du mal à croire qu'un mec comme Yuzo Kako, qui fait genre de la techno minimaliste expérimentale, atterrisse dans un jeu Nintendo. Mais après tout, pourquoi pas ! Bref, pas besoin d'en dire plus, c'est déjà assez clair : L'ambiance musicale de GiFTPiA est d'une qualité rare et diffuse une atmosphère incroyable tout le long du jeu étant donné qu'elle est assez riche que pour ne jamais devenir répétitive.
En fait, je pense que l'OST est représentative du jeu dans son ensemble. GiFTPiA, on y joue surtout pour s'imprégner d'une ambiance. En fait, le jeu a tellement été travaillé sur ce côté que le gameplay en lui-même peut laisser l'impression d'être incomplet. C'est ça, je pense que c'est le gros défaut du jeu : On a souvent l'impression qu'il y a des passages pas aboutis ou mal exploités. Ça se ressent surtout vers la fin, avec une baisse de rythme assez nette, et l'ending est d'ailleurs relativement nul pour être honnête. Certaines quêtes sont vraiment creuses, et si cela s'explique plus-ou-moins par le parti-pris du game design sur le social, le jeu aurait énormément gagné à approfondir la complexité des tâches à accomplir au cours de l'aventure, ce qui aurait permis au joueur de se sentir davantage concerné par et impliqué dans les évènements de Nanashi Island. En fait, c'est sans doute la particularité de l'aventure qui donne une impression d'un énorme potentiel qui aurait été délaissé. Mais, dans le fond, c'est qu'on en redemande, et ça prouve bien que GiFTPiA est une expérience unique, même si elle peut parfois laisser le joueur sur sa faim, que je conseille à tous ceux qui sont prêts à passer l'épreuve un script !
Et voilà ! Pour ceux qui auraient été convaincus, vous pouvez choper le script ici (artcorekirbies.fr/foncedard/revres/giftpia.odt), je l'ai mis un minimum en page histoire que vous puissiez l'imprimer directement. Notez que les dernières pages du script (après la page vierge) concernent tout ce qui est "utilitaire", comme la sauvegarde ou les achats au magasin, lisez-les donc bien au fur et à mesure que vous progressez dans le jeu. Si jamais vous êtes bloqué, prenez un compte Nico Nico si vous n'en avez pas encore et jetez un œil à ce walkthrough (nicovideo.jp/watch/sm6753599), il devrait pouvoir vous aider (en plus, la voix de la fille qui commente est trop cute). Hé bien, il ne vous reste plus qu'à vous lancer dans l'aventure !
Par ailleurs, pour info, la Team Kirameki a commencé la traduction de Captain★Rainbow, qui n'est autre que la suite spirituelle de GiFTPiA (même développeur, même designer, même concept). Peut-être skip aura-t-il su comprendre ce qui a pu faire les forces et les faiblesses de son ancien projet afin de servir une expérience plus maîtrisée sur son jeu Wii ? À voir, en tout cas, j'attends cette traduction avec impatience !