God of War a toujours lorgné du côté des rpg sans oser franchir le pas — jusque là, il s'agissait d'un jeu d'action, linéaire, d'excellente facture. Kratos — le dieu de la guerre — y prenait sa revanche à coup de mandales, de chaînes rotatives arrimées à ses bras, et de cranes broyées. Il décimait les dieux qui avaient la mauvaise idée de se trouver sur son passage, jusqu'à retrouver Zeus, et régler avec lui quelques vielles histoires de famille.


Kratos était attachant par son côté jusqu'au-boutiste, par sa fureur, sa rage insatiable. Le gameplay était nerveux, et foncer dans le tas était souvent la meilleure stratégie. N'en demeurait pas moins une joie formidable de la mêlée, des ennemis volants en tous sens, et, il faut le reconnaitre, d'une certaine tactique.


La rage peut elle ainsi brûler sans jamais se consumer ?


Dans ce nouveau God of War (quatrième du nom — oublions Ascension, une parenthèse maladroite de la saga), Katros a une famille. Cela ressemblerait presque à une plaisanterie ; oui, il a remisé ses chaines du chaos on ne sait où pour vivre une vie recluse, dans un royaume du nord. Une vie heureuse ? Les péripéties en décideront autrement, et Kratos devra, accompagné par son fils, Atreus, partir à nouveau par monts et par vaux.


Ce nouveau God of War est fascinant à plus d'un titre. Il approfondi résolument son côté rpg, avec un arbre de compétences, un monde semi ouvert, des quêtes annexes, du back tracking, du loot, du crafting, une durée de vie bien plus longue qu'auparavant (30 heures pour la quête annexe contre 10 en moyenne chez ses prédécesseurs) sans sacrifier son côté brutal. Le jeu gagne en profondeur sans perdre en intensité.


Il ne s'agit pas à proprement parler d'un rpg classique, les armes de Kratos ne peuvent être qu'à peine modifiées, ses choix sont fixés à l'avance et le joueur ne pourra changer le destin qui l'attend, les régions à explorer se débloquent au compte goutte et les quêtes annexes sont peu nombreuses. Pourtant, cette modestie semble plus créatrice que la profusion des rpg habituels.


Les jeux vidéos modernes — les rpg notamment — semblent n'être jamais rassasié, ils requièrent tous des dizaines, voir des centaines d'heures de jeu pour être accomplis, au risque de donner le sentiment de s'intéresser ici à un pnj aléatoire d'une énième quête annexe, là à une région désertique, ou encore à cette dixième bataille contre la même méchante bestiole, ou à un farming vain. En perdant souvent leur rythme, ou leur difficulté en cours de route (un des grands raté de Witcher 3 ou la difficulté s'écroule dès le second tiers et où les enjeux s'effilochent).


La route de Kratos sera parsemée de peu de choix, mais de suffisamment d'exploration, de crafting, de rencontres, pour faire de chacune de ces heures un moment intense de découverte, de sidération, et de batailles endiablées. Dans cette modestie, ce semi rpg semble trouver de la sagesse.


Cette maturité se révèle également dans la relation ambiguë, naissante, qui fleurira entre le père et le fils. Dans leurs échanges, leurs désaccords, l'expression de leurs attentes mutuelles. Tel retournement dans une thématique — transformer une bête sanguinaire en père bourru et quelque peu hésitant — rien dans le jeu vidéo moderne ne semblait prédisposer à tel chamboulement. Et rien ne pouvait garantir qu'il aboutirait ; un tel risque, pour un jeu de cette ampleur, semble gigantesque, et la réussite est de taille.


Réussir un hask'n'slash avec de la finesse dans le combat, de la richesse dans l'exploration, du gigantisme et de l'émerveillement dans les décors, du coeur dans les personnages, autour d'une histoire à l'enjeu si intime, quelle surprise.


Une fois accomplie, lorsque, ému, le générique s'inscrit sur le côté de l'écran, l'histoire de ce monde se referme avec ses mystères, ses légendes en suspens, et, même s'il a livré un gameplay d'excellente facture, on se demande si une partie plus difficile — car la licence a conservé ses niveaux de difficulté — ne serait pas tentante, si elle ne lèverait pas tel mystère, éclairerait telle légende, épicerait tel combat.


Plutôt qu'un monde gigantesque aux 30 issues possibles selon les choix du joueur, plutôt qu'une gamme d'armes sans fin ou le gameplay reste sensiblement inchangé, plutôt que des quêtes annexes à l'écriture « automatique », plutôt qu'un arbre de compétences sans fin ni but, un rpg modeste — digne successeur de Diablo 2 finalement (il aura fallu attendre longtemps avant d'en trouver un) — avec moins de quêtes, moins de choix, moins de terrain à explorer, mais avec plus de corps, plus de rythme, plus de coeur, et un gameplay qui, du début à la fin tient en haleine.


30 heures semble ici la durée idéale d'un jeu vidéo ; et la promesse qu'une fois fini, l'envie dérangeante de réessayer en plus difficile titille, véritable garantie de la qualité exceptionnelle d'un titre qui n'a pas livré tous ses secrets.


God of War est le jeu d'aventures de bright fantasy de cette décennie.

yamsellem
9
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le 27 août 2018

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yves a.

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