Gungrave G.O.R.E.
4.1
Gungrave G.O.R.E.

Jeu de Iggymob et Prime Matter (2022PlayStation 4)

Gungrave, c'est Gungrave.

En trois petits mots, tout est dit, et nul n'est besoin de tergiverser davantage. Les vrais sauront, les autres seront bien avisés de passer leur chemin.

Parce qu'une fois de plus, du côté des retours francophones, ça s'emballe, ça peste, ça se gausse, ça se précipite pour sortir sa review le premier et faire les views qui vont avec, quitte à se tirer au passage quelques badass beauty bullet dans le pied, à trop vouloir enchaîner les punchlines au détriment du fond. Les sites anglophones, eux, auront eu le bon goût (le recul, dirons-nous, une denrée devenue trop rare) de se montrer plus mesurés. Car à quoi bon jouer les damoiseaux effarouchés et décortiquer ce nouvel opus en pointant du doigt tous les errements de gameplay ou les fautes de designs, alors que le jeu se résume à cette formule tout simple : Gungrave G.O.R.E., c'est un Gungrave. Point.

"Hey ? What did you expect ?", a-t-on envie de leur répondre en boucle, même si on comprend leur désappointement. Ceux qui aiment la licence y seront en terrain connu. Les autres seront bien inspirés de passer leur chemin car le soft n'est pas pour eux. Il se réserve aux seuls et uniques amoureux de la première heure. Les masos. Les no life. L'élite de la niche.

Parce que ça n'a jamais été bon, Gungrave, qu'on se le tienne pour dit : déjà sur PS2, le titre était brouillon, bourrin, simpliste, répétitif, court, linéaire, paresseux tant dans son level design que la variété de ses ennemis, c'était déjà un rail shooter sans rails à la troisième personne, dans lequel on traçait sa route en canardant à tout va de la manière la plus stylée possible, sur fond d'un scénario minimaliste cryptique de série Z. En un mot comme en cent : un nanar, un vrai, un pur, qui s'assumait comme tel. L'argument de vente principal n'en faisait pas mystère : on pouvait prétendument tout y exploser. Et c'était vrai. On pouvait à loisir cribler les murs d'impacts, faire sauter les voitures, les tanks, les bonbonnes de gaz, détruire les néons, les poubelles, sa manette... niveau deuxième amendement, c'était la guinguette. Seulement voilà.

Pour faire passer une pilule qui, en d'autres circonstances, nous serait restée coincée en travers de la gorge, le projet associait trois noms illustres, et non des moindres : Yasuhiro Nightow au concept, au scénario et au design (Trigun, Blood Blockade Battlefront...) ; Kosuke Fujishima au mecha design (Oh My Goddess !, Sakura Wars, ...) ; et Tsuneo Imahori à la musique (Trigun, Wolf's Rain), membre émérite de la formation the Seatbelts (Cowboy Bebop). De quoi titiller la curiosité, associé à une magnifique illustration sur le boîtier, une esthétique cell-shadée du plus bel effet et des cinématiques brèves, mais esthétiquement sophistiquée, dans un univers sombre à mi-chemin entre Blade Runner et Bubblegum Crisis. Partant de là, le gameplay, à vrai dire, on s'en balançait un peu, on avait bouffé assez de jeux Nec PC Engine pour fermer les yeux sur ses mauvais choix. C'était un défouloir de quinzième zone, ça se pliait en trois heures maxi, ça partait dans tous les sens sans arriver nulle part : un de ces nanars, donc, si cher au maître d’œuvre. Car les nanars, Yasuhiro Nightow les aime d'un amour inconditionnel, peut-être un peu trop pour son bien, il le revendique à longueur de postfaces ; et rien ne lui ferait certainement plus plaisir que d'entendre ce mot infamant associé à son travail. A cet égard, le projet Gungrave est avant tout la concrétisation d'un de ses rêves de gosse-qui-n'a-jamais-grandi, un fantasme, un caprice : un jeu dans lequel on incarnerait un de ces persos de manga indestructibles et surpuissants qu'il affectionne et dessine à longueur de temps, de ceux qui sont capables de tirer plusieurs centaines de millions de balles à la minute et d'encaisser sans sourciller douze tirs de lance-roquettes. Certainement d'ailleurs n'est-ce pas innocent si son Grave ressemble à un Gung Ho Gun de l'Oeil de Michaël, comme une fusion parfaite entre Chapel (alias Nicholas D. Wolfwood, alias Nicholas the Punisher) et Livio the Double Fang - et si à la lecture de cette dernière sentence, vous vous demandez si c'est du chinois, j'insiste, ce jeu n'est pas pour vous (si au contraire, elle a allumé des étoiles multicolores dans vos yeux ébaubis, vous pouvez y aller sans crainte, vous êtes le cœur de cible).

Deux ans plus tard sort Gungrave 2, alias OD, alias Over Dose, beaucoup plus long, beaucoup plus dur, beaucoup plus riche en contenu (trois personnages jouables, dont deux nouveaux : un sabreur taciturne et un rocker tout de cuir rouge vêtu. Dans un jeu de flingues, quoi de plus normal ?), un scénario beaucoup plus développé, mais toujours le même gameplay répétitif, toujours le même level design cheap (malgré quelques tentatives timides pour casser les codes), toujours le même fossé entre la qualité du travail de l'équipe créative et la réalité médiocre du jeu en tant que tel. Ce qui n'empêchera pas les amateurs d'y retrouver leur compte, à juste titre.

Parce qu'encore faut-il aborder le titre convenablement, et apprendre à y jouer comme il faut, à savoir : comme un jeu de tir arcade, non pas en se focalisant sur la progression au sein des niveaux (anecdotique), mais sur le scoring, qui constitue le cœur de l'expérience et sa finalité. Avancer dans l'aventure n'est que secondaire : il faut faire grimper les compteurs. Celui d'Art d'un côté, qui récompense votre style, votre mobilité, la variété de vos tentatives d'éliminations, et de l'autre, le Beat, le combo, l'enchaînement parfait, qu'il va falloir faire grimper à l'arrachée, non seulement en canardant sans faillir les infatigables vagues d'ennemis n'attendant que de se jeter sur vous, mais en exploitant également à 100% les éléments destructibles du décor pour prolonger les chaînes le plus longtemps possible, ce qui demande un poil de stratégie (si !) et de sens de l'observation. Or il y a une subtilité (re-si !) car pour faire monter le Art Count, il faudra être audacieux et créatif, là où pour faire monter le Beat Count, il faudra être efficace et précis, de sorte que les deux tendent à s'exclure l'un l'autre, au point que le joueur devra bien veiller à définir clairement ses objectifs en amont. Faire monter votre Beat Count risque de faire descendre votre Art Count, et vice versa. Poser ou flinguer, il faut choisir. Il va donc falloir prendre des risques, adapter la cadence, persévérer, voire apprendre les niveaux par coeur pour espérer obtenir un B, un A ou un S, de sorte que si la prise en main est immédiate, il faut du temps et des efforts pour pratiquer Gungrave à la régulière et en retirer un certain plaisir.

Depuis, la série d'animation est venue remettre un peu de sérieux dans tout ce bazar, associant à la trame minimaliste du premier épisode un background inédit, particulièrement bien pensé, même si péchant par manque de rythme et une mise en scène lacunaire (ainsi que des dessins à l'avenant), donnant une densité et une respectabilité inattendue à cette histoire de mafia et de vengeance d'outre tombe, culminant en un dénouement inattendu et antimanichéen à souhait.

Il n'empêche. Au risque de radoter, l'essence profonde de Gungrave, c'est le nanar. On l'accepte, ou on le quitte. Attendre de licence qu'elle évolue dans le bon sens tient du contresens absolu : Gungrave cesserait-il d'être un nanar qu'il cesserait d'être Gungrave, purement et simplement. Nous parlons tout de même ici d'un jeu qui s'intitule Flinguetombe, ça ne laisse pas grand place à la spéculation quant au crédit de l'entreprise, les chances qu'il s'agisse d'un jeu à la Annapurna Games sont plus minces qu'un mannequin Channel. Et pourtant.

Après un double épisode VR qu'on préférera oublier, et dont on n'a toujours pas compris quelle était la raison d'être, cette cuvée 2022 introduit quelques nouveautés dans l'air de son temps, histoire d'étoffer un brin son gameplay rachitique en permettant d'ajouter des combos supplémentaires à la palette de son mutique protagoniste, et de faire évoluer ses caractéristiques physiques moyennant finances. Rien de révolutionnaire et de novateur, évidemment, mais la routine en sera cassée d'autant (même si pas cassée pour autant).

Pour le reste, on retrouve tout ce qui fait que Gungrave est Gungrave, à l'identique, avec une fidélité qui forcera le respect des amateurs : même moveset de base, même contrôles, même type d'ennemis, même level design, même hub, même type de musiques (ici composées par Shibata Tetsuya – DMC, FF XV – et Aoki Yoshino – Breath of Fire, FF XV), même bruitages, même progression en ligne droite, même animation taillée à la serpe, même voix off nasillarde dans les oreilles, même lourdeur de Beyond the Grave (rappelons pour sa défense qu'il s'agit d'un cadavre et qu'il transporte un cercueil de métal de plusieurs centaines de kilos. Grave est un tank, pas un ninja), la nostalgie est totale, on croque à pleine dents dans cette madeleine de Proust à date de péremption.

Le studio coréen Iggymob s'est montrée trop fidèle et trop sage, peut-être, l'ensemble manque clairement de la folie décomplexée des débuts, mais il a abordé le projet avec un admirable respect du matériau de base, dont il livre une copie-carbone joliment optimisée (plus tout à fait un jeu PS3, pas tout à fait un jeu PS4), même si toujours un peu buguée et rough around the edge.

On regrettera malgré tout que davantage d'argent n'ait pas été injecté dans le développement du programme et en même temps, compte tenu du public restreint auquel il s'adresse (les trois personnes dans le fond, là, moi compris), qu'ils aient eu l'opportunité d'en investir autant paraît déjà providentiel. On regrettera également le choix d'un pseudo réalisme cartoonesque en guise d'enrobage visuel (un oxymore à lire autant qu'à regarder, pourtant signé Ikumi Nakamura – Bayonetta, Evil Within, ...), plutôt qu'une esthétique manga dans le prolongement des opus 1 et 2, ce qui donne à Grave le look d'un vieux chanteur de Glam en cure de désintox : on grince des dents à chaque cutscene, le pauvre, lui qui transpirait jadis le charisme même sous son Stetson d'un autre âge (Stetsons are cool), et en même temps cela ajoute encore à la joyeuse nanardise de l'ensemble.

Nanardise encore accentuée par un scénario-foutoir dans le ton des précédents (qu'il ne retcon pas, contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, bien que l'épisode 2 n'ait pas laissé grand chose à raconter), desservi par une narration incompréhensible (mention spéciale au monologue d'introduction en japonais : j'ai failli faire une crise d'angoisse tant la doubleuse est obligée de parler vite sans respirer) et par une traduction française approximativement calamiteuse, lesquelles donnent au joueur la furieuse impression de prendre le train en marche, ou d'avoir loupé un épisode, ou d'avoir trois grammes d'alcool dans le sang. Ceci, malgré un copieux résumé des évènements de l'ère Playstation 2, raconté en avance accélérée via des images fixes oscillant entre le correct sans plus et le positivement hideux, à tel point que certains sous-titres s'affichent trop vite pour que le cerveau humain ait eu le temps d'en prendre connaissance (on aurait préféré un beau débarbouillage des cinématiques originelles, il y avait de quoi faire, mais c'eut été certainement encore trop quali).

On retrouve au passage toujours avec plaisir le goût de Nightow pour les noms de personnages et d'organisations tirés par la racine des cheveux (je ne sais pas vous mais moi, personnellement, ça m'avait manqué), qu'on nous balance à la volée sans nous laisser une seconde pour les retenir. Et de toute façon, peu importe, vu qu'on va tout flinguer. Le reste n'est que littérature de gare.

Répétitif, bordélique, régressif, à l'instar des épisodes précédents, Gungrave G.O.R.E. n'est pas un bon jeu. Mais ce n'est pas un mauvais jeu non plus. C'est un Gungrave, ni plus ni moins.

Et c'est pour ça qu'on l'aime ou qu'on passe son chemin.

A titre personnel, les retours français m'ont presque convaincu d'annuler ma commande mais ils m'avaient déjà fait le coup avec Othercide qui, pour moi, fut l'une des expériences vidéoludiques les plus gratifiantes de ces dernières années, alors j'ai pris le parti d'y croire et je ne l'ai pas regretté. J'ai eu exactement ce que je m'attendais à avoir. Ni plus, ni moins. Au grincement de dent, au rire nerveux, à la jubilation près. 

Aussi conclurai-je comme j'ai commencé : si vous connaissez et aimez la licence Gungrave, allez-y sans crainte, vous êtes ici chez vous. Dans le cas contraire, fuyez sans vous retourner et ne vous arrêtez pas avant d'avoir mis trois kilomètres entre vous et la boutique de jeux. Si malgré tout son univers vous interpelle, trouvez-vous l'animé et contentez-vous en, il est assez atypique pour mériter le coup d’œil, et constitue l'un des rares exemples de jeu vidéo bien adaptés à l'écran (voire mieux). Mais n'allez pas vous infliger ce que vous considérerez comme une purge, moitié à tort et moitié à raison, au risque d'en dégoûter les autres. Et si vous ignorez l'avertissement, ne vous en prenez qu'à vous-mêmes. Tout le monde n'est pas fait pour porter le Stetson. Et puis vous ssavez quoi ? La météo annonce qu'il y a de l'orage dans l'air.

Rain.

Here comes the rain...

Liehd
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le 26 nov. 2022

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Liehd

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