- ... le jour où vous comprendrez ces règles, la terre tournera autour du soleil !
- Je suis estafier monsieur, je connais la réalité de la guerre, et ce n'est pas avec des décoctions d'apothicaire et des sortilèges tape à l'œil que l'on gagne une bataille.
- En tant que professeur émérite de l'académie d'Oxenfurt, je vous répète que la force du nombre ne suffit pas toujours, c'est en contrôlant l'adversaire et en analysant stratégiquement...
- ... Des hommes ! Il nous faut des hommes! Des hommes robustes qui n'ont pas peur de prendre des coups, les derniers debout seront les plus heureux, c'est avec le sang et le fer que nous...
- ... Vos soldats sans cervelles ne vous seront d'aucune utilité quand il faudra combattre des créatures...
La discussion fut soudainement interrompue par le bruit grinçant du modeste rideau de bois qui servait de porte d'entrée. Pendant le bref moment de silence qui suivit les premiers pas de l'homme entrant sur le seuil, le vent s'engouffra et siffla au contact des cruches de vins. L'homme en question avait une mine des mauvais jours, ses gants étaient tachés de sang, ses yeux de chats brillaient dans la semi obscurité des lieux. Dans un monde normal, ce genre d'apparition aurait de quoi perturber la quiétude des convives mais il n'en fut rien. Il faut dire que ce soir-là, au Martin Pêcheur, la salle était pleine comme un village de campagne le jour de la fête du cochon. Des gens de toutes tailles et horizons, rassemblés sous un même toit par leur amour des cartes et leur passion pour la boisson. S'il est acquis qu'on ne devient pas maitre de gwent (gwynt pour les anglophobes) sans un minimum de plomb dans la cervelle, il est pourtant possible à n'importe quel manant pas trop fâché avec l'arithmétique d'y perdre de nombreuses heures au point d'en oublier son labeur. La popularité du jeu tient pour beaucoup de sa gratuité qui permet aux plus démunis d'enfin s'asseoir à la même table que l'élite sans avoir à courber l'échine. Vous me direz qu'il ne s'agit pas du seul jeu du paysage à prôner ce genre de modèle économique ce à quoi votre serviteur vous répondra que la générosité a souvent des épines. Mais dans notre cas, il est tout à fait possible d'atteindre un niveau très respectable sans le sou, seule la vanité étant une véritable menace pour la prospérité des plus démunis d'entre nous. Oh, bien sûr, les grands seigneurs de ce monde pourront toujours user de leur bonne fortune pour accélérer leur progression, mais n'est-il pas plus gratifiant d'obtenir juste récompense dans les règles de l'art ? D'une part, le créateur du jeu s'était fait serment de fournir des decks de départ complet à toute personne qui en manifestait l'intérêt ne mesurant pas à l'époque que sa création franchirait si vite les frontières des royaumes du Nord. D'autre part, une source sûre m'a rapporté qu'un troll un peu idiot mais pas bien dangereux avait ouvert une échoppe où il est possible d'acquérir régulièrement des barils de cartes mais surtout de recycler ses cartes inutiles pour en crafter des meilleures voyant ainsi sa collection gonfler comme le ventre du roi un soir de banquet.
...
Dès lors que la porte de l'auberge fut refermée, tout le monde repris ses activités sans porter plus d'attention au nouvel entrant. L'homme aux cheveux d'albâtre et aux yeux de chats s'avança d'un pas feutré mais assuré jusqu'au bar et commanda tranquillement de quoi se rafraichir le gosier, sans chercher à croiser quelconque regard. En attendant d'être servi, il dévia son attention vers la table voisine ou se déroulait une partie de gwent agité. "Duvvelsheyss!" s'esclaffa un nain bourru à la barbe rousse visiblement désarçonné par la sagacité de son adversaire. Il est connu de tous que les nains sont aussi mauvais joueur qu'ils sont bon buveur, trop impulsifs sans doute, préférant sortir la hache d'abord et réfléchir ensuite.
Voyez-vous, la particularité du gwent est qu'une partie se déroule en trois manches, dont il vous faut en remporter deux. Les hostilités se déroulant au tour par tour, tout bon stratège vous incitera à vous emparer de la première pour vous assurer d'avoir ensuite le dernier mot. Mais il ne s'agit pas pour autant d'envoyer ses meilleurs éléments à la mort à la première occasion venue. Retenez qu'une victoire s'obtient toujours sur la durée. Développer une stratégie est tout aussi important qu'empêcher l'adversaire de développer la sienne, et la chance n'aura que rarement sa place dans le résultat final. Tout l'enjeu réside donc dans la maitrise du tempo et la capacité à passer au bon moment tout en conservant suffisamment de forces pour triompher durant l'assaut final. Quand on sait que c'est un lancer de pièce qui détermine qui prend la main en début de partie, il y avait de quoi craindre moult échauffourées tant le joueur en position réactive semble être avantagé. Mais bien conscient de la problématique, le créateur avait malicieusement prévu que le joueur chargé de commencer la partie aurait accès à un avantage tactique à choisir parmi une sélection visant à rééquilibrer les rapports de force.
Avant de perdre la tête, Radowid le sévère décrivait le jeu d'échecs comme l'art de sacrifier ses propres unités, cette grande idée partagée entre souverains que les pertes occasionnées par la guerre ne sont qu'un mal nécessaire pour servir un plus grand dessein. Il n'aura hélas jamais eu l'occasion de s'exprimer sur le Gwent, dommage tant il aurait pu en devenir un digne ambassadeur. Il faut dire que choisir le bon leader pour épauler efficacement sa stratégie est aussi important qu'accorder son luth un soir de Belleteyn. Le terrain de jeu est un champ de bataille, votre deck est une armée, et vous êtes le général. Utilisable à votre bon vouloir, en plus de la carte jouée durant votre tour, le leader peut être au choix le garant d'une bonne synergie ou le coup de boost qui ravive les troupes en cas de coup dur.
Pour autant qu'ils soient mauvais joueurs, les nains sont d'excellents compagnons de table et c'est autour d'un hydromel de Mahakam, délicieux breuvage considéré par beaucoup comme la meilleure contribution de cette communauté à la culture mondiale, que notre ami à la barbe rousse encaissa sa défaite en compagnie de son adversaire. Voyez-vous, au gwent, jouer seul c'est comme couler un bronze en groupe. Une idée déplaisante pour certains mais ils pourront toujours imaginer qu'il sera un jour possible d'affronter des êtres artificiels moins prévisible que la tombée de la pluie sur Skellige. Heureusement, les écrits décrivent généralement la communauté du gwent comme amicale et bienveillante, à l'image de cette coutume qui veut que l'on octroie de l'or ou des fragments à son adversaire en le félicitant après chaque partie, même si celui-ci a joué comme un pied. Mais n'espérez pas conclure une quelconque romance en vertu de ses courtoisies, les chances de voir une magicienne dénudée apparaître sur une carte sont aussi élevées que les chances de survie de Geralt lorsqu'il chute d'un toit de maison. Au grand dam de votre serviteur.
En parlant du sorceleur, celui-ci ne tarda pas à quitter le bar aussitôt une cervoise bien fraîche entre ses mains. Il avait repéré une petit table libre au fond de la pièce et empressa le pas pour ne pas être devancé. Il du toutefois marquer un arrêt dans sa halte lorsqu'il percuta un soldat pour le moins erratique dans sa tentative de déplacement. C'était l'estafier de tout à l'heure, visiblement rond comme une queue de pelle et toujours en train de se prendre le bec avec le professeur d'Oxenfurt, assurément pas beaucoup plus frais que lui. Entre une flopée d'insultes qui n'aurait pas fait honte à un fossoyeur nain, et dieu sait que les fossoyeurs nains sont d'une obscénité inégalable, Geralt parvint à distinguer le cœur de leur querelle. Celle-ci portait cette fois sur la meilleure faction à choisir pour un débutant, sujet ô combien polémique… Vous n'êtes pas sans savoir qu'il existe dans le jeu plusieurs factions auxquelles s'ajoutent des cartes neutres utilisables dans chacune d'entre elles. Au nombre de six, elles ont chacune leur propre identité et leurs propres atouts. Rationnellement, on choisit sa faction en fonction de son style de jeu même si dans un souci d'éclectisme l'idée à terme est de toutes les essayer. Pourtant, certains y voient un véritable choix politique n'hésitant pas à jurer allégeance à l'empire du Nilfgaard en dépit de tout bon sens. De toute façon, faut arrêter ces conneries de nord et de sud ! Une fois pour toutes, le nord, suivant comment on est tourné, ça change tout !
Finalement installé à son aise, le sorceleur profita de ce répit pour compter les quelques couronnes glanées au cours de sa journée. A la pesée, sa bourse ne pesait pas bien lourd en comparaison du monstre qu'il du occire pour la remplir, mais il n'eut guère le temps de se lamenter sur son sort avant d'être de nouveau interrompu. Devant lui se dressait notre vieil ami Zoltan encore un peu secoué par sa récente défaite, bien que reboosté par l'hydromel qui commençait doucement à danser dans ses veines.
- Tiens donc Geralt, on ne salue même plus son vieux compagnon de galère ? Tu as sale mine, t'es encore plus pale qu'une vierge un soir de noces, dure journée ?
- J'ai connu des jours meilleurs, en effet. Désolé, j'ai préféré me faire discret, et je m'en serais voulu d'interrompre un tel spectacle, qui était ton adversaire ?
- Un gougnafier de la pire espèce, celle de ceux qui passent leur journée à observer discrètement les influenceurs pour copier leur tactique sans même chercher à faire marcher le peu de matière qui traîne dans leur caboche. Troisième fois qu'il me saigne cette semaine, toujours avec le même deck. Je te le dis Geralt, les cartes et les nains ne font pas bon ménage, je vais devoir trouver un moyen de me refaire, parait qu'il existe un mode arène où la compétition se fait moins rude…
(Le sorceleur n'avait que peu d'oreilles pour les complaintes de son ami ce soir-là, il n'avait déjà que trop de fois entendu son grand numéro de victime étranglée par la frustration et la mauvaise fois. La vérité est qu'en dépit de tous ses efforts, Zoltan n'était pas plus joueur de carte qu'un cul de chèvre était une trompette. Mais si votre serviteur avait appris une chose de ses nombreux voyages, c'est que la compétition n'est pas un objectif partagé de tous. Durant ses périples, Geralt m'avait confié avoir affronté aubergistes, pêcheurs, forgerons ou encore modestes marchands pour le simple plaisir du jeu. A la lueur de ces informations, l'accessibilité apparaissait comme une route à paver d'or pour le créateur. Hélas, c'est là où le bât blesse, car si la complexité des règles n'a en soit rien d'un obstacle infranchissable, c'est la qualité de l'apprentissage qui est à remettre en question. Ne soyons pas complètement médisant, un tutoriel existe, mais il me faut avouer que celui-ci peine terriblement à expliquer les grands principes de la philosophie du jeu, et échoue ainsi à préparer correctement le néophyte aux véritables joutes. Reste alors plusieurs possibilités pour le nouveau venu. La première est d'user de la technique de l'escarmoucheur nain, à savoir foncer tête baissée dans la bataille et tenter de survivre en apprenant sur le tas. La deuxième, plus mesurée, est de se procurer un exemplaire de Thronebreaker, autre jeu du même créateur pouvant s'expérimenter pleinement en solitaire à condition de se délester d'une bourse pleine. La troisième, plus répandue, est de trouver une personne compétente pour y trouver conseil, la bonne nouvelle étant qu'à notre époque les plus habiles joueurs n'hésitent pas à faire étalage de leur savoir à foule ouverte.)
- … enfin bref, comme disais le vieux Chivay la réussite est une pute vertueuse qui couche quand ça lui chante, alors buvons à des jours meilleurs. Tiens regarde ce que j'ai réussi à me procurer après mon match.
Il sorti alors de sa poche une carte à l'effigie du célèbre loup blanc. Comme tous les héros de ce monde, Geralt avait le privilège de posséder une carte à son nom. En vérité, son personnage existait même en plusieurs exemplaires, ce qui n'était pas forcément du goût de tous ses collègues. Bien sûr, utiliser des héros de son calibre est un privilège, le créateur en était conscient et il avait affublé des bordures dorées sur la carte des meilleurs combattants, tandis que les cartes les plus communes se contentaient d'une parure de bronze. En plus de cela, il avait attribué à chaque carte un "coût en provision" déterminé selon leur puissance potentielle, "coût" qu'il sera important de surveiller dans ce que les plus érudits appellent le deckbuilding. Pour faire simple, inutile de fantasmer sur un deck regroupant tous vos personnages préférés, il n'est de bonne armée sans fantassins à jeter en pâture. Tout le sel de la constitution d'un deck réside dans l'équilibre à trouver entre des cartes de moindre forces dévoués à votre stratégie et d'autres très puissantes chargées de faire saigner votre adversaire quand la bonne occasion se présente. Evidemment, encore faut-il pouvoir disposer de ses meilleurs atouts au moment voulu, c'est pourquoi la qualité de la pioche revêt d'une importance toute particulière. Bien qu'il soit possible d'user de certaines cartes pour en améliorer le contrôle, il s'agit là d'un des seuls points sujet aux humeurs du hasard.
Vous vous demandez alors certainement comment un tel jeu peut être équilibré ? A cela le boucher de Novigrad vous répondra qu'un jeu de cartes de ce genre n'est jamais totalement équilibré, il pourrait même se glisser dans sa bouche des mots comme "méta", ou "nerf", sans même vraiment comprendre ce qu'il essaye de dire. La voyante de Velen vous dira quant à elle qu'un jeu CD Projekt bien équilibré relève au pire de l'utopie, au mieux de la bonne blague de fin de soirée. De là à savoir qui dit le plus vrai, votre serviteur vous en laisse bon juge. Evidemment connaitre certains personnages et autres créatures de ce monde amènera sans doute un supplément d'affinité pour les joueurs. Il se dit même que dans quelques centaines d'années, certaines personnes seront heureuses en constatant le travail effectué pour coller au lore ainsi que les différentes références au folklore local disséminé ici et là. Un barde parlerait certainement d'amour des fans bien qu'en vérité de l’amour, nous savons peu de chose. Il en est de l’amour comme d’une poire. La poire est sucrée, chacun en connaît la forme. Mais essayez donc de définir la forme d’une poire.
Plus facile de décrire la tête du sorceleur quand il prit la carte entre ses mains, et c'est dire tant il ne laissait transparaître que peu d'émotions en dehors de son sourire en coin si caractéristique.. La carte était très belle, votre serviteur ne pouvait le nier. En fait, la majorité des cartes étaient réussi esthétiquement, flirtant même pour certaines avec la magnificence dans leur version premium. Il est même possible de dire que la qualité artistique du jeu de gwent est un de ses plus fiers atouts face à la concurrence. En contemplant la carte, Geralt fut pris d'une vision du passé, le souvenir de cette folle journée au Passiflore où il déjoua les pronostics en terminant premier du tournoi qui y était organisé. Depuis ce jour, le gwent avait beaucoup changé et nul doute qu'il changera encore. Des améliorations, sans aucun doute, mais aussi de la nostalgie et des regrets, peut-être. A partir de là, inutile de conclure au risque que ce texte soit un jour partiellement désuet.