Vous êtes complètement perché. Vous êtes tellement haut que vous commencez à voir trouble, et quand vous ne voyez pas trouble, vous voyez en bouillie colorée. Si vous avez mal aux yeux, vous souffrez vraiment. Sinon, vous acceptez la bouillie, comme un masque volontaire, cohérent. Vous vous voyez vous-même de haut, comme depuis une caméra de plafond mobile qui suit tous vos mouvements. Ou dans un jeu vidéo, type années 80. La bouillie visuelle vous fait penser à ça d'ailleurs, un vieux jeu vidéo.
Quant à l'époque, tiens, vous n'y aviez pas pensé. 1989. Vous sentez bien que vous êtes au XXIe siècle, mais il flotte dans cette atmosphère poisseuse et colorée, travaillée même, avec un souci du détail qui ne relève que du rêve (ou d'un film de Christopher Nolan), une impression de modernité. De neuf.
C'est un rêve hyper violent que la bouillie aide à digérer. Vous portez un masque saugrenu et vous hachez menu un tas de types patibulaires, au couteau, au fusil, à la brique rouge ou à mains nues. Vous les achevez en les étranglant. En les égorgeant. En leur crevant les yeux avec les pouces. Vous rencontrez des types qui portent des masques et qui vous menacent, des êtres qui n'existent pas, vous enchaînez les meurtres, comme un sauvage forcené.
Décidément, ce rêve n'est pas tout à fait comme les autres. Quelle violence ! Vous ne comprenez pas tout. Parfois, vous revivez ce qui semble être une même scène, mais d'un autre point de vue. Ou avec une autre approche. On vous tue, mais vous ne mourrez pas vraiment. Vous recommencez ce carnage incessant, démultipliant, à la manière de Manhunt, les points et les bonus au fur et à mesure de la sauvagerie qui vous étreint. Les yeux exorbités, vous jubilez, même si vous ratez votre cible, dix fois de suite, vous recommencez avec la même frénésie. C'est un rêve, vous ne vous arrêtez pas.
Vous répondez à ces coups de fil étranges qui vous envoient massacrer ces hordes sans foi ni loi. Vous élaborez votre stratégie pour être encore plus déglingué. Vous tapissez de rouge sang les murs, au rythme effréné de cette musique actuelle aux accents rétro.
Comme dans un songe, vous naviguez à vue, tâtonnez, pestez. Pourquoi ne meurt-il pas, ce salopard, quand je vide à bout portant un chargeur de mitrailleuse dans son abdomen ? Pourquoi sont-ils si rapides et moi si lent ? Comment me voient-ils si je ne les vois pas ? Un rewind instantané vous permet de repartir, cette fois mieux préparé. Vous êtes vifs, votre rêve suit la cadence. C'est une plongée incisive et farfelue dans une violence non maîtrisée.
Décidément, ce rêve n'est pas tout à fait comme les autres. Il fait penser à cette jeune femme blonde et pulpeuse que vous avez séduite, dans un autre songe solitaire, une nuit de printemps. Cette femme, belle, à la peau douce, vous l'avez prise pour un objet de désir, un coup facile, et elle vous a ridiculisé et humilié, vous laissant pantelant, bouche bée, le caleçon mouillé. Un réveil humide et désagréable. Imparfait. Mais un rêve insolent et provocateur, drôle, jouissif, dont vous gardez en bouche un souvenir amer d'un moment en apesanteur que vous regrettez. Vous êtes amoureux de cette blonde qui vous a fait un peu mal, que vous ne connaissez pas...