C’est un jeu à propos d’un jeu. Le terrain se situe sur votre clavier, et sur votre écran. Les consignes? Repeignez les murs (mais pas le 4ème !) en rouge sans retenue. Au point que vous aurez l’impression d’avoir installé un wallpaper monochrome rouge sur votre PC.
J’en ai vu des jeux 2D quasiment « borderlines », qui savent se montrer durs ou horrifiques et ce, même au travers de pixels. Le réalisme est la méthode la plus efficace. Il peut directement suggérer la folie, rien qu’en plaçant une trainée de sang par ci par là. Ce n’est qu’un exemple.
Mais Hotline Miami est carré. Il se fiche de son apparence qu’il tient de ses ancêtres en 2D comme les gentils Mario et Kirby entre autres. D’autres l’ont fait avant lui, Rampage et GTA2. Si le jeu en 2D veut suggérer la brutalité et la soif de sang animale, il y va jusqu’au bout. Et cela tout simplement, en plaçant le joueur, vous-même, au centre de l’action. Vous massacrerez votre manette comme un tueur roue sa victime de coups jusqu’à la mort. Vous devrez vous surpasser pour cogner, exécuter, saigner tout un monde. C’est un die and retry. Au bout d’un énième essai, vous ne faites qu’un avec Jacket, l’anti-héros. Vous commencerez à manigancer des plans, quel angle de tir fera le plus de victimes, choisir entre le marteau et la perceuse, tuer ou tuer ? Comment tuer ? Tout simplement, Tuer.
Et vous aimerez ça.
C’est le seul verbe qui reste en tête. On n’emploie plus « jouer ». Pour obtenir le meilleur score, à savoir l’A+, il faut calculer et avoir une véritable soif de sang de pixels. Et le côté visuel du titre renforce cette hypnose. D’accord, on nous présente de jolis intérieurs d’immeubles rongés d’ennemis à buter. Effectivement, le soin du détail est impressionnant. C’est encore plus impressionnant quand on voit que la majeure partie du travail fourni sur les animations sont celles des exécutions. Un vrai Niagara de sang. On projette sa victime au sol, on l’attrape par les épaules et on cogne l’arrière de son crâne jusqu’à repeindre le tapis avec sa cervelle. Ou avec une brique. Une bouteille brisée. Des ciseaux. De l’eau bouillante ou que sais-je.
C’est dingue. J’étais pris aux tripes à étriper tout le monde. La faute à ce gameplay qui n’attend pas. Tout est hyper réactif, la simple marche du personnage est jouisive en soi. Eh oui. C’est tout bête, mais avoir l’impression d’avoir un total contrôle sur le jeu est le premier piège de Hotline. Il apprend le péché étape par étape. Dans un premier temps, lorsqu’on est lancé sur un nouveau contrat (à comprendre, une mission), il n’est pas rare de finir en charpie non pas qu’une fois, mais une bonne dizaine. Parfois, il m’est venu d’en arriver à une conclusion aussi simple que bonjour : j’arrête de réfléchir. Je fonce dans le tas. Et toc, ça marche ! Cela ne veut pas dire que j’éteins mon cerveau et que je joue – pardon, tue – inconsciemment. Je laisse place à mon autre moi, l’instinct. Les seules parties de mon corps à bouger sont mes yeux et mes doigts. Tout se focalise là-dessus.
Et quoi de mieux qu’une puissante bande-son pour doper son envie de saigner ? J’ai parlé d’hypnose. Les yeux sont déjà pris par les tâches rouges sur le plancher, le fond de couleur variable allant de gamme néon à gamme retro violette. Il y a aussi cette caméra qui bascule à chaque pas, comme pour nous rappeler que l’on incarne est déséquilibré. Hotline Miami dispose d’un plus grand atout.
Connaissez-vous la synthwave et le new retro wave ? Kavinsky, Wice, La Cassette, Miami Nights 1984, pour ne citer qu’eux (pour un bon départ, checkez Accelerated, Ocean Drive et Star Fighter sur Youtube)? Je pourrais en discutailler pendant des heures tant ces ambiances me parlent. L’époque de la fin des années 80. Miami est justement le symbole même de ce genre musical. Regardez aussi du côté du cinéma, avec entre autres Drive, de Nicolas W. Refn.
Eh bien, lorsqu’on entre en transe avec son jeu, le gameplay fait bien son boulot. Mais autant aller au bout. Les sens de la vue et du toucher sont pris, l’adrénaline a eu raison d’eux. Il ne reste plus qu’à occuper les oreilles pour finaliser l’hypnose. Et hop, ça y est, la réalité du jeu devient notre réalité. Et c’est là que le jeu gagne. C’est là tout son génie. Voilà pourquoi il n’y a pas plus dérangeant et brutal que Hotline Miami. Il est le tableau qui affiche jusqu’où peuvent aller nos capacités animales.
N’allez pas au-delà du 4ème mur. Surtout si ce mur s’appelle Hotline Miami.