Il y a de vraies bonnes choses dans Humankind ; des idées qui sont intéressantes mais marchent moins bien en pratique ; et beaucoup, beaucoup de petits problèmes à corriger.
Au rayon de ce qui marche : la patte graphique du jeu est top. Pas tant la carte (qui est jolie mais pas très lisible, un problème néanmoins partagé par beaucoup de 4X) que les portraits, illustrations et le design général, vraiment jolis et plaisants. La musique est également plutôt sympa. Et l'idée générale du jeu, celle de suivre une civilisation de la préhistoire jusqu'à la conquête spatiale, est aussi bien réussie. Ça a bien sûr déjà été fait avec, entre autres, Civ (la comparaison évidente qui vient immédiatement en tête), mais pour je-ne-sais quelle raison, cet aspect est mieux rendu dans Humankind, et me rappelle, dans un tout autre genre, Empire Earth, un STR qui possédait la même amplitude temporelle.
La principale différence avec Civilization, celle qui a fait couler beaucoup d'encre, est le fait que l'on incarne non pas une seule nation de bout en bout, mais plutôt une succession de civilisations (appelées ici "cultures"), chacune appartenant à leur époque. À chaque ère (sept au total, du néolithique à l'ère moderne), on peut continuer sa culture ou en adopter une nouvelle. Plusieurs buts derrière cette décision de design : déjà, rendre le jeu plus cohérent avec son thème et éviter les anachronismes gênants de Civ, où les États-Unis participent aux guerres moyenâgeuses, et où les Romains sont toujours présents à l'âge spatial. Ensuite, éviter le stress de devoir décider dès le début du jeu de l'orientation de sa civilisation, ce qui condamne forcément à tendre vers un but spécifique et à passer 20-50 heures à faire la même chose. Ici, il est possible de varier les plaisirs, et surtout de compenser les lacunes en cours de route ou de pivoter pour éviter un écueil ou poursuive une opportunité : en retard sur l'arbre technologique ? On passe une ère avec une culture orientée science, pour se rattraper. On visait la conquête du continent, mais la ressource stratégique nécessaire aux unités les plus avancées se trouve aux mains de l'ennemi ? Cherchons plutôt la suprématie culturelle. Ce faisant, on tisse à travers les âges l'histoire d'une civilisation qui sait évoluer, gardant néanmoins en son cœur les particularités des cultures passées.
Ça, c'est la théorie. En pratique, est-ce que ça marche ? Relativement moyennement. Déjà ce qu'on gagne en cohérence temporelle, on le perd en logique géographique et culturelle : passer des Celtes, aux Aztèques, aux Néerlandais avant de finir avec les Japonais, ça donne pas une histoire très cohérente. Ensuite, même si on garde en effet un trait de chaque culture pendant le reste de la partie, la culture actuelle est tellement imposante qu'on a vite tendance à oublier les bonus acquis en début de partie (alternativement, on revient sur le même problème de conditionner sa partie aux bonus acquis en début de jeu, là où on ne savait pas encore comment la partie allait se dérouler).
Les développeurs ont également pris la décision assez curieuse de faire référence aux joueurs par leur culture (plutôt que par leur leader, par exemple). Résultat, à chaque ère, les joueurs semblent changer. Pour les voisins immédiats et autres rivaux de longue date passe encore, mais pour les civilisations plus éloignées, difficile de se rappeler que l'Étrusque que vous avez croisé en début de partie est maintenant un Austro-Hongrois. Heureusement chaque joueur est également associé à un code couleur, qui lui reste fixe à travers le temps (pas très accessible cependant, vu que le jeu n'a pas de mode daltonien).
Enfin, parlons rapidement des bugs. Je vais pas en faire grand cas vu qu'on peut espérer que ces problèmes soient résolus dans des updates futures, mais pour le moment c'est ce qui domine l'impression qu'on se fait du jeu. Certains sont graves (écrans de chargement figés, saves corrompues…), beaucoup plus sont mineurs : annonces qui ne sont pas liées à ce qui se passe vraiment dans le jeu, morceaux de texte manquants, achievements remportés pour des objectifs qu'on a pas accompli… c'est quand même assez moyen pour un jeu qui n'est même pas en Early Access, et est censé être complet. Mais bon, c'est ça le jeu vidéo moderne.
Pour le gameplay proprement dit, en dehors de ce qui a déjà été évoqué, personne ne sera très dépaysé de Civilization. Ça marche grosso modo pareil, certaines innovations sont intéressantes (le combat en tour par tour sur une sorte de minimap, le commerce pas mal simplifié et moins laborieux), d'autres ont une valeur discutable (le système de villes, de poste-avancés et de district qui, en plus d'être compliqué, n'offre pas vraiment les outils pour savoir ce qui est intelligent à faire ou non).
Il manque également un gros travail de balancing : on est constamment soit inondé d'une des ressources (argent, influence, stabilité etc), soit totalement en manque, sans que ce soit très clair de pourquoi ça a tant changé. La recherche semble avancer lentement (sauf à se focus dessus à fond), et le changement d'ère n'est pas lié au niveau technologique mais à un système d'objectifs - qui peuvent être scientifiques, mais aussi associés aux victoires militaires ou au développement de la population. Bilan : on peut se retrouver à l'ère industrielle en ayant toujours une armée composée d'archers, et à la fin de ma partie, tout le monde était à l'ère moderne et pourtant l'unité la plus avancée sur la carte était un galion du 18ème siècle. On retombe sur les problèmes d'anachronisme qu'on était censé éviter.
Les bugs et la balance, ça peut se résoudre. Le cœur du jeu (graphisme, concept, systèmes), moins. Pour l'instant, pour moi, le jeu est sur la balance, et ça penche du mauvais côté : à choisir aujourd'hui, je garde Civilization V ou VI. Mais il y a un vrai potentiel si les développeurs du jeu continuent à peaufiner et à itérer sur leurs idées, et s'ils résolvent les problèmes de lancement. Rendez-vous dans un an ou deux pour en juger.