Il est rare qu’un jeu révolutionne son genre. Il est tout aussi rare qu’il questionne son joueur. L’héritage, s’il n’est pas indépassable, constitue une force qui s’exerce comme la gravité : elle ramène les ambitions les plus fragiles à ce que nous connaissons de mieux. Toutefois, nul besoin de léviter pour côtoyer la réussite. Certains maitrisent suffisamment les outils à leur disposition pour partager un bel ouvrage et profitent alors pleinement de la psychologie de la forme : le tout diffère de la somme de ses parties. Hyper Light Drifter nous sert un avatar souffrant, dans un univers pris lui aussi par la maladie. Aux commandes de ce personnage mutique, il nous faudra explorer un monde constitué de zones s’étendant aux quatre points cardinaux à la recherche d’outils technologiques et d’un remède pour se soustraire aux tourments du drifter.
Dans sa forme, Hyper Light Drifter est somme toute classique. Le joueur alterne l’exploration et les combats, découvre des secrets, accumule des artefacts et se laisse tenter par les améliorations de son protagoniste. Déplacements instantanés, coups d’estoc et pistolades sont au programme pour se défaire des rencontres peu chaleureuses durant ce voyage. Les affrontements sont pour la plupart facilement réglés, le nombre d’opposant n’étant pas assez important pour représenter une véritable menace. Le titre jouera fréquemment de cette accalmie avant d’éprouver son joueur par des attaques soutenues et des boss incontestablement plus meurtriers.
Toujours dans sa forme, Hyper Light Drifter nous confronte à la fatalité de notre humanité, notre finitude. L’introduction présente la dévastation du monde, les zones portent les symptômes d’un cycle dans lequel l’humain n’a pas sa place et l’arrivée au village révèle un état de survie précaire ; restent les vendeurs proposant de l’équipement, des gardes, les autres habitants semblant désemparés. Tout, dans les détails d’Hyper Light Drifter, aspire à prendre le joueur comme témoin d’une conclusion morbide. À l’Est, un massacre doublé d’esclavage. À l’Ouest, un mystérieux cristal s’étend sur la faune et la flore et emprisonnant ce qu’il touche. Au Nord la sorcellerie règne tandis qu’au Sud la science s’exerce sur les corps pour des métamorphoses douteuses. Le drifter n’est pas épargné par ces détails : son sang tombe régulièrement lorsqu’il est dangereusement bas en points de vie. Il s’administre des seringues pour se soigner. Son état, vacillant, le soumet à des hallucinations qui mettent en scène son trépas : transpercé, écrasé, étouffé.
Comme si notre incapacité à bouleverser l’ordre naturel des choses n’était pas suffisamment établit, le jeu se plait à nous l’assener. Les corps de nos ennemis demeurent à l’écran alors que des cadavres étaient déjà présents. Notre seul allié auquel notre personnage doit la vie apparait de plus en plus démuni à chaque début de biome. Les équipements des drifters semblent vétustes. Les environnements sont délabrés. Le triomphe final du joueur face au défi offre une résolution mitigée. A la suite de quoi, le jeu nous laisse le loisir de recommencer… En diminuant la santé du bretteur.
Notre unique résistance, la seule variable que l’on a pour soi au sein de ce décor reste le combat. Il n’est pas exutoire, mais se prête à l’élégance lorsqu’on parvient à apprivoiser le rythme des mouvements de notre malade et de ses bourreaux. Hyper Light Drifter saisit certes la morbidité et sa conséquence invariable mais offre aux persévérants une beauté mélancolique à travers ses décors généreux en couleur et livre l’une de ses thèses. Accepter sans se résigner.