Dernière claque de 2022, et pas des moindres. Les indépendants ont vraiment du talent, c’est un plaisir de terminer l’année sur un jeu aussi sympathique, riche et réussi. Comme l’a dit Yakkocmn “C’est vraiment du jeu vidéo comme forme d’art”. Disons qu’en tout cas, ça permet de démontrer ce que ce média a dans le ventre en matière d’émotion à transmettre et d’expérience à faire vivre. C’est pas avec toutes les œuvres que tu tiens une feuille de note pour mieux mener l’enquête !
Le pitch du jeu vous l’avez sûrement, vous êtes sur l’internet de la fin des années 90 et vous devez vous acquitter de la modération : contenus protégés par le droit d’auteur, harcèlement, activités illégales… Encore une fois c’est diablement réaliste comme tâche mais le faire une fois dans sa vie et dans un cadre aussi burlesque et artistiquement réussi, c’est tellement ludique ! C’est une expérience à vivre assez hors du commun, pour peu que vous soyez du style à apprécier vous perdre dans la culture web… Personnellement je trouve qu’il n’y a rien de plus marrant que de lire les messages des gens sur internet, se confronter un peu à leurs vies, leurs réactions, leurs personnalités. A chaque nouveau tweet de Macron je vais dans les réponses car je sais qu’il y aura des remarques acides, à chaque offre sur Dealabs je vais voir voir les commentaires pour voir des pingres prolos (comme moi) se titiller, et si vous êtes ici en train de lire l’avis d’un inconnu sur un jeu vidéo c’est que vous avez aussi cette empathie d'interagir avec les expériences de vos pairs pour enrichir la votre !
Donc vous vous baladez sur ce faux-internet, bourré de contenu à la qualité et à la quantité folle. Chaque page web a sa propre musique, souvent chantée, et regorge d’animations, de pixel-art, d’articles et de mise en page honteuse qui rendent tellement hommage au kitsch fantasmé devenu caractéristique de cette période. Une musique inédite par page quoi, les développeurs n’avaient pas besoin de faire cet effort et ça rend le produit final tellement riche. Il y a des mini-jeux dans le jeu, du nouveau contenu est ajouté à des moments clés de l’aventure, on peut récupérer des programmes malveillants ou non à gogo, le concept est hyper bien exploité. Tout est vivant et interactif (c’est le meilleur faux PC qui existe sur console) et on se sent vraiment enquêteur à découvrir les profils de tous ces personnages qui n’existent pas, et pourtant… DarkTwilightTiff, Linda, T1M, Zane, le Chowder Man, AbbyWrites, le biker… tous ces gens m’ont marqué, j’ai été activement investi dans la découverte de leur histoire aux moments aussi drôles que mélancoliques. Des personnages de fiction ont plus de personnalité et de vie que des personnes que je croise dans le réel à la fac… Faux genres musicaux, faux cartoons, fausses entreprises… Les développeurs ont imaginé un véritable écosystème crédible ! On s’esclaffe en découvrant la énième page complètement éclatée codée par un enfant de 8 ans sur Teentopia, et on a la gorge serrée quand on voit des gens parler de la perte de proche ou du harcèlement qu’ils subissent… C’est pour ça que j’ai été franchement traumatisé par la fin. Sérieusement toute l’après-midi j’étais choqué, estomaqué, sur le cul. Vous n'aviez pas le droit de faire un truc aussi brut et violent… et pourtant c’est thématiquement très bien trouvé et ça amène à une mécanique de jeu sur la dernière partie juste fabuleuse. Le jeu n’hésite pas à régulièrement se réinventer, et tant pis si ça amène au piétinement de votre petit cœur…
Techniquement c’est aussi du caviar, l’accessibilité du portage Switch déjà est folle avec le tactile implémenté et surtout la prise en charge du clavier/souris ce qui est littéralement unique sur la console je pense ? Les choix de design sont malins et d’une finesse absolue, encore une fois c’est des micro-détails mais ça joue tellement pour apporter une expérience finale consistante. Par exemple, le fait que le chargement des pages web fasse un grésillement c’est agréable, agiter sa souris pour les accélérer ça donne une sensation de secouer son ordi pour lui dire “PLUS VITE, PLUS VITE” c’est hyper bien pensé. La finition est excellente, c’est connecté, crédible, fonctionnel et ça force le respect pour un faux environnement créé par des indés !
Hypnospace Outlaw est un objet vidéoludique fabuleux dans ce qu’il propose qui montre vraiment ce qu’on peut faire avec ce média, et offre une expérience complète dans la culture internet des années 90-2000. Il ne rechigne pas à mettre sur la table des vrais thèmes comme la censure, le harcèlement, la liberté du web et la gangrénisation des grosses corporations. C’est doux-amer de se balader à nouveau sur une toile qui était encore plus par le passé un entre-soi de marginaux, loin de l’époque où les yes-life passent des heures à se pignoler sur je-ne-sais quel réseau social ou série Netflix.
Il est capable de transmettre la mélancolie et la nostalgie d’une époque même aux gens qui ne l’ont pas connue, et regorge quand même d’un humour hyper efficace. Bravo à Jay Tholen et ses équipes, ça donne vraiment envie de tester Dropsy et d’attendre vos futures productions. Simplement par pitié, vu que la suite DreamSettler est déjà annoncée, laissez au joueur la possibilité d’obtenir une fin positive !
Par exemple ici, sauver plus de personnes lors du Mind Crash… Tiffany 😭 Je m’en remettrais jamais je pense…
J’en peux plus de ces jeux qui utilisent la nostalgie du début d’internet avec comme thème la fatalité, comme Emily is Away à l’époque… Donnez-moi quelque chose pour réchauffer mon petit kokoro…
Conclusion : Jouez-y vite. Connectez-vous à l’Hypnospace et si vous avez aimé Her Story c’est un peu pareil en mieux.