Ihatovo Monogatari par Low Energy Idol
Le phénomène connu sous le nom de Moi
est une lumière bleu vif
émise par une lampe à courant alternatif, temporaire et organique
(une synthèse de tous les esprits translucides).
Avec le paysage et avec chacun de nous,
elle clignote sans arrêt
et pourtant ne cesse jamais de briller.
Une lumière
émise par une lampe à courant alternatif, karmique
(la lumière subsiste, la lampe disparaît).
- "Printemps et Ashura" Préface
C'est sur cet énigmatique extrait que s'ouvre Ihatovo Monogatari. Sorti en 1993 sur Super Famicom, c'est avec confusion que l'on conçoit la poésie de cette intro puisque le jeu a été développé et édité par un certain "Hector"... Un petit studio japonais spécialisé dans la production de jeux de simulation génériques, qui est tombé en faillite en 2002 et a été instantanément oublié par l'histoire. Et avant la sortie de notre jeu mystère, ils s'étaient déjà illustrés dans leur art en produisant une simulation de gouvernement pour Famicom intitulée America Daitouryou Senkyo UNITED STATE PRESIDENTIAL RACE et vendue 9,800¥ (pas loin du double d'un jeu classique). Tout ceci au beau milieu d'une farandoles d'autres jeux random typés golf, casino ou plateau. Mais malgré ces tristes pataugeades, le premier miracle est survenu en 1992 avec la sortie de Moon Crystal, un platformer aux animations travaillées qui aura marqué la fin de la Famicom (mais pas de la NES, ça aurait été trop beau). Ce jeu inattendu préfigurait-il à l'arrivée de Ihatovo Monogatari ? Dans tous les cas, il y a eu un gars dans leur staff qui, dans je ne sais quelles conditions, a réussi à amener ce projet sur la table. Un projet dont la direction artistique est d'un niveau absolument surréaliste quand on la compare au parcours global d'Hector.
Cependant, et vous deviez bien vous y attendre : Ce jeu, déjà pas mal obscur à la base, n'est jamais sorti hors du Japon. Et il n'existe pour ainsi dire aucune demande niveau fanlation. Conclusion : On aura probablement JAMAIS de traduction. Mais... je suis un jour tombé sur un (très minimaliste) walkthrough via GameFAQs, ma curiosité a pris le dessus et c'est là que j'ai décidé de faire le jeu. Après tout, même si je n'y comprenais pas grand chose, c'était pas un drame : C'était ça ou rien, alors... Lançons-nous donc à tête perdue dans l'aventure !
Après une mystérieuse introduction accompagné d'une musique superbe, vous atterrissez dans une gare. Aucune information sur qui vous êtes, ni même vraiment sur où vous êtes exactement. Vous vous contentez de quitter le quai, faute de choix. Une fois dehors, c'est là que vous découvrez enfin votre environnement : Bienvenue dans la ville de Ihatovo !
Vous voilà planté devant l'entrée de la gare, tenant fermement en main l'attaché-case que vous allez vous trimbaler pendant tout le jeu. Une seule question vient à votre esprit : ...Que faire ? C'est vrai, après tout, je n'ai même pas encore parlé du genre dans lequel le jeu se classait ! Et là, il convient de mettre les choses au clair tout de suite : Ce jeu a été vendu comme un RPG et est répertorié partout comme un RPG... mais il n'a rien d'un RPG. Absolument rien. Je ne sais pas qui a décidé que ça en serait officiellement un... C'est le côté Hector qui tentait de reprendre le dessus, j'imagine. Le fait est qu'il s'agit d'un jeu d'aventure pur et dur : Pas l'ombre d'un combat ou d'une upgrade, et encore moins d'un game over ; même l'inventaire est particulièrement rudimentaire. À vrai dire, on ne peut faire plus clair que le gameplay de Ihatovo Monogatari : Vous vous déplacez, vous pouvez parler aux gens et checker quelques éléments du décor, et certaines interactions activeront des évènements. La progression joue sur le rôle d'antichambre de la ville de Ihatovo : En premier, vous activez les évènements nécessaires dans la ville, ce qui vous donnera accès à une nouvelle zone accessible via la world map qui s'affiche lorsque vous empruntez une sortie. Ensuite, vous réitérez cette mécanique d'enclenchement d'évènements dans la nouvelle zone (avec quelques objets en plus), ce jusqu'à ce que vous obteniez un des 7 livres que le héros recherche. Le chapitre se finit à cet instant, et vous revenez en ville pour commencer le prochain. Pure and simple. Le jeu tout entier tient là-dessus ! Les anciennes zones deviennent mêmes inaccessibles une fois le chapitre fini, pour la simple et bonne raison qu'il n'y a plus rien à y faire : On ne peut rien "rater" dans ce jeu. Il ne vous suffira en outre que de quelques heures pour en voir la fin.
Mais quel intérêt, alors ? Pourquoi se casser le cul à faire un jeu incompréhensible perdu dans les tréfonds des magasins d'occasion d'Akihabara pour un truc aussi classique ? Pour commencer, j'aimerais tempérer la linéarité du jeu. Si sa présence ne fait aucun doute, elle est relativement bien gérée et les zones qu'on explore sont arrangées de telle manière qu'un certain sentiment de liberté s'en dégage tout de même. Bien sûr, le jeu reste tracé en ligne droite, mais c'est un peu comme si on "jouait" vraiment à un roman, et qu'on se baladait dans les allées d'une histoire déjà tracée. Mention spéciale à la ville de Ihatovo d'ailleurs, franchement plutôt vaste et peuplée, ce n'est même pas désagréable de s'y balader. Au final, cette linéarité n'est même pas une faiblesse, juste une propriété du jeu qui fait partie de son concept de progression.
On est bien d'accord, ça reste maigre. Je parlais de direction artistique, et fait est de constater que je ne l'ai pas beaucoup mentionnée jusqu'ici. À vrai dire, c'est parce qu'il s'agit du coeur du jeu. En effet, le background de Ihavoto Monogatari n'est pas anodin : Il a été entièrement inspiré par l'univers d'un poète et nouvelliste japonais, et pas n'importe lequel : Kenji Miyazawa ! Son nom ne vous époque peut-être pas grand chose, mais il faut savoir qu'il est très connu et reconnu dans son pays d'origine. Vous avez peut-être d'ailleurs vu le film d'animation Gauche le Viloncelliste d'Isao Takahata ; hé bien, il est basé sur une nouvelle de Miyazawa ! Il a su développer un style particulier et personnel en puisant dans son histoire personnelle : Né dans une famille aisée qui générait ses revenus en prêtant de l'argent à intérêts aux paysans pauvres des campagnes environnantes, le dégoût qu'il ressentait envers le business familial l'a amené à s'engager face à la misère rurale. Ses écrits sont influencés par la littérature prolétarienne et le romantisme, mais on y décèle souvent des éléments de réalisme magique et, surtout, beaucoup de références bouddhiques (l'extrait en début de jeu en est la preuve). Pour l'anecdote, Ihatovo est d'ailleurs un terme d'Esperanto que Miyazawa employait pour désigner une ville imaginaire qu'il avait créée en s'inspirant de son Iwate natal. On retrouvera donc tout l'univers du poète dans Ihatovo Monogatari, avec des personnages et des villages issus de nouvelles comme Le Coquillage de Feu, Le Chef des Cairo, Ozbel et l'Éléphant, La Biographie de Guskor Budori, Le Bureau des Chats, Train de Nuit dans la Voie Lactée et même Gauche le Violoncelliste.
Bien sûr, tout ceci confère au jeu une aura unique et haute en couleurs, variée mais tout à fait cohérente. Et la barrière de la langue n'est, au final, même pas si contraignante que ça ! Bien sûr, le jeu aurait une tout autre dimension si, en plus, les textes nous étaient accessibles ; mais malgré tout, l'ambiance parvient à se faire ressentir. D'ailleurs, on peut franchement mieux comprendre certains passages en lisant les nouvelles de Miyazawa ! Et c'est plutôt court et facile à lire (même si, malheureusement, il n'y a pas beaucoup de traductions françaises).
Par contre, et c'est très dommage, un aspect vital du jeu semble avoir été laissé en reste : Le visuel. Le jeu n'est pas moche, hein, loin de là. C'est même joli. Mais après avoir lu Train de Nuit dans la Voie Lactée, je m'attendais franchement à plus extravagant et expérimental que de simples "sympathiques décors". L'imagerie de rêve, presque surréaliste, est diffuse dans toute l'œuvre de Miyazawa ; c'est donc un peu triste qu'ils n'aient pas su incarner l'univers du poète jusqu'à ce point, ça aurait été un énorme plus qui aurait clairement propulsé l'intérêt du jeu d'un point de vue esthétique. Cela dit, l'OST nous console un peu de cette déception ! Composée par Tsukasa Tawada, qui n'avait à son actif sérieux que l'OST de la version Famicom de Maniac Mansion, elle peut se montrer franchement envoûtante. En effet, elle est super travaillée, et il y a un boulot remarquable tant du point de vue de la composition (le thème d'ouverture que j'ai mentionné plus haut, Ihatovo Praise, est juste excellent) que de la banque sonore (on croirait vraiment un orchestra formé sur mesure pour le jeu, avec des instruments qui rendent super bien). Il faut croire que son talent n'est pas passé inaperçu, d'ailleurs, puisqu'il a par la suite été embauché par Enix pour faire du sound design sur la série Dragon Quest (Les remakes du III et du IV ainsi que les épisodes VI et VII) puis sollicité encore ailleurs pour être amené à bosser sur... différents spin-off de la série Pokémon (Colosseum, XD, Trozei et Battle Revolution). Bref, si le jeu est quand même une réussite au niveau esthétique, on reste quand même fort déçu du manque d'audace visuelle qui aurait vraiment lui apporter quelque chose de fantastique.
Voilà, c'est ici que je clos ma review de ce jeu si obscur qui aura tout de même convenu de lever le voile sur la majorité de ses mystères, même si l'essentiel du texte est naturellement inaccessible à ceux qui ne comprennent pas le Japonais. Il faut donc prendre en compte cette carence dans mon jugement... qui sait, le jeu devient peut-être magistral lorsque se prose est comprise ! Bref, un jeu à essayer pour les curieux à la recherche d'une expérience originale, et un jeu à faire pour ceux qui ont la chance de maîtriser la langue. En tout cas, je compte bien y revenir quand j'aurai le niveau suffisant !