Quelle étrangeté venue de l’espace qu’est Indika.
Développée par les Russes d’Odd Meter exilés au Kazakhstan et éditée par les Polonais de 11Bits, cette œuvre a dès sa première apparition attisé la curiosité de nombreux joueurs par son univers semblant à la fois décalé, froid et aux accents horrifiques, prenant place dans une Russie alternative du début du siècle dernier.
Il est assez clair qu'à la vue de quelques messages marketing sur la page de l'éditeur, le directeur du studio s’est senti obligé de justifier maladroitement que leur production, dans le contexte de la guerre en Ukraine, agissait comme un message politisé contre l'Église orthodoxe.
Heureusement pour nous, le résultat final vaut bien mieux que ce simple message lissé qui sonne comme une justification bancale contre la peur de se voir boycotté en occident.
Avant toute chose et si par chance la lecture de cette critique réussit à éveiller en vous une envie de tenter le voyage, il y a deux pré-requis indispensables pour une expérience en adéquation avec ce que je vais développer ci-dessous.
De par le contexte géographique et l'histoire, il est primordial de basculer le jeu en russe en lieu et place de l’anglais qui jure avec le reste. Ensuite, faites un tour dans les menus et désactivez l’interface qui ne sert à rien hormis vous indiquer ce que vous avez déjà sous les yeux.
Vous me remercierez plus tard.
Après une courte introduction dans un style 16 bits (nombreuses sont les surprises que je ne mentionnerai pas ici) nous prenons le contrôle d’Indika, jeune bonne sœur qui semble ne pas réussir à trouver sa place dans le couvent qu’elle a rejoint et qu’elle devra subitement quitter pour transmettre une lettre de la plus haute importance, s'ensuit le début d’un long périple.
Rapidement, je comprends qu’Indika n'est pas une œuvre à mettre entre toutes les mains, non pas uniquement par les sujets sensibles qui y sont traités, mais bel et bien par la forme que celle-ci prend une fois la manette en main.
Cela ne s’invente pas, Indika est une simulation de marche dans presque sa forme la plus pure, les actions du joueur se limitant à de rares puzzles, plutôt simplistes, et des interactions avec le décor à quelques occasions.
Le gameplay consiste la majorité du temps à avancer en ligne droite sans autre but que de progresser dans le récit. En ce sens, Indika ressemble très fortement à Hellblade et les allergiques à cette formule risquent de regretter l’investissement de quelques euros très rapidement.
Heureusement, il ne suffit pas de pousser le stick gauche vers le haut, mais la possibilité de se mouvoir et interagir se situe quelque part entre Hellblade donc et Plage Tale pour citer deux œuvres relativement connues. Vous êtes prévenus.
Le cœur de la réussite d’Indika n'est bien entendu pas ici, mais dans la façon d’aborder de front parfois avec sérieux, par moment avec humour noir, des thèmes qui sont pour le moins complexes et très sensibles.
Si les jeux occidentaux se sont déjà frottés aux thématiques de la mort, des abus sexuels, la maladie mentale, le rapport à la religion et à l’existence, Indika, comme souvent avec les jeux de l'est de l’europe et en russie, les traite de manière moins caricaturale, en particulier face aux œuvres américaines.
Chaque sujet évoqué plus haut ne sera jamais posé sous le nez du joueur bêtement, ce dernier se devant de relier les points, pour saisir l’importance de chaque geste, mot ou objet.
La foi que l’on peut avoir en Dieu face à ce que la vie peut réserver dans ses formes les plus brutales est le prisme central du récit. Indika n’ayant jamais voulu être une bonne sœur, doit donc se battre chaque instant face à son questionnement spirituel, elle qui subit les conséquences psychologiques des horreurs du passé qu’elle a vécu et dont je vous laisse le “plaisir” de découvrir.
Durant son exil pour livrer cette missive, elle fera la connaissance d’un ancien détenu atteint de la gangrène, elle verra en lui un moyen de tester sa conviction en Dieu et après un soudain changement elle décidera d’un autre voyage à entreprendre avec lui.
À cet instant, le monde autour d’Indika semble perdre le fil de la réalité et plus on avance sur la route plus ce qui nous entoure donne l’impression de prendre des proportions bibliques.
Tous les bâtiments perdent leur sens réel et la faune et la flore deviennent exagérément monstrueux, du moins au travers des yeux d’Indika. Cette chèvre, aperçue entre deux lamelles de bois, faisait-elle réellement quatre mètres de haut ?
C’est ainsi qu'Indika, en parallèle des questionnements des protagonistes, teste aussi le joueur face à ce qu’il pense avoir sous les yeux. Cette distorsion de la réalité, toujours avec la subtilité des œuvres de l'est, jamais appuyé, jamais essoré, est ce qui donne tout l’intérêt à ce type de production changeant des codes auxquels nous sommes habitués.
On dit souvent que le diable se situe dans les détails, le message est pris ici au pied de la lettre, car le diable ne se présentera à vous que si vous le souhaitez.
Dans toutes ses couches le jeu semble être un questionnement perpétuel, et ce même concernant l’expérience engendrée ou dès le départ il est ouvertement mentionné que celle-ci ne sert à rien. Alors quand est il de vouloir en engendrer ? Chaque facette de l'œuvre s'adresse à nous et le voyage entrepris par Indika se déroule en parallèle de celui du joueur, brisant le miroir entre ces deux à de nombreuses reprises.
Jusqu'à la dernière seconde nous semblons autant perdu qu’elle, elle se questionne sur l’existence de Dieu, nous nous questionnons sur nous-mêmes et l'expérience vécue.
Tout ceci me ferait presque oublier de laisser quelques mots sur la partie artistique du jeu que je juge au minimum intéressante au mieux excellente.
Appuyé par UE4, Indika réussit l’extraordinaire avec peu de moyens. Je vous laisse un lien vers mes captures d’écran en bas de la critique, mais si vous voulez garder la surprise intacte, je vous conseille de vous laisser porter par la simplicité froide et efficace des artistes d'Odd Meter qui nous démontrent une fois de plus que l’œil d’un artiste en dehors des codes habituels et d’une importance capitale.
La mise en scène bénéficie elle aussi de ce traitement ou chaque aspect aussi simple que les plans de caméras ne se contentent pas de refaire ce que l'on a déjà vu ailleurs, tout respire l’originalité, hormis peut-être le gameplay, malheureusement.
Malgré une durée oscillant entre cinq et six heures (et un prix doux en conséquence) j’ai senti qu’Indika accomplissait ce pourquoi les développeurs avaient créé l'œuvre.
Si je n’ai pas mis une note plus élevée, c’est nécessairement car tout n’est pas parfait, seulement en discuter ici serait déjà manipuler votre ressenti en plus de divulgâcher des parties importantes du jeu.
Je pense que vous savez maintenant ce qu’il en retourne, seule votre propension à explorer une œuvre à l’écart de la masse fera d’Indika un indispensable ou non à vos yeux.
N'étant pas allergique au "simulation de marche" je recommande chaudement.
счастливого пути!
Note : jeu complété dans sa configuration graphique la plus élevée. À noter que comme à l’accoutumé avec l'Unreal Engine des problèmes de shuttering récurrent sont présents.
Lien vers mes captures d’écran : https://steamcommunity.com/profiles/76561197996627981/screenshots/?appid=1373960