Kentucky Route Zero est un jeu d'aventure déroutant et fascinant. Les graphismes sont minimalistes (fil de fer et aplats de couleur) et pourtant extrêmement convaincants grâce à une direction artistique irréprochable et des ambiances soignées - appuyées par une bande-son exceptionnelle. L'aventure suit Conway, un chauffeur livreur dans l'Amérique profonde, à la recherche d'une route mystérieuse (la fameuse 'Route Zero'). Le jeu brasse des influences diverses (la culture geek, la notion d'identité, l'Amérique contemporaine, le capitalisme, etc) au gré de nos rencontres le long des routes avec d'autres paumés, qui se succèdent avec une sorte de logique onirique. Un aspect particulièrement réussi est la manière dont le joueur investit et construit Conway en choisissant ses répliques et en sélectionnant des éléments relatifs à son passé, son état d'esprit, ses aspirations. Le jeu ne propose aucun défi, aucune énigme, seulement un voyage qui ne ressemble à aucun autre. Une sorte de pendant vidéo-ludique à un roman d'Haruki Murakami (pour le réalisme magique) croisé avec l'œuvre de Thomas Pynchon (pour son exploration de l'inconscient de l'Amérique).
EDIT : cette critique avait été rédigée après la sortie des trois premiers chapitres et j'ai depuis joué le jeu dans son intégralité, avec les intermèdes (TV Edition). Les deux derniers chapitres sont particulièrement consistants et, même si j'ai un peu regretté le lent glissement de Conway à l'arrière plan et le quasi abandon de toute mécanique ludique (déjà réduite à la portion congrue) au profit de la seule narration, leur contenu est à la hauteur des prémices d'une aventure qui s'achève ainsi sans la moindre fausse note, avec un dernier chapitre magistral (je relève d'ailleurs ma notation pour le saluer) et confirme le statut de laboratoire narratif expérimental (et réussi au-delà de toutes espérances) d'un jeu qui multiplie les dispositifs avec bonheur. D'ailleurs l'héritage du jeu, trop rare jusqu'à présent et dont j'espère qu'il ne sombrera pas dans l'oubli, commence à transpirer dans certains titres récents me semble-t-il. Discrètement dans Disco Elysium ou plus manifestement dans le tout juste sorti Norco.