En ce qui concerne le survival horror, la PlayStation 2 est une console de choix quant à la richesse de sa ludothèque. Ces jeux ont en général d'ailleurs été un large succès commercial pour les séries les plus connues, ou un succès d'estime pour les œuvres de niche. Difficile en effet de passer à côté de titres comme Silent Hill 2, Resident Evil Code: Veronica X, Project Zero, Forbidden Siren, Haunting Ground ou encore Rule of Rose si on est intéressé par le genre. Cependant, cela ne veut pas dire que certains surivals ne sont pas passés entre les mailles du filet de l'opinion publique ; ce fût le cas de Kuon. Ce n'est pourtant pas un studio inconnu qui s'en est occupé, puisque son développeur n'est autre que From Software, toujours populaire aujourd'hui pour des séries comme Armored Core ou Dark Souls. En plus, il était à première vue très attirant : Non seulement le jeu se voulait explorer un setting original en déphase avec le reste du paysage horrifique de la PlayStation 2, mais il bénéficiait en plus d'artworks réalisés par un certain Kyosuke Chinai, talentueux peintre moderniste mélangeant imagerie japonaise traditionnelle et avant-gardes européennes du XXème siècle. Il faut admettre que ça commençait bien...
Le titre du jeu contient un double-sens typiquement japonais : Il peut se traduire par "Les Neuf Rancunes", mais il faut aussi savoir que le chiffre 9 est considéré dans l'archipel comme portant malheur puisqu'il se prononce de la même manière que 苦 ("souffrance"). Ce n'est pas le seul aspect "typiquement japonais" du jeu, d'ailleurs... Effectivement, l'originalité du Kuon réside dans le fait que l'histoire de déroule au Japon de l'ère Heian (794-1185), période de l'histoire du pays caractérisée par la prolifération du bouddhisme et d'importantes avancées en termes de littérature. Le choix d'une époque féodale pour une histoire d'épouvante relève d'un genre qu'on peut appeler "kaidan", et c'est un parti pris assez original surtout pour un jeu vidéo dans le sens où c'est un imaginaire assez dépassé dans le Japon moderne, même s'il a malgré tout pu se montrer plein de ressources dans un passé "proche", notamment à travers le classique du cinéma d'horreur de Masaki Kobayashi sorti en 1964.
Venons-en au scénario en lui-même : L'aventure est centrée sur un domaine du clan Fujiwara, qui semble être en proie à des évènements surnaturels ; c'est d'ailleurs pour cette raison que le seigneur local a décidé de faire appel aux services d'un exorciste, un certain Doman. Cependant, après un certain temps, plus rien dans le domaine ne semble donner signe de vie... L'histoire est vécue depuis deux points de vue : Celui d'Utsuki, fille de Doman, qui vient s'enquérir avec sa sœur de ce qu'il se passe mais qui perd soudain la trace de cette dernière ; et celui de Sakuya, une (très rare) femme disciple en initiation à l'exorcisme qui se trouve être une élève de ce même Doman et qui est envoyée enquêter sur ce qu'il se trame. Bien sûr, les deux vont vite se rendre compte de pourquoi plus personne dans le domaine ne donnait signe de vie... Littéralement.
Dans son déroulement, le jeu est en fait en survival horror assez classique, avec une vue à la troisième personne et une caméra en plans fixes. On notera cependant que le jeu utilise par défaut des commandes "simples" plutôt que la maniabilité "tank" typique du genre, même si celle-ci est toujours disponible. Votre principal moyen de progresser sera sans surprise de ramasser et d'utiliser des objets, notamment des tissus sacrés associés à des planètes vous permettant de défaire les talismans qui scellent les portes. Les énigmes ne sortent pas de l'ordinaire non plus, et son en général plutôt facile puisqu'on sait souvent où aller pour quoi faire. Votre avancée est parfois bloquée par des obstacles à la con, du style porte par terre que votre personnage refuse de franchir, mais ces phases d'exploration restent agréables sans être spécialement originales. Rien à signaler, donc.
Là où ça change pas mal, par contre, c'est au niveau de la gestion de la santé. En effet, il n'y a tout simplement pas de barre de vie visible ! Tout se base sur la vision : Quand votre personnage commence à être en danger, votre vision se floute progressivement, et c'est seulement là que vous savez que vous feriez mieux de faire quelque chose, du style décamper en vitesse. Enfin, pas trop vite, quand même... En effet, car le simple fait de courir a un impact sur votre santé ! Il faudra donc vous ménager un peu, et éviter de sprinter non stop en environnement hostile. Surtout que le domaine n'est pas simplement habité de zombies sanglants, mais aussi hantés de zones de "tempête" ; des espace invisibles où sont concentrés des sentiments négatifs, qui vous surprendront et attireront des esprits malveillants. Une vie qui descend rapidement et des pièges inévitables, cela peut évidemment sembler hardcore, mais le jeu contre-balance ça avec une commande particulière : La méditation. Elle vous permet tout simplement de recouvrir votre santé à loisir ; il suffit de laisser le perso se concentrer quelques secondes ! Par définition, un tel système de soin libre et sans inconvénient implique logiquement des ennemis adaptés ; du style, des combats généralement plus rares mais aussi assez tendus puisque vous pouvez potentiellement entrer dans chacun d'entre-eux avec le plein de vie.
Hé bien, ce n'est pas DU TOUT le cas dans Kuon. Mais genre pas du tout... En gros, vous avez deux types d'attaque : Un enchaînement de deux coups avec votre dague ou votre éventail, ou des sorts lancés avec des carte d'invocation trouvables un peu partout dans le domaine. Le problème ? C'est que c'est d'une rigidité et d'une lenteur à MOURIR. Quand un ennemi vous attaque, vous n'avez qu'une solution : Vous planter devant la bestiole et bourriner le bouton d'attaque en espérant atterrir dans sa tronche avant que lui ne vous touche. Bref, des combats robotiques absolument ridicules et sans intérêt qui paraissent franchement interminables. La méditation n'est au final qu'une technique qui sauve (à peine) le jeu de son système de combat nullissime. C'est quand même assez problématique pour un survival horror où les ennemis sont censés évoquer un sentiment de peur, pas d'ennui ! Encore heureux que ceux-ci ne respawnent pas...
Je sais ce que vous pensez : Jouer comme ça, c'est nul, autant faire un petit effort. Le truc, c'est que vous avez pas le choix ; si vous cherchez à faire autrement parce que vous trouvez (légitimement) ça cheap de simplement spammer votre attaque de base jusqu'à une victoire sans saveur, vous allez juste vous prendre la tête : Essayer de faire la fine lame ne va vous rapportera que des crises de nerf. Quoi, et les cartes d'invocation ? Non, oubliez, parce qu'elles sont encore PLUS lentes à sortir, et puis pour quoi faire ? Non, vos cartes, gardez-les pour les rares bosses, car eux par contre ne font absolument pas de cadeau : On pourrait même dire qu'ils sont à la limite de l'injouable, et le seul moyen de vous en sortir est de leur balancer tous vos sorts les plus puissants dans la gueule jusqu'à épuisement, tout en consommant tous vos objets de soin puisque méditer vous laisse à leur merci. Résultat : Le boss final m'a pris 5 minutes, qu'il a passées au bord de l'écran à se ramasser mon stock de lances de glace et de boules de feu sans pouvoir rien faire. Bref, le jeu est tellement mal foutu à ce niveau que vous avez le faux choix entre deux styles de jeu : Tenter de jouer naturellement et faire de chaque combat un fiasco ; ou bourriner parce que c'est le seul moyen que vous avez à votre disposition pour vous en sortir. Le système de combat de Kuon a été complètement bâclé et, sans étonnement, ça plombe pas mal l'entièreté de l'expérience de jeu.
Il faut bien admettre que le projet était audacieux, malgré tout : Retranscrire l'esprit d'un kaidan était une idée bienvenue et assez exploitable. Cet aspect a d'ailleurs été bien soigné, notamment avec des décors assez documentés... mais aussi tapissés de sang avec brio, ce qui donne des résultats esthétiques très théâtraux, et c'est exactement ce qui impacte dans les ambiance de ce genre. On appréciera aussi la bande-son de gagaku qui amplifie cette ambiance d'époque fidèle, ainsi que certains petits détails ; comme, par exemple, que le sauvegarde se fait à travers un rituel de purification typé shinto où l'on laisse un bateau de papier s'échaper sur une rivière.
Les mouvements sont aussi très bien animés, notamment le flottement des vêtements lors des déplacements ou même simplement la descente d'un escalier. C'est vraiment un sans faute à ce niveau-là... en tout cas, ingame. Paradoxalement, ça ne suit pas trop lors des custcenes : Le jeu est doublé et la VO est incluse, ce qui est très bien, mais les visage ne montrent aucune émotion au point où... la bouche des personnages ne bouge pas quand ils parlent. J'imagine que ça a du être inclus en dernière minute... parce que ça jure bizarrement avec l'effort évident qui a été fourni niveau anim'.
Mais bon, consolons-nous : Il y a pas mal de bonnes idées de mise en scène, et certaines reprennent fidèlement l'un des codes du cinéma d'horreur japonais, à savoir celui d'une certaine "passivité agressive". En gros, plutôt que de mettre l'emphase sur une créature hurlante avec des coups de violon et des gens qui s'échappent en paniquant, le principe est justement de ne pas souligner l'étrangeté d'une scène voire d'en détourner l'attention de sorte que c'est le spectateur qui va finir pas se rendre compte qu'elle était là depuis ce temps. Les scènes de combats vous feront au mieux rigoler, mais ces passages où vous réalisez soudainement la présence de cette désagréable apparition sont d'un tout autre acabit ! C'est dommage que le jeu n'en ait au final que peu, car c'est clairement là qu'est sont point fort et la plus évidente preuve qu'un jeu à la kaidan avait du potentiel.
Parce qu'en plus, un autre problème vient à nouveau ternir la crédibilité du jeu : Dès le début, on vous vend l'idée que l'histoire du jeu sera vécue depuis deux points de vue différents. Et ça paraît une bonne idée... sauf qu'en fait, pour une grosse partie, ces deux phases sont quasi-identiques ! Au final, des cinq heures grand max que vous prendront l'aventure d'Utsuki, deux de celle de Sakuya sont passées à faire presque la même chose... En plus, on sait jamais vraiment ce qu'ils ont voulu faire avec ce concept : Est-ce que sont vraiment deux points de vue différents, ou des histoires alternatives ? Parce qu'il y a pas mal de trucs incohérents si c'est supposé se passer en même temps. C'est bien que le jeu ait une imagerie qui puisse se montrer intéressante, mais quand c'est le seul intérêt du jeu et que vous avez un coup bas comme ça, ça la fout mal...
Ah oui, et vous pouvez débloquer un jeu de Sugoroku accessible sur l'écran-titre, aussi. Formidable.
Bref, Kuon est une déception, et on comprend assez vite pourquoi il n'a pas rencontré le même succès que ses autres camarades de niche. Certes, vouloir faire un jeu typé kaidan était une idée respectable, et il y a de l'idée dans la mise en scène... mais la banalité de ses phases d'exploration et la médiocrité de son système de combat font qu'il est effectivement comme pas mal de vieux kaidans : Intéressant, peut-être ; mais chiant, surtout.