Tout en nuances de gris...
Parce qu'il est bientôt cinq heures du matin. Parce que mon esprit entier m'implore d'écrire cela. Parce que je n'ai pas parlé de fond depuis trop longtemps. Parce qu'il est des oeuvres qui le méritent.
L.A. Noire, et malgré le consensus qui précédait sa sortie, ne partait pas forcément du bon pied. Au-delà des évidentes carences techniques et des écueils des mécaniques les plus classiques du genre, parmi-elles figurant au premier plan les fusillades, d'autres problèmes bien plus profonds minent la majeure partie du jeu.
Quand l'ambition percute la réalité, nombreux sont les jeux à oublier leur direction. L.A. Noire pouvait faire partie de ceux-là.
Visionnaires à en être prétentieux, les développeurs ont tenu à mettre l'accent sur l'enquête plutôt que sur l'action, sur l'intrigue plutôt que sur le spectacle, sur le mot plutôt que sur le muscle.
Et s'ils étaient parmi les premiers à parcourir cette voie, ils n'ont pas encore réussi à emmener le joueur à son terme.
A leur crédit, les phases d'enquêtes n'ont pas grand chose à se reprocher. Une fois l'aide désactivée, c'est à une chasse aux indices honnête sans en être frustrante que nous nous livrons. Difficile de pousser la chose réellement plus loin en conservant la substance des pans ludiques et narratifs du titre.
En revanche, les interrogatoires, fers de lance légitimes du jeu, peinent malheureusement à dépasser le stade du bancal. This is the way the world ends.
Oui, le jeu d'acteurs, et la manière dont il est transmis, est simplement extraordinaire. Oui, malgré quelques patterns identifiables, les personnages ne rentrent jamais dans le surjoué, dans la caricature ou dans le transparent, conservant de bout en bout cette subtilité délectable dans chacun des dialogues qui parcourent L.A. Noire.
Mais alors Team Bondi, pourquoi ruiner cette richesse en réduisant les actions du joueur à trois maigres possibilités ? Je conçois l'immense complexité de la balance entre jouabilité et profondeur, mais il me reste tout de même l'impression du gâchis. Pire encore : les frontières se confondent souvent entre les différentes réponses, et on ressort parfois frustré d'un interrogatoire qui paraissait pourtant largement à notre portée.
Cependant, le mal est plus profond que ce que je décris ici. Le réel problème, et il en est un tant qu'il n'y a pas de réglage possible du sujet, est la révélation, au joueur, de sa réussite ou non dans un interrogatoire.
Quel intérêt de choisir une réponse si en cas d'erreur, le jeu nous dit par opposée ce que nous aurions dû faire, et même souvent obtenir ? D'autant plus lorsqu'on constate que, quoi qu'il arrive et à raison, il s'efforcera de nous remettre par la suite sur la bonne piste, malgré nos mauvais choix !
L'aspect « découverte de la vérité » n'est plus alors réduit qu'à son expression minimale, tant la lumière sera vite faite sur les affaires par le joueur, bien avant que son avatar ne l'exprime lui-même. Nous ne jouons alors plus qu'au détecteur de mensonges, à guetter les tics et les égarements des témoins et suspects, qui souvent se confondent.
Définitivement, quelque chose ne fonctionne pas au LAPD, et je ne fais aucune référence à l'histoire du jeu.
De même, ce choix surprenant des développeurs de proposer plusieurs enquêtes dont on ne peut ressortir autrement qu'en accusant un innocent, parfois délibérément. Je comprends bien l'intérêt pour l'intrigue sur le long terme, beaucoup moins l'impact négatif engendré logiquement sur l'expérience de jeu. Putain de film interactif.
Ainsi donc, et pour toutes les causes évoquées ici, L.A. Noire n'est pas une réussite. Et pourtant.
Je ne peux décemment conclure de cette façon. Pour toutes les raisons qui constituaient mon introduction, et parce qu'L.A. Noire n'est pas l'énième Icare d'une industrie qui ne sait pas encore vraiment comment prendre son envol.
Malgré ses aîles brûlées, L.A. Noire est très loin de la coquille vide de passage, bénéficiant d'une réputation ou d'une technologie, qui ne cherche qu'à se vendre ou à se faire passer pour ce qu'il n'est pas. Ce qu'il rate, il le rate honnêtement.
Car au-delà de toutes les basses et moins basses considérations traitées plus haut, le jeu de la Team Bondi parvient à l'essentiel : il est simplement passionnant.
Remarquable d'immersion, de beauté, et de crédibilité, il se démarque avant tout par sa justesse incroyable. De la maturité de ses thèmes jusqu'à la profondeur de leurs traitements, le jeu ne se permet que très rarement de fausses notes.
La mise en scène et la narration, au coeur des pérégrinations du joueur dans Los Angeles, se permettent elles une maîtrise rarement atteinte dans un jeu vidéo. Codes et hommages aux films noirs se mélangent pour aboutir d'une oeuvre unique en son genre.
Si la pauvreté de l'aspect détective était une réelle déception, l'histoire prend ici impérialement le relais en tant que vecteur de progression.
L'intensité de l'intrigue va crescendo, et les tiroirs du scénario s'assemblent superbement au fur et à mesure que le joueur se dirige vers le final grandiose, concluant admirablement l'aventure.
For the record : si quelque élément de la fin du jeu vous a déjà été révélé par un abruti anonyme, considérez que vous ne savez rien du tout qui puisse vous gâcher le moment.
Pour ne rien oublier, on notera aussi le support constant d'une bande-son absolument renversante, d'une photographie magnifique, d'une palette de personnages haute en nuances de gris et du travail titanesque réalisé par la direction artistique pour retranscrire depuis les monuments jusqu'aux plus simples objets de l'époque.
Ainsi donc, et pour les causes les plus importantes évoquées ici, L.A. Noire est une putain de réussite. Pas seulement, mais aussi.
Et, ne pouvant plus cacher la pauvreté de mon langage en ces heures tardives, je me limiterai à la conclusion minimale : achetez L.A. Noire, Il est de ces quelques titres par an qui font avancer le média, et qui l'installent encore un peu plus en tant qu'expression artistique avérée. Je ne dis pas que vous aimerez. Je dis que vous devez y jouer.