J'avais été profondément séduit par Virginia, le premier titre du studio Variable State, quand bien même se terminait-il en deux heures et demi, et ne se résumait-il qu'à un film muet (à peine) interactif. Son expressivité dans le silence, son esthétique minimaliste intelligente, sa bande son orchestrale et son propos en hommage à Lynch et Twin Peaks font que j'y reviens régulièrement, toujours avec le même plaisir.
Aussi n'allais-je pas laisser passer ce "Dernier Arrêt", en dépit de ses graphismes rudimentaires et de critiques somme toute assez peu enthousiastes, pour faire dans l'euphémisme. Question de principes. Or si le titre ne manque pas de (belles) qualités, force est de constater qu'une fois de plus, en ce qui le concerne, le mieux se fait l'ennemi du bien.
Lorgnant sur les productions Telltale et leurs dialogues à choix multiples, Last Stop raconte trois histoires fantastiques vaguement entremêlées qui se rejoignent au terminus, chacun découpée en six épisodes à suivre comme une série télévisée ou un trajet de métro. Des histoires qui, sans être exceptionnelles, se suivent avec plaisir et s'écrivent sans temps mort, même si elles ne présentent pas toutes le même intérêt : deux voisins échangent leurs corps par accident (?), une femme adultère postule pour un projet ultra-secret, une adolescente se retrouve aux prises avec un homme nanti de mystérieux pouvoirs psychiques, dans une Londres de livre d'images aux couleurs acidulées.
Pour peu qu'on apprécie ce type de récits un peu pulps, et un poil moins inoffensifs qu'ils n'en ont l'air (il plane sur cette anthologie comme un léger parfum de Doctor Who), l'ensemble se suit avec plaisir, même si les quelques éléments de gameplay introduits ça et là pour donner de la substance sont plus embarrassants qu'appréciables, tant ils paraissent hors de propos (jouer du piano, se servir à boire, reconstituer un vase... nous voilà renvoyés aux heures les plus sombres des productions David Cage), et même si nos choix de répliques n'ont aucune réelle incidence sur le déroulement des intrigues (un comble). Bien qu'on puisse saluer les efforts des développeurs pour tenter de nous impliquer, on devra tristement admettre que ceux-ci tombent à plat et qu'il aurait mieux valu proposer d'emblée une version expurgée de tout élément d'interaction, pour mieux mettre en valeur la narration.
Si la bande originale, toujours très cinématographique, reste d'une (très) grande qualité et porte le récit à bout de notes, tantôt grandiloquentes, tantôt intimiste (à la Life is Strange, mais sans la prise de tête), les modèles 3D ne sont pas très plaisants à regarder (certains sont même hideux) et leurs animations manquent cruellement de naturel. On s'habitue, bien sûr, mais de guerre lasse et jamais complètement non plus.
Le dernier chapitre, lui, divisera à coup sûr, mais les amateurs de SF du golden age (Jack Vance, s'il faut n'en citer qu'un) y trouveront leur compte sans complexe, même s'ils déploreront que l'aventure s'achève si abruptement, alors qu'il y avait (semble-t-il) encore tellement à découvrir. De quoi donner envie d'y retourner dans des titres ultérieurs, quelle qu'en sera la forme... preuve s'il en est besoin qu'en dépit de toutes nos réserves, le récit aura su nous embarquer jusqu'à destination.
En somme : une jolie petite promenade narrative d'une dizaine d'heures maxi, pleine de fraicheur et de sincérité, inclusive et moderne mais sans les leçons de morale, relevée d'un zeste de noirceur et d'antimanichéisme, pour laquelle on éprouve beaucoup de sympathie mais qui n'arrive malheureusement pas à la cheville de son aînée.