Lies of P
7.3
Lies of P

Jeu de Round8 Studio et Neowiz (2023PlayStation 5)

Vous avez déjà essayé de tailler un petit garçon dans un bout de bois ?

Même avec un opinel, ce n'est pas évident, il reste toujours des bouts qui dépassent, l'illusion n'est pas parfaite, il suffit d'un doigt qui bourgeonne ou d'une étincelle malheureuse pendant le barbecue du dimanche soir pour trahir la supercherie sur fond de pinponpin.

Lies of P, c'est un peu pareil : le jeu n'est pas parfait.

A l'image de son protagoniste, il n'est que la copie de son original, il manque d'humanité, il ment parfois et si on tend l'oreille, on entend le cliquetis de sa mécanique interne plutôt que des battements.

Mais il essaie ! Mais il y croit ! Il veut devenir un vrai petit garçon ! Tant pis s'il ressemble à Timothée Chalamet, et s'il paraîtrait plus crédible dans un after à Cannes que dans les rues poisseuses de Krat, il tient à faire savoir au monde entier de quel bois il se chauffe, sans risquer d'y laisser ses pieds ou ses oreilles.

Quitte à lui refaire le portrait à la clé à molette.

Qui veut la fin veut les moyens.

Il faudra bien ça pour faire oublier les errements discrets de son budget AA, les carrioles en travers des routes pour bloquer les accès (on s'y fait), le level design un peu vide et trop plat au démarrage (une barre joliment redressée ensuite, ce n'est pas sale), et son manque de personnalité flagrant en termes de direction artistique, trop Steelrisinguesque et Bloodbornesque pour être honnête. Les environnement traversés, de même que certains ennemis combattus, semblent en effet directement tirés du chef d'oeuvre de From Software ("Oh ! Le village des pécheurs ! Oh ! Les bois interdits !"), à tel point qu'on oublie presque parfois qu'on joue à autre chose. Ce qui n'est pas nécessairement désagréable manette à la main, mais... quel dommage que l'équipe de développement n'ait pas été aussi audacieuse à l'écran que sur le papier.

Car si la réécriture de Pinocchio fait dans la facilité, se contentant d'émailler un récit convenu (mais de qualité supérieure, soulignons-le toutefois) d'une série de références et de noms plus ou moins connus, en mode fanservice, elle n'en fait pas moins montre d'un amour certain vis-à-vis de l’œuvre originale, et d'un respect au moins égal, qui vous touche droit au cœur, aussi sûrement qu'un coup de fleuret monté sur le manche d'une matraque de police (les vrais savent).

Sous ses dehors de contrefaçon opportuniste, scolaire et néanmoins appliquée, Lies of P s'impose contre toute attente comme une proposition ludique exigeante, solide et passionnante, forte d'un univers familier sans l'être, dont on a plaisir à percer les moindres secrets (par l'entremise de quelques quêtes annexes VRAIMENT gamer friendly, ça change, c'est reposant), d'un gameplay plus précis (et par conséquent, redoutable) qu'il n'en a l'air, d'un scénario étonnamment efficace (bien que très proche de celui de Steelrising, dont il partage quelques twists fondateurs), de quelques choix moraux d'autant plus déchirants qu'ils sont à effectuer en temps limité, d'une bande son magnifique (avec quelques beaux titres en français !), et de quelques spécificités de gameplay qui font la différence.

L'Organe-P, notamment, dépoussière avantageusement le concept d'arbre de compétence, usé jusqu'à la corde, et permet une vraie personnalisation du personnage en fonction du style de chacun sur le terrain.

Les modifications d'armes, également, deviennent vite nécessaires autant qu'enthousiasmantes, on a grand plaisir à jouer les docteurs Frankenstein version Bac + Forge et à tester ensuite nos abominations sur le terrain, avec parfois de surprenants succès (et pas mal de fails hilarants). La bonne arme, au bon moment, peut faire la différence. Le bras de Légion, enfin, s'avèrera être un atout secondaire aux bénéfices non négligeable (bien que l'ayant négligé moi-même ouvertement), tant il pourra vous donner d'avantages dans la mêlée, façon Marvel plutôt que Collodi, tantôt Spider, tantôt Iron, Man, goûte-moi ça c'est de la bonne, on trouve pas ça à Babylone. Mais je m'emporte.

L'usure des lames paraît être une feature anecdotique pendant les deux premiers tiers du jeu, mais ajoute un stress supplémentaire non négligeable au dantesque des derniers affrontements.

Enfin, la régénération progressive de la dernière capsule de soin en fonction des coups portés rend les barouds d'honneur d'autant plus intenses, et par conséquent haletants, entre nécessité de ne pas s'exposer inutilement et celles de prendre des risques pour pouvoir, peut-être, profiter de cet avantage providentiel, un dilemme sur le fil.

Beaucoup plus facile qu'un From Software (Elden Ring y compris !) dans ses phases d'exploration de niveaux (sans pour autant exclure tout challenge de l'affaire, loin s'en faut, certaines zones feront suer à grosses gouttes), le titre devient particulièrement retors lorsqu'il est question d'affrontements de boss, voire de sous-boss, qui nécessitent souvent un apprentissage des patterns au dixième de seconde près, d'autant que la clé du succès réside souvent dans la parade parfaite... laquelle vous avantage grandement puisqu'elle annule les dégâts potentiels, vous donne l'avantage pour le coup suivant et fragilise d'autant la posture de votre adversaire, ce qui permet à moyen terme de placer une attaque critique une fois celle-ci dument brisée. Technique qui néanmoins ne pardonne pas en cas d'échec, tant les ennemis frappent fort et sans pitié. Beaucoup plus sobre dans son approche de ces duels que ses grands frères nippons, avec moins de débauches de techniques WTF et de pyrotechnie, mais pas moins de difficulté (on en reconnaît même certains entre les lignes), il s'en trouve plus lisible et propice aux apprentissages. On se voit d'autant mieux progresser et c'est d'autant plus grisant que frustrant, alors qu'on passe progressivement du "je n'y arriverai jamais" des premières tentatives au "encore deux ou trois comme ça et tu vas prendre cher, mon coco" (mais en langage moins châtié), tant la moindre faute peut vous condamner à mordre prématurément la poussière (les boss ayant une fâcheuse tendance à toujours sortir LE coup qu'il ne faudrait pas dans les situations les plus désavantageuses pour vous, sachant tirer avantage de vos moindres imprudences de la pire façon qui soit et prédire vos moves jusqu'à l'injustice, à tel point qu'on se demande presque s'ils ne tourneraient pas sous Chat GéPéTo, ce serait de circonstance).

Sans honte, je le confesse encore : je suis un joueur médiocre, j'ai su le finir sans invocation mais pas sans douleur ni crises de rage, et pourtant j'ai en mon temps battu l'Orphelin de Kos, Midir et le Roi sans Nom (sur des malentendus, sans doute). Preuve s'il en est besoin que le jeu a du répondant.

Une belle et sombre aventure, donc, aux personnages joliment développés au-delà du stéréotype, auxquels on s'attache plus que de raison, sur la longueur, ce dont on ne se rend compte que trop tard (notre Pinocchio en tête), doublé d'une expérience ludique qui sera à n'en pas douter ce que nous aurons jamais de plus proche d'un Bloodborne 2, mais qui sait également se faire aimer pour ce qu'elle est.

A force d'effort, d'errements, d'adversité, comme son protagoniste, petit à petit, une trouvaille après l'autre, Lies of P devient un vrai petit garçon. Comprendre : un vrai Souls like, avec sa patte à lui. Et son nez qui s'allonge parfois, mais jamais à mauvais escient, jusqu'à son new game + corsé et ses quelques révélations supplémentaires (décrypter le langage des boss renverse élégamment les perspectives, renforce la tragédie).

A tel point qu'à peine tranchées les ficelles du dernier boss, on signerait déjà pour un épisode 2 aux prémices prometteuses, et c'est peu de le dire tant la séquence post-générique fait son petit effet (il y avait longtemps !), en espérant tout de même (en ce qui me concerne) une difficulté des boss revue à la baisse, un peu, parce qu'au prix où sont les manettes, je n'ai plus l'âge de les balancer à l'aveugle en insultant copieusement la maman du téléviseur. Au grand dam de mon Gemini.

Vite, vite, le DLC, alors. Le Stargazer attend d'ores et déjà d'être activé, sur le sentier du pèlerin, et j'en serais dès l'aube de la première heure.

J'en sors épuisé, vidé nerveusement, pourtant il m'en faut plus. Même des clowns fous, s'il faut en passer par là.

J'ai pleuré, oh oui, j'ai crié, j'ai saigné, j'ai pesté, il m'a fallu plus de six heures pour arriver à battre le dernier boss.

Mais au bout du chemin, bien que la démo ne m'ait plu qu'à moitié, ma hype est totale.

Promis, juré.

Sans mentir.

Parole de vrai petit garçon.

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le 27 oct. 2023

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Liehd

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