La Vie est belle
Life Is Strange pourrait être défini de bien des manières mais ce que ma mémoire de joueur retiendra c’est qu’il s’agit du premier jeu vidéo m’ayant donné le sentiment d’être humain. Jamais une...
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le 3 févr. 2015
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Critique de Marc (@MarcC_)
Il m'aura fallu bien longtemps pour que je finisse par jouer à Life is Strange. Mais mieux vaut tard que jamais, comme on dit.
Par où commencer ? Difficile d'axer cette critique sur les particularités proprement vidéoludiques du titre. À l'image des jeux Telltale, l'oeuvre de Dontnod est sous format épisodique, et repose la quasi-totalité de sa narration sur des choix de dialogues qui influeront ou non l'histoire et les relations entre les personnages. Tout ça en alternant entre quelques lieux regorgeant de détails à regarder, d'indices à trouver et d'énigmes à résoudre. La particularité de Life is Strange, cependant, réside dans cet élément de gameplay qui permet à l'héroïne de retourner dans le temps, lui permettant de modifier l'issu de certains choix ou de certaines scènes. Un procédé qui n'est pas sans rappeler le remodelage de souvenirs d'un jeu précédent de Dontnod, Remember Me. Un gameplay assez simple, donc, au service de l'histoire qu'il souhaite raconter et qui sera donc l'atout majeur du jeu. D'ailleurs, la référence à Remember Me est moins anecdotique qu'il n'y paraît car il devient assez évident qu'il y a un lien thématique entre les deux œuvres : les souvenirs, ces choses que le temps nous laisse et qui nous façonnent, la fragilité et la beauté d'une vie vécue. Life is Strange explore ce propos entièrement, jusqu'au bout, exploitant sa thématique avec grâce.
Pendant mes premières heures de jeu, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Scott Pilgrim. L'oeuvre de Dontnod et l'oeuvre de Brian Lee O'Malley partagent ce même côté ultra-générationnel. Les histoires qu'elles racontent, même si elles sont teintées de fantastique et de fantaisies, parviennent à dresser le portrait d'une génération entière. Que ce soit dans son esthétique, ses looks vestimentaires, ses attitudes, cette scène musicale indépendante omniprésente (et dont la plupart des chansons choisies, dans le cas de Life is Strange, font échos à travers leurs lyrics aux événements du jeu et aux évolutions psychologiques des personnages), mais aussi dans son mode de vie, ce vivotage qui pourrait paraître anodin mais qui donne à chaque journée sa saveur... Sans oublier ses craintes, ses espoirs, son rapport à l'amour et à l'amitié, ses défis, ses joies et ses peines : la justesse de cette peinture adulescente frappe au cœur de ceux suffisamment jeunes pour l'avoir vécu – ou pour ceux qui la vivent actuellement. Certains crieront au cliché, je leur rétorquerai que cette peinture a peut-être l'air de cliché justement parce qu'elle renvoie à quelque chose d'intime, de vrai, de vécu.
Mais nous savons tous que la transition de l'adolescence à l'âge adulte, souvent symbolisée par les études supérieurs, la fac, le début de l'indépendance mais aussi la nostalgie d'une jeunesse plus insouciante, est tout autant la plus belle époque d'une vie mais aussi son plus grand déchirement. On sait que ce qui nous attend ensuite ne sera plus jamais aussi simple, aussi léger, qu'on va vieillir, perdre un peu cette flamme de la jeunesse, cette même flamme qui nous permettait de rêver et d'apprécier la vie à fond. On sait qu'inévitablement, nous allons passer tout le reste de notre existence à regretter ces années folles, pour toute une variété de raisons. Parce qu'on aura l'impression latente qu'on en aura pas assez profité, qu'on sera passé à côté, qu'on a pas forcément été la meilleure personne et qu'on aimerait faire amende honorable. Ce moment fragile où l'adolescent devient adulte, moment formateur absolu, est le moment qu'on aimerait tous revivre, ne serait-ce que pour changer la personne que l'on est et, peut-être prendre un chemin différent dans la vie. Je crois, sans avoir trop la crainte de me tromper, que si on laissait aux gens la possibilité de revivre une période de leur vie en particulier en remontant le temps, ils choisirait cet instant si précieux. Et c'est au cœur de cette période formatrice que l'héroïne du jeu, Maxine Caulfield, s'est retrouvée capable de l'exploit, justement, de revivre des événements passés.
Max Caulfield a 18 ans, elle est de retour dans ses contrées natales, à Arcadia Bay, pour étudier la photographie à l'académie réputée de Blackwell. Un beau jour qui commençait pourtant comme les autres, elle a la vision d'une catastrophe naturelle aux dimensions gargantuesques prête à détruire Arcadia Bay. Quelques minutes plus tard, elle est témoin d'une altercation entre le gosse de riche Nathan Prescott, névrosé et cruel, et une fille aux cheveux bleus. L'altercation tourne mal et la fille est abattue par balle. Max prend alors subitement conscience qu'elle a le pouvoir de remonter dans le temps et se retrouve quelques minutes en arrière, capable d'empêcher le drame. Cette découverte, qui chamboule l'existence de la jeune fille, va aussi mettre en marche toute une série d’événements...
Max est aussi une photographe talentueuse, sachant capter la simplicité du quotidien, la vérité d'un instant. Ce qui pouvait passer un gimmick servant à caractériser Max en lui donnant un côté artiste devient, par l'alliance du gameplay et de la narration, nimbé d'une profondeur thématique implacable.
La photographie fige le temps, capte un instant, un moment donné dans la vie de quelqu'un. Elle témoigne de ce qui a été, immobilisé à jamais en dépit du temps qui passe. De même que Max est adepte du selfie, cela ne la fait pas passer pour égocentrique mais au contraire fait preuve d'une volonté de prouver qu'elle existe, qu'elle vit : le témoignage que Maxine Caulfield était là – et qu'elle a traversé cette semaine fatidique tout comme ce passage de l'adolescence à l'âge adulte. Procédé salvateur qui va lui permettre plus d'une fois d'avoir la possibilité de changer le cours des choses – parce qu'elle a été, à ce moment donné. Max passe son temps à immortaliser ce qu'elle voit, souvent son amie Chloe Price, comme si elle arrivait à apprécier la beauté évanescente de la vie tout autant qu'elle craignait que ça ne lui échappe. Les photographies autres que celle prises par Max parsèment d'ailleurs le récit et font toujours office d'outil de narration : soit témoins de la vie de Rachel Amber ou témoins oculaires des mystères d'Arcadia Bay, quand elles ne deviennent d'ailleurs pas tout simplement une métaphore (morbide et sinistre) des thématiques du jeu,
avec Jefferson cherchant à capturer, à travers le désespoir et la peur de ses sujets féminins, le moment précis où l'adolescente devient adulte et perd son innocence.
Cette caractéristique du personnage de Max, mise en parallèle avec son don de remonter dans le temps, offre des réflexions intéressantes sur le temps qui passe, ce qu'on aimerait refaire, sur la difficulté d'accepter le cours de la vie, mais aussi la capacité de comprendre le flot du temps, sa beauté, sa précieuse fragilité, et la nécessité de chérir tous les instants de notre existence. Max est d'ailleurs intimement liée au passé : elle passe son temps à regretter de ne pas avoir été là pour Chloe tout en se remémorant leur enfance ensemble, et son appareil photo est un polaroïd, un outil aussi old school qu'il est instantané.
Le jeu a l'intelligence de ne pas présenter la vie comme une petite ballade tranquille, son histoire principale est d'ailleurs assez sombre, inspirée entre autres de Twin Peaks. L'oeuvre n'hésite non plus pas à aborder de front des questions comme le (cyber)harcèlement, le mal-être adolescent, la difficulté du deuil, l'incompréhension face à un monde qui ne fait pas de cadeau, mais la possibilité d'influer sur le cours des événements permet toujours de faire briller une lueur d'espoir, d'optimisme. Cela renforce l'idée que la vie d'une personne, c'est aussi son rapport aux autres et à l'affection et le réconfort qu'on peut apporter. La vie peut aussi se partager avec les autres malgré nos doutes et différences, et qu'il en va de même pour tout le monde, qu'on soit outcast ou bully, riche ou modeste. Life is Strange nous parle aussi de cette chance inouïe d'avoir une personne qui compte plus que tout – oui, vous savez, cette personne qui fait partie de notre passé, vous devez en avoir une – et dont on donnerait tout pour pouvoir ne serait-ce que passer une semaine de plus avec. Une personne qui aurait grandement contribué à nous façonner et dont on emporte le souvenir comme un moteur pour aller de l'avant, ou au contraire pour ruminer ses regrets.
C'est une œuvre qui nous parle aussi de l'apprentissage de la responsabilité. Le gameplay tourne autour de deux choses : le pouvoir de remonter le temps et la capacité de choisir la direction vers laquelle se dirige une conversation. L'un et l'autre peuvent s'annuler réciproquement mais Max est obligée à terme de prendre des décisions qui façonneront à la fois elle-même en tant que personne, mais aussi le monde autour d'elle. Et si cela lui permet de grandes et belles choses, cela peut aussi entraîner des catastrophes. Toute la semaine dépeinte dans Life is Strange va permettre à Max Caulfied de devenir la femme qu'elle sera pour le restant de sa vie, avec ses choix, ses contradictions, sa relative hypocrisie, ses joies, ses regrets et ses erreurs... capacité de remonter le temps ou pas
(en cela ses expériences lui resteront, qu'elle décide de sacrifier Chloe ou pas)
. Cela rejoint toute la thématique du destin qui parcourt le jeu : Max peut influer sur son destin, créant une multitude de réalités possibles, mais elle devra être obligée d'en choisir un tôt ou tard. Que ce soit pour Max ou pour son amie Chloe, c'est impossible d'échapper au destin, qu'on peut choisir de considérer comme un don (les pouvoirs de Max qui peuvent aider les gens) ou une malédiction (les pouvoirs de Max qui peuvent entraîner des catastrophes /
le personnage de Chloe qui semble accablée par une malédiction fatidique, comme si quoiqu'il arrive, elle devait mourir
).
Il y aurait encore énormément à dire sur Life is Strange seul, et je ne doute pas que Before the Storm rajoute quelques profondeurs à tout ce qui est traité dans le jeu original. J'ai l'impression de ne pas avoir parlé de grand chose, mais j'ai vraiment voulu axer ma critique sur ce ressenti doux-amer, celui qui nous rappelle nos fameuses « plus belles années », mais nous fait aussi nous interroger dessus. Cette « lourde légèreté » qu'on ressent à cet âge qu'on traverse comme s'il s'agissait d'une mer tantôt agitée, tantôt calme et berçante. Life is Strange est touché par la grâce, et nous rappelle constamment que, à la faveur des personnes qui nous entourent et malgré les épreuves, la vie, dans toute son étrange normalité, mérite d'être vécue et chérie.
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Créée
le 14 août 2018
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Ceci n'est pas une critiqueVoici des liens vers des critiques qui reflètent mon avis : http://bit.ly/1NyXCrg et http://bit.ly/1HPEXlM Vous pouvez vous lancer dans cette lecture une fois l'épisode 1...
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A la fin de mon parcours de Life is Strange, si le jeu m'avait laissé une impression positive, celle-ci était malgré tout nuancée par rapport aux divers avis dithyrambiques que j'avais pu retrouver...
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