Je considérais Marvel comme le fléau du cinéma Hollywoodien bien avant que Scorcese ne pousse son coup de gueule à ce sujet et même si je n’ai pas forcément des souvenirs désagréables du premier volet cinématographique des Gardiens de la Galaxie, je n’ai jamais eu la curiosité de visionner le second long métrage de leurs péripéties rocambolesques ; bref, je n’éprouve pas vraiment d’intérêt envers cette franchise et après la déconvenue des Avengers Made In Crystal Dynamics, j’avais jugé, comme beaucoup semble-il, que cette variante des aventures de Star-Lord ne serait pas plus digne d’intérêt qu’un mauvais jeu à licence de la vieille époque, fustigeant même Square Enix d’avoir accaparé la talentueuse équipe d’Eidos Montreal pour un tel projet au lieu de les laisser poursuivre les mésaventures Immersive Sim d’Adam Jensen. Comment m’expliquer alors que j’ai pu être subjugué à ce point par cette proposition interactive de ses mercenaires de l’espace ? Alors même que cette dernière s’achemine clairement dans la continuité de la formule narrative et linéaire popularisée par les Uncharted, l’une des quelques licences modernes du jeu vidéo qui me laisse également de marbre en dépit de son extrême popularité. Cette question, je ne suis pas certain de parvenir à y répondre entre ses lignes mais je vais quand même tenter quelques pistes de réflexion ; des commentaires qui je l’espère vous amèneront à outrepasser vos appréhensions (légitimes) envers ce titre peu reluisant au premier abord.
Choice…The problem is choice.
Les Gardiens de la Galaxie, c’est avant tout une histoire d’équipe et là où de nombreux studios auraient tout simplement proposer un jeu multijoueur pour retranscrire cette fantaisie d’une coopération entre mercenaires (avec les piètres résultats que l’on connait aujourd’hui), Eidos Montreal a fait le choix judicieux (et audacieux) d’opter pour une aventure purement solo qui met en vérité davantage l’emphase sur les responsabilités d’un chef d’équipe que sur le récit individuel de son personnage. Star-Lord n’est pas tant le rôle conféré au joueur que celui d’un médiateur dans les mésententes constantes de votre équipage, les prises de tête face aux galères imprévues qui ponctueront votre périple et les décisions à prendre quand plus personne ne sait comment procéder. A la parlotte habituelle (et interminable) des Uncharted, Eidos y insuffle donc une simple notion primordiale du jeu vidéo, mais pourtant bien trop dédaignée par ses semblables : le choix. Le choix dans les conversations en premier lieu qui rythmeront votre exploration, vos collègues expriment leurs angoisses ou déblatèrent leurs conneries à longueur de journée et vous pourrez les recadrer, fédérer l’équipe ou même faire le choix de rester silencieux pour laisser la conversation se poursuivre sans votre intervention ; cela semble anodin à première vue mais cela rend infiniment plus digeste les sempiternelles séquences de marches ou de grimpette qui pullulent dans les AAA de ce nouveau millénaire, voir même les temps de chargement (à peine) camouflés qu’affectionnent particulièrement les derniers God Of War. Ça parle beaucoup à nouveau mais l’attention du joueur n’est pas en mode « débrancher le cerveau » pour autant ; le système n’est pas totalement optimisé et il n’est pas rare que certains conversations s’interrompent brusquement pour éviter qu’elles ne se chevauchent mais dans l’ensemble, c’est bien une manière plus immersive et impliquante pour le joueur d’appréhender ces récits linéaires.
Le choix également dans les cinématiques où le jeu dévoile étonnamment une structure proche des anciennes productions Telltale, une formule certes quelque peu éculée aujourd’hui mais bien moins envahissante et intrusive dans le quotidien du joueur que son modèle : le récit ne vous bombardera pas de « Rocket s’en souviendra » toutes les deux minutes mais vous rappellera l’impact de vos décisions antérieures à des moments opportuns, incitant ainsi à demeurer attentif durant les nombreuses cinématiques du titre, la plupart des choix se déroulant de surcroît en temps limité. Le choix également durant l’exploration de ces niveaux linéaires entre aller directement à l’essentiel ou s’attarder davantage sur le contenu annexe : la plupart des zones sont structurées de telle sorte que l’objectif à atteindre soit clairement visible bien en amont (comme dans la plupart des Uncharted à nouveau) et les énigmes pour le chemin principal se révèleront assez aisées mais à nouveau si le joueur fait preuve de curiosité, est davantage attentif à son environnement ou exploite plus judicieusement les aptitudes de ses camarades, il trouvera pléthore d’éléments annexes à dénicher sur ces nombreuses planètes : des tenues alternatives pour les afficionados des comics, des points de compétences de deux sortes à dépenser pour améliorer votre équipement (ce qui arrivera assez vite puisque le jeu est un peu trop généreux en la matière) et surtout des objets à donner à vos coéquipiers pour qu’ils se remémorent des souvenirs de leur passé souvent tumultueux : les retours à votre vaisseau vous offriront ainsi de nombreux dialogues supplémentaires et apporteront des précisions importantes sur le vécu de vos alliés ; le jeu lorgne efficacement vers une formule à la Bioware dans vos relations avec vos compagnons et à bien des égards, j’oserais même affirmer que Guardians of The Galaxy est un bien meilleur Mass Effect qu’Andromeda.
Le choix enfin durant les combats et à nouveau, il est aisé de se méprendre sur la véritable intention du titre : les impacts des tirs sont assez médiocres, les sensations de jeu pas vraiment grisantes et à première vue, on est en présence d’un Vanquish du pauvre faussement cool, même si on peut quand même saluer la démarche de proposer un TPS en 2021 qui soit dénué du moindre système de couverture. Mais encore une fois, Guardians of The Galaxy est un jeu d’équipe et vous en êtes le meneur et non la principale force de frappe : vos actions les plus impactantes sur le choix de bataille ne sont pas forcément vos propres capacités mais les commandes à donner à vos alliés au moment opportun et exploiter leurs différentes aptitudes selon l’adversaire qui vous fait face. Et c’est à nouveau en ce sens que le jeu fait merveille : vous n’êtes pas la plus grande puissance offensive des Gardiens de la Galaxie mais un peu à l’image d’un Ranger commandant à une certaine équipe de Baltringues, vous parviendrez à exprimer le meilleur potentiel de votre groupe au fur et à mesure des affrontements, le titre parvenant à conférer un vrai sentiment de progression, et de cohésion d’équipe, au fil de son récit : même la mécanique du Rassemblement (un brin inutile dans les faits car le challenge se révèle bien trop modéré même en difficile) accentue également cette démarche. A partir du moment où vous intégrerez cette notion de leader, au lieu de rester focalisé sur votre propre protagoniste, toute la démarche créative du jeu vous paraîtra bien plus sensée : pourquoi les séquences dans le poste de pilotage se déroulent -elles en vue subjective plaçant judicieusement Star-Lord en retrait et laissant vos acolytes occuper tout l’espace de l’écran ; pourquoi vous vous mettrez soudainement à flipper en vous retrouvant seul sur une planète hostile alors que le joueur peut dilapider un argent durement gagné par l’équipe dans une pléthore d’activités annexes ou même pourquoi vous ne contrôlerez jamais directement les autres Gardiens car vous n’êtes jamais maîtres de leurs décisions, vous pouvez simplement les aiguiller dans ce qui vous parait être la meilleure solution pour tous.
Par cette démarche plus atypique qu’il n’y paraît, le jeu concrétise ainsi par l’interactivité un archétype récurent du Space Opera, une facette de cet imaginaire qui relie autant BattleStar Galactica, The Expanse, Mass Effect et bien évidemment Star Trek : la difficulté de fédérer un équipage autour d’une cause commune et d’outrepasser les craintes de chacun pour affronter ensemble des difficultés à première vue insurmontables. Une réussite qui confère à ce titre une saveur bien plus distincte, et en un sens bien plus universelle, que la simple retranscription d’une formule Marvel déjà bien trop érodée dans l’industrie du divertissement.
My Baby Shot Me Down
Les Gardiens de la Galaxie, c’est aussi une histoire de famille recomposée ; des personnalités excentriques brisées par la vie et qui forment littéralement une équipe d’infortune pour affronter un univers bordélique qu’ils ne peuvent plus endurer par eux-mêmes, en dépit de leurs compétences exceptionnelles. Aussi malgré la déconnante générale du récit et les remarques acerbes qui pimentent les dialogues entre les mercenaires, cette histoire est avant tout l’histoire d’un deuil inapaisé ; une thématique pas franchement discernable dans les premiers instants, eu égard à la légèreté apparente de l’écriture, et en insufflant une gravité inattendue à ces héros faussement désinvoltes , Eidos Montreal est parvenu à peaufiner ce que Marvel est bien en peine de réitérer avec sa surproduction cinématographique actuelle : associer habilement humour et émotion en mettant en scène ces héros dans des situations comiques sans les faire passer pour les derniers des abrutis pour autant. Je ne vais pas vous baratiner que l’humour fonctionne systématiquement ; durant cette aventure d’une générosité exceptionnelle, il y a forcément des moments où les ruptures de ton ne sont pas adéquates, où les situations décalées se révèlent tellement forcées qu’elles vous feront peut être lever les yeux au ciel mais pour ma part, le constat est sans appel : c’est indéniablement le jeu le plus drôle auquel j’ai joué durant la dernière décennie (je dois peut être remonter à Brutal Legend pour retrouver son équivalent ; un autre coup de cœur qui partage de nombreuses qualités avec ce titre dont notamment la sincérité de son propos) et si je devais énumérer les jeux qui sont parvenus à me faire passer du rire aux larmes, il y en aurait à peine une poignée en dépit de ma longue expérience de joueur ; bref, il y a une vraie réussite dans l’écriture de ce titre mais contrairement à d’autres, je ne dissocierais certainement pas la narration comme une qualité distincte d’une mécanique de jeu médiocre : il y a une vraie cohésion globale et fédératrice dans cette expérience où même des séquences narratives se révèlent plus inspirées que les apparences le suggéreraient au premier abord. Bref un jeu qui distille progressivement sa saveur au lieu de proposer quelques moments d’éclats qui viendraient duper le public sur un contenu assez impersonnel ; pas d’esbroufe dans le cas présent, Gardiens de la Galaxie porte fièrement ses valeurs et ses sentiments tout le long d’une aventure qui accorde le temps nécessaire à ses personnages pour susciter peu à peu une empathie insoupçonnée.
S’il me fallait adresser un seul véritable écueil à cette expérience interactive, et je me dois néanmoins de le mentionner, ce serait certainement sa composante technique : Gardiens de la Galaxie n’est pas dénué de bugs malheureusement, pas assez fréquents pour freiner le joueur dans sa progression mais suffisamment réguliers pour malmener un peu l’immersion : musiques qui s’interrompent brusquement, personnage bloqué en longeant un mur, répliques soudainement inaudibles ou ciel qui change brusquement de couleur; le jeu est né dans la douleur, indubitablement (et cela en valait clairement la peine) et ces quelques lacunes m’empêchent de lui accorder une notation encore supérieure, d’autant qu’il ne bénéficiera vraisemblablement plus de patchs dans les années à venir. En contrepartie, le jeu bénéficie d’une version française tout bonnement exceptionnelle et qui s’avèrera quasiment indispensable pour profiter pleinement de l’expérience proposée ; les répliques s’enchainent tellement durant les affrontements qu’il est impossible de les suivre correctement avec l’alternance frénétique des sous-titres donc à moins d’être parfaitement bilingue en anglais, ne vous privez pas de ce doublage de grande qualité : la synchronisation labiale n’est pas toujours optimale mais le ton, lui, est toujours juste ; un travail remarquable pour un jeu qui le méritait bien.
Don’t Fear The Reaper
Alors quel bilan pour ce Gardiens de la Galaxie au final ? Plaisir coupable ? Perle cachée ? Ou bien un de ces fameux coups de cœur qui tendent tellement à se raréfier au fil des années ? Peut être les trois à la fois et honnêtement je m’en fous ; je sais simplement que ce titre m’a transporté avec une innocence que je n’avais pas ressenti manette en main depuis bien trop longtemps ; le genre de périple où on ne s’attarde pas davantage sur ses défauts évidents car ils ne parviennent pas à entacher le plaisir quotidien de découvrir de nouvelles planètes jour après jour ; où l’alchimie s’opère autant entre les personnages à l’écran qu’entre le joueur et son espace de jeu ; où le récit et l’interactivité se consolident mutuellement peu à peu au lieu de se contredire à chaque instant et où on ne se pose même plus la question de savoir si ça valait vraiment la peine de passer une vingtaine d’heures dans un univers fictionnel ; on en demande encore plus et surprise, c’est pas encore fini, le jeu en donne encore plus.
Bref, le genre d’aventures galactiques que l’on vit avec des étoiles dans les yeux.
Et dont on se souviendra des amis faits en chemin.