En 2002, si peu de temps après le traumatisme du 09/11, Sam Raimi dévoilait au monde ce que serait le standard cinématographique des films de super héros pour les décennies à venir. Véritable underdog dans une shortlist constituée des réalisateurs les plus en vue du moment, Raimi et son équipe explosent les standards, réalisant ce que tous pensaient alors impossible.
En 2009, Rocksteady, petit studio de développement dont on ne connaissait que le sympatrique Urban Chaos, est mandaté par Warner Bros. pour réaliser une énième adaptation vidéoludiques des déboires du Caped Crusader. Encore une fois, le petit monde du jeu vidéo était loin de se douter qu'un nouveau standard, cette fois vidéoludique, était sur le point d'être créé.
En septembre 2018 paraît Marvel's Spider-Man. En revanche, rien de révolutionnaire cette fois-ci : l'araignée a pris dans sa toile ces deux influences majeures et s'est attelée à les boulotter, en vue d'effectuer une synthèse.
Car bien que le théâtre des opérations ait été déplacé dans un New York aussi reconnaissable que chatoyant et que le personnage principal ait troqué sa sombre tenue pour une morphsuit rouge et bleue aussi criarde qu'emblématique, les premiers pas dans Marvel's Spider-Man ne tromperont personne : on est dans un quasi décalque de la formule à succès Arkham.
Ni voyez pas cependant un quelconque début d'argumentation dévaluative sur la seule base de cette comparaison, jeux vidéos comme cinéma sont des arts où l'intégration et la reprise sont des composantes importantes du processus de création. Non, le véritable but de cet article et de parvenir à mettre le doigt sur ce qui caractérise le dernier jeu d'Insomniac Games et pourrait justifier sa présence dans une ludothèque exclusive plutôt famélique ces temps derniers.
Commençons par parler gameplay si vous le voulez bien !
Marvel's Spider-Man reprend ici le diptyque bien connu de boucles de gameplay principales déjà usitées chez Batman. Une première boucle consacrée aux déplacements urbains à grande vitesse et une seconde consacrée à la castagne de masse.
Attardons-nous tout d'abord sur l'une des plus grosses réussites du jeu : son système de locomotion. L'araignée peut exploiter ses lance-toiles de deux types de grappins différents, au gré des situations et des envies.
Un premier grappin que j'appellerai "à balancier". Le héros se fixe en un point (caché mais vraisemblable 90% du temps) et, avec une longueur de toile conservée, profite d'une habile transformation d'énergie potentielle en énergie cinétique pour jouir d'une grisante accélération.
Le second type de grappin, que j'appellerai "tracteur", permet, comme son nom l'indique, de profiter d'une accélération brève et rectiligne, principalement utilisée pour conserver une bonne vitesse de croisière à une altitude où le premier mode de déplacement apparaît impossible, ou réaliser un jouissif saut de puce si usité pour atteindre une singularité (lampadaire, acrotère, château d'eau ou cheminée par exemple). Ajoutez à cela quelques mouvements encore plus surhumains comme des courses à même les murs et une étude minutieuse du design de la ville pour réduire au minimum syndical les entraves superflues et vous obtiendrez sans mal un des systèmes les plus grisants sortis à ce jour. Je vous mets au défi de ne pas vous esclaffer comme la doublure numérique du jeune Tobey Maguire, découvrant ses nouvelles capacités devant l'objectif de Sam Raimi. On virevolte et on perd parfois le contrôle avant de finir par se prendre un mur, sans toutefois subir autre punition qu'une brève perte de vitesse. Puis on repart de plus belle une seconde plus tard, un sourire béat aux lèvres.
Sa seconde boucle, à savoir son système de combat, le nouveau Spider-Man la maîtrise en revanche légèrement moins. Non pas que les rixes soient particulièrement déplaisantes ou plus limitées que celles offertes par les jeux du chevalier noir, mais contrairement à celui-ci, l'homme araignée, et donc par extension le joueur, doit également se battre contre la caméra, ennemi mortel qui nuit très souvent à la lisibilité, voire parfois à la maniabilité de l'ensemble puisqu'elle requiert d'être déplacée dans le feu de l'action.
Mais soyez rassurés, la pèche bien réelle de l'ensemble aide à passer outre cette imperfection majeure et profiter de la tension (en mode de difficulté maximal) et du spectacle sons, toiles et lumières. Et il faut dire que côté possibilités, l'araignée a peu à envier à la chauve-souris. Difficile pour le joueur novice de ne pas avoir le tournis devant la grande variété d'options disponibles en début d'aventure, avec pour objectif clair de varier les méthodes pour mieux édenter son prochain, ce sont les dentistes-prothésistes virtuels qui s'en frottent les mains. Compter une grosse poignée d'heure pour assimiler et faire le tour de toutes les options, au-delà desquelles malheureusement le jeu peinera à grandement se réinventer...
Et il s'agit ici d'un second reproche que je peux formuler à l'encontre du soft : son incapacité à réellement renouveler ses deux boucles de gameplay. L'aspect somme tout assez relatif metroidvania-esque de la série Arkham s'efface ici au profit de gadgets inutiles et d'un héros qui n'évoluera qu'au gré de l'escalade d'un arbre de compétences dont les timides briques de gameplay proposées n’entraîneront qu'un renouvellement superficiel des habitudes rapidement acquises. Spider-Man virevoltera et collera des tatanes de façon quasi-identique en fin de partie qu'à ses débuts. Ce ne sont pas non plus les augmentations statistiques, finalement assez peu perceptibles, ni une garde-robe dégueulant de fan service (et de costumes principalement moches) qui révolutionnera la chose, tant les nouvelles capacités spéciales proposées seront vite remises au placard en faveur d'une des compétences de base déjà très recommandable.
Alors la variété des situation proviendra plutôt du mélange hasardeux de plusieurs types d'ennemis, possédant chacun son gimmick, sans que jamais ni la topologie ni la conception des vagues ne semblent vouloir s'adonner à de l’expérimentation un brin fofolle. Alors on tape, on tape, on tape du truand, sur un rythme qui nous plaît.
Et ce n'est pas du côté de la construction du monde ouvert de Spider-Man que nous pourrons trouver de véritables carottes pour pousser le joueur à explorer. Beaucoup moins travesties qu'elles ne pouvaient l'être chez Rocksteady, ce n'est pas non plus du côté des activités annexes qu'il faudara regarder puisqu'elles sont ici relativement sommaires et somme tout assez peu généreuses en terme de clins d’œil et de lore. Un seul Edward vous manque et tout vous paraît dépeuplé...
Et c'est tout à fait rageant si l'on considère le soin apporté par Insmoniac à la plastique de son ouvrage. Graphiquement le jeu adopte une patte mixant particulièrement bien une esthétique comics et réaliste, offrant un certain nombre de moment de grâce. Mais là où le jeu semble inattaquable, c'est surtout sur le soin maniaque dont a bénéficié l'homme araignée, dont tous les déplacements semblent d'une fluidité exemplaire. Ce boulot titanesque, largement mis en valeur par les systèmes de déplacement et de combat devient encore plus éblouissant lorsqu'il s'agit de construire des scènes cinématiques époustouflantes rappelant les meilleures heures des deux premiers films de Sam Raimi. Bien inspirés, les artistes à l'origine de certaines séquences parviennent à restituer une demi douzaine de sacrés morceaux de bravoure qui feraient pâlir Spider-Man Homecoming en terme de réalisation, de rythme et de lisibilité. Oups...
Ce qui me conduit tout naturellement à m'attaquer au scénario et de façon plus générale la dramaturgie et l'aspect cinématographique de ce nouveau jeu Spider-Man. Je préfère vous prévenir tout de suite : ce qui suit spoile largement le scénario, ne vous aventurez pas plus loin si vous ne souhaitez pas en apprendre davantage sur cet apsect.
Se déroulant quelques années après la prise de fonction de Peter Parker, potentiellement dans Spider-Man Homecoming, Insomniacs choisit de nous installer dans les chaussettes inconfortables du héros de quartier, comme toujours partagé entre ses tracas quotidiens et des responsabilités un poil plus grandes. Comme attendu, la curieuse volonté de proposer un nouvel antagoniste dans une galaxie de super-vilains haute en couleurs ne paie pas, le scénario ne parvenant pas à véritablement décoller, partagé entre de l'exposition pure et un jeu de piste rapidement éventé. Qu'importe, les véritables stars du jeu sont en fait Otto Octavius et Norman Osborn. Si l'intrigue en elle-même ne révolutionne ni le destin tragique du premier ni fondamentalement l'écriture du second, elle prend le temps de mettre en place, d'abord au second plan, une tragédie qui se trouvera en fin de compte être la véritable trame principale du jeu. Père de substitution pour le héros doublement orphelin, voir sombrer inexorablement un Octavius brisé vers son alias malfaisant apporte son lot de pincements à mon petit cœur tout mou de fan de l'araignée.
Une fois ce point de bascule franchi, l'histoire prend une ampleur extraordinaire, commençant par la constitution des Sinister Six et plongeant la grande pomme dans le chaos et un état de siège assez peu caractéristique des mésaventures de l'homme araignée.
C'est d'une grande maladresse et d'un déséquilibre plutôt étranges, qui me laissent à penser que cette dernière partie a sans doute été grandement rushée, en témoigne les remises en zonzon plutôt expéditives des sinistres individus, dont la récente libération laissait pourtant présager un renouvellement bienvenu de la routine déjà lourdement installée.
Une fois le lien entre les deux intrigues et les révélations relatives à la malédiction de la famille Osborn expédiées il ne reste guère qu'un final d'une grande maîtrise et particulièrement déchirant pour récompenser le joueur acharné. Mais quel final... Rien que d'y penser mes yeux transpirent de nouveau !
Que pouvez-vous donc retenir de Marvel's Spider-Man au terme de cette critique ?
Qu'il s'agit tout d'abord d'un clone très agréable des Batman Arkham avec une surcouche Marvel plutôt réussie. Si les velléités narratives de l'expériences débouchent sur un résultat plutôt bancal, c'est parce que l'aventure s'appesantit peut-être un poil trop sur un nouveau super-méchant de seconde zone, avant de véritablement exploser dans une dernière ligne droite particulièrement réussie. Si la perspective de vous enfiler un Open World assez classique malgré la sortie imminente d'Assassin's Creed Odyssey et Red Dead Redemption 2 ne vous effraie pas et que vous êtes fan de Spidey, c'est donc tout à fait recommandable.