Le commandant Shepard ne le sait que trop bien : s'il est le dernier espoir de la galaxie pour vaincre les terribles Moissonneurs, lesquels menacent d'extinction toutes les civilisations qui la peuplent, c'est qu'il n'y a plus d'espoir ailleurs. Tous ceux qu'il sera amené à croiser penseront d'abord, fatalistes, à leur propre sort, à sauver ce qui peut encore l'être. Pourtant, il faudra les réunir pour l'offensive finale. On ne gagne pas une guerre seul. Surtout pas celle-là. Et lorsqu'il monte à bord du Normandy, son vaisseau, pour quitter une Terre pilonnée par une armada impitoyable, il sait que son épopée sera rythmée par les sacrifices. Mais il n'a pas le choix. Il faut en finir avec cette histoire, quel qu'en soit le prix.
Et elle prendra fin, cette histoire, car Mass Effect 3 est le dernier volet d'une trilogie lancée en 2007, création du mythique studio Bioware (Baldur's Gate, Star Wars : The Old Republic), et qui s'est poursuivie en 2010. Et c'est, sans aucun doute, l'univers de science-fiction le plus abouti qu'ait connu le jeu vidéo. Pas bien difficile, il faut le reconnaître, tant les autres prétendants, comme Halo, sont loin derrière. S'il faut comparer Mass Effect à d'autres œuvres, on cherchera donc dans les grandes références audiovisuelles (Star Wars, Battlestar Galactica, Star Trek) ou littéraires (Dune, Fondation, Hyperion, etc.). Car la trilogie ludique utilise avec brio ce qui fait la force du genre, à savoir la mise en place ex nihilo de systèmes politiques, de mythologies, et de cultures complexes. Et le lecteur, spectateur ou, ici, joueur, traverse cet univers en ayant ce sentiment grisant de ne découvrir qu'une toute petite partie de ce qui existe, d'être entouré par un univers vivant qui possède sa propre histoire.
Shepard descend à l'armurerie. Il doit reprendre ses repères dans ce vaisseau qu'il connaît bien. Il y trouve un lieutenant Cortez, pilote et responsable de l'arsenal, en pleurs devant sa console, écoutant l'enregistrement audio d'un assaut militaire. Il explique que ce sont là les derniers mots de son mari. Il n'arrive pas à faire son deuil, mais les paroles réconfortantes du commandant lui remontent le moral. Il est entouré d'amis et il peut s'appuyer sur eux. Et plus si affinité, au bon vouloir de celui qui tient la manette.
Cet attachement aux personnages, ces moments où l'histoire bascule de l'infiniment grand à l'intime, avec une liberté de choix certes limitée mais bien présente, c'est aussi une des signatures de la saga Mass Effect. Elle sait de plus tirer partie de l'implication du joueur durant les deux premiers épisodes. On retrouve non seulement les lieux mais aussi des personnes, des amis, des amant(e)s ou des adversaires. Et s'il est possible de jouer à ce troisième épisode sans avoir touché aux deux autres, l'expérience perd de cette précieuse profondeur pour ne garder que ce qui est le noyau de ce Mass Effect 3 : l'action et les missions plus épiques les unes que les autres.
Accompagné de Garrus, sniper turien, et Tali, scientifique quarienne devenue amirale (deux amis de très longue date), Shepard part à l'abordage d'un immense vaisseau geth. C'est systématique : à chaque fois qu'il veut enrôler des alliés, il faut d'abord résoudre leurs problèmes. La situation est critique pour la flotte quarienne, et il faut désactiver un signal émis depuis ce bâtiment. Face aux Geths, la stratégie habituelle qui consiste à s'abriter et à arroser ses adversaires grâce à un armement destructeur trouve ses limites. Certains, les « hunters », peuvent se rendre invisibles et arriver au corps à corps. Il faut bouger, et rester attentif aux moindres mouvements. Les pouvoirs spéciaux des deux alliés sont aussi bien utiles. Ne serait-ce que pour varier un peu les plaisirs.
Les mécanismes de jeu de ce troisième épisode sont rodés et efficaces. Le joueur part en mission avec deux membres de son équipage et doit accomplir ses objectifs avec pour principal obstacle des hordes d'ennemis. Mais, grâce à une mise en scène souvent grandiose et une belle utilisation de la bande originale de Clint Mansell, compositeur attitré du réalisateur Darren Aronofsky (Requiem for a Dream, The Wrestler), on ne s'en lasse pas. Sauf, peut-être, dans les ultimes moments du jeu. La toute fin, d'ailleurs, a déclenché une polémique d'ampleur parmi les joueurs. Trop simpliste, trop vite expédiée. Elle n'est pourtant pas honteuse, mais elle est ressentie comme n'étant pas à la hauteur de ce périple mémorable d'une bonne centaine d'heures. Suite à ce désarroi, Bioware a promis de revoir sa copie, sans doute avec un contenu téléchargeable. C'est loin d'être gagné, car face à un tel investissement personnel, le mot « Fin » porte en lui une immense déception.
(Publié dans Libération le 23 mars 2012)