Max Payne, en shoot libre
Ils doivent être plus d’une dizaine. Ça ne va pas être simple. Et hors de question de rester planqué derrière cette pierre tombale. D’une part parce qu’elle ne va peut-être pas tenir bien longtemps sous les rafales. Et, de l’autre, parce qu’ils ne vont pas tarder à balancer une grenade ou à se ramener à trois ou quatre en contournant cet abri de fortune.
Ils arrivent, d’ailleurs. Max se jette sur le côté un flingue dans chaque main. Le temps semble se figer, trois malfrats sont à découvert, les balles sifflent et laissent dans l’air une traînée visible. C’est un chaos visuel, mais le ralenti permet d’ajuster ses tirs. Avant même de retoucher terre, Max a vidé ses deux chargeurs et, quand les secondes recommencent à défiler normalement, trois corps sans vie s’écroulent. Jusqu’ici, tout va bien. Mais il faut se relever et affronter le reste de la meute. Ils sont encore nombreux à canarder et à hurler des insultes. Dommage pour eux, mais ils sont en infériorité numérique : Max a encore vingt balles sur lui.
Les deux premiers épisodes de Max Payne, sortis en 2001 et 2003, avaient marqué les joueurs en combinant une action effrénée à base de « gunfights » au ralenti tout droit sortis des productions de John Woo et une ambiance noire qui ne cesse de flirter avec la caricature. Un flic, en dépression profonde suite au meurtre de sa femme et de sa fille, se retrouve en première ligne face à la pègre new-yorkaise sur une sombre affaire liée au trafic d’une nouvelle substance narcotique.
Tout se construit sur une variation permanente du rythme, entre les fusillades ultra-nerveuses qui deviennent, en une pression de bouton de la part du joueur, d’envoûtantes chorégraphies meurtrières au ralenti. Entre la voix off de Max qui commente avec sa voix caverneuse (l’acteur James McCaffrey, qui est allé jusqu’à prêter ses traits au héros dans ce troisième épisode) une situation qui lui échappe totalement. Et enfin entre les planches de BD, qui font avancer l’intrigue entre chaque chapitre. Aux commandes, le studio finlandais Remedy, qui abandonne la série après Max Payne 2 pour se consacrer à une nouvelle licence, Alan Wake.
Pendant plusieurs années, on n’entend plus parler de Max, et les joueurs doivent se contenter de quelques ersatz, dont le très moyen Stranglehold en 2007, pourtant cosigné par John Woo, qui remet le ralenti « bullet time » au goût du jour mais sans convaincre.
En 2009, alors qu’on ne l’attendait plus, le troisième épisode est annoncé par Rockstar qui reprend le développement en interne. Bonne nouvelle à première vue, l’éditeur est auréolé du succès phénoménal de GTA IV sorti un an plus tôt. Mais les images refroidissent vite les fans : Max Payne est en Amérique du Sud, les cheveux rasés, le look « badass » et l’ambiance film noir a été troquée pour de celle d’un film d’action de seconde zone.
Reporté à plusieurs reprises, Max Payne 3 est finalement devenu la production emblématique de Rockstar en 2012 et, dès les premières minutes de jeu, le constat est sans appel : Max est de retour et il n’a pas changé, la moiteur de São Paulo convenant tout aussi bien que la pluie de New York pour installer une atmosphère pesante. C’est aujourd’hui un ex-flic qui n’a toujours pas grand-chose à perdre. Il a accepté de venir au Brésil pour devenir garde du corps d’un magnat de l’immobilier. Son temps libre, il le passe à se morfondre dans son appart miteux, entre une bouteille de mauvais bourbon et une boîte de médocs. Jusqu’au jour où la femme de son employeur se fait kidnapper par un gang local, le Comando Sombra. Ce n’est que le début des emmerdes et d’une nouvelle descente aux enfers.
Max Payne 3 est à la hauteur de ce qu’on peut attendre aujourd’hui d’une superproduction Rockstar. Tout y est travaillé, ciselé jusqu’à la perfection. L’esthétique d’abord, avec, entre autres, la reproduction saisissante du contraste entre les quartiers riches et les favelas de São Paulo. Tous les environnements ont été soignés jusque dans les moindres détails, ce qui compense l’absence d’un univers ouvert, marque de fabrique de l’éditeur (ici, le parcours de Max est imposé dans les niveaux). On retrouve même New York lors de flash-back qui deviennent, du coup, dépaysants.
L’écriture, elle, se situe largement au-dessus de la mêlée dans l’industrie du jeu vidéo, sans doute grâce à Dan Houser, scénariste en chef et vice-président de Rockstar. Cette maîtrise narrative permet de mettre en scène des situations d’une violence extrême sans que cela paraisse déplacé ou malsain (rappel : jeu 18+). Et on ne se lasse pas des états d’âme de Max, entre commentaire désabusé (« Que faisais-je donc là, à me balader avec ma coupe de cheveux ratée et ma chemise ridicule ? ») et cynisme délicieux (« Vous croyez qu’un tas de merde se sent populaire parce qu’il est entouré de mouches ? »).
Enfin, et surtout, il y a ce gameplay où l’important n’est pas seulement de mettre une balle en pleine tête, mais de le faire avec classe. Quitte, dans un élan de perfectionnisme, à refaire plusieurs fois un même niveau pour aboutir à un enchaînement vraiment mortel.