Si Sons Of Liberty avait, à l'époque, le mérite d'être graphiquement aguicheur, on ne peut pas en dire autant de son design. L'aire de jeu, qui n'est autre qu'une plateforme pétrolière, est résolument rébarbative et terne, malgré un orange pétaradant de domination. Ne flattant pas l'oeil pour un sou, cet environnement confiné est sans aucun doute plus respirable que le complexe militaire de Shadow Moses du premier épisode, mais ne possède pas cette beauté triste et poétique aperçue dès notre contact au grand air floconneux et à son sol enneigé. A mon sens, ce charme hivernal est à mille bornes de cet espace de jeu industriel composé d'amas de ferraille.
Le scénario, quant à lui, est encore plus tarabiscoté que dans le premier, et se dédouble grâce à la présence (bienvenue ?) de Raiden ; minet au joli minois, curieusement introverti et tombeur de ces dames à ses heures perdues. Conspiration, machination, terrorisme... Toujours pour de la po-li-tique saupoudrée d'une étude de la société occidentale par le truchement des sciences molles comme la philo et la socio. Content que je suis de jouer à un truc censé me rendre plus intelligent tout en faisant s'exercer mes doigts, je continue ma quête même si je rechigne à adhérer au personnage que je dois occuper bien malgré moi. Raiden... Créé pour ne pas faire de l'ombre à Snake, mais bien rester dans la sienne, au moyen d'une personnalité malléable et innocente, et d'une relation envahissante avec sa petite amie. Employée à la place de Mei-Ling, ou encore d'Otacon dans la première partie du jeu (la seule avec Snake), elle n'a de cesse d'apporter de l'eau au moulin de la parlote à rallonge pour, comme le gratte-papiers alimentaire a coutume de dire, « gonfler artificiellement » la durée de vie. Ces dialogues par codec interposés sont lourds, lassants, fastidieux, mais difficiles à zaper, par peur d'être passé à côté d'un élément important du scénario qui reste, de toute manière, incompréhensible... tant ses ramifications – pétries de légendes urbaines - sont multiples.
Si je dois continuer dans les demie-tares et tares-tares, il est impossible de taire les traductions de l'anglais faites à la va-vite. Il est aberrant de constater des erreurs bêtes et méchantes qu'un niveau d'anglais moyen détecte directement, de fautes de syntaxe et d'accords impardonnables, de points de suspension anarchiques, placés à la hauteur des tirets et en nombre variable... Le résultat plus que calamiteux donne l'impression que le boulot de traduction a été donné à des personnes dont les compétences, et sûrement le temps qui leur était imparti, n'étaient pas à la hauteur du hit. Et puis, pour pinailler, j'ai envie de dire que le partenariat avec la revue de charme FHM est plus que douteux, et fait véritablement tâche dans un décor hétérogène partagé entre les canons de beauté nippons et occidentaux.
Du côté du héros, Raiden est un Snake 1.1, tout juste plus alerte. Concrètement, la seule différence tient dans la matérialisation à l'écran de la pression de la touche croix, qui ne donne plus une jolie galipette made in Snake, mais une véritable roue (et sans les mains !) fun à faire ; tellement que j'en ai usé et abusé, surtout dans les escaliers, où il est moins fréquent de se vautrer qu'avec Snake.
Ainsi, l'humour est toujours là, au beau fixe, et pas forcément où on pouvait s'y attendre. C'est en effet Otacon qui prend pour commencer le rôle du bouffon ; alors que le premier épisode de la série l'avait décrit comme un trouillard intello et geek ; Otacon venant d'« otaku », pour la petite histoire... Je ne peux pas vraiment dire que le rôle de clown lui va comme un gant, mais en il est certain qu'il lui colle à la peau ; au moins dans la campagne en compagnie de Snake, qui est l'occasion de parodier les déclamations de proverbes réalisées par Mei-Ling dans le Metal Gear Solid original.
Côté noblesse artistique, l'oeuvre légitime de Kojima bénéficie d'un habillage du gameplay, autrement dit la mise en scène, qui fourmille d'ingéniosité. Les adresses directes aux joueurs, déjà croisées dans le premier, sont extrêmement efficaces. Présentes pour le renseigner en tant que joueur dans le corps d'un soldat d'élite, ou pour le questionner sur son existence réelle, ces trompe-l'oeil effectuent un va-et-vient déstabilisant entre une virtualisation du joueur, soit son intégration totale à l'aventure, et son éviction commandée par la restitution de son statut de simple individu. Mais ce n'est que lorsque la « matrice » se met à flancher, et que l'action s'emballe aux abords de la fin, que le joueur est le plus impliqué, et perd donc la passivité que l'accumulation de cinématiques et de discussions entre protagonistes avait installée chez lui. Concrétement, c'est-à-dire « spoil » chaud devant, la simulation de game over en plein gunfight, alors que les coups de feux s'échangent toujours dans le coin gauche de l'écran ; l'injonction donnée au joueur d'éteindre sa console par un colonel à l'attitude soudainement bizarre ; son commentaire sur sa manière de jouer ou son temps de jeu excessif, sont autant d'éléments qui s'extraient de la bulle narrative communément imposée au joueur, et qui en définitive font la marque de fabrique, et donc tout l'attrait, de la série Metal Gear Solid.
En clair, MGS 2 est fidèle à la réputation de Kojima, accusé de vouloir trop en dire, trop en faire... Ce qui transparaît jusque dans le générique de fin, insuffisant à mettre un terme au film. Quand y'en a plus, y'en a encore ! Et voilà que débarque une nouvelle cinématique reprenant là où le discours final du Serpent singe, devenu sage, nous avait laissé. Cependant loin de moi l'idée de bouder mon plaisir, puisque le 2 est un énorme blockbuster (vidéoludique ou cinématographique ?) verbeux (à la Nolan ?) qui captive les mains et la tête jusqu'à plus soif.