Neuf ans après l'attaque de la motherbase, Big Boss a.k.a Snake s'extirpe enfin du coma. Et le réveil va être brutal. En plus du choc de cette décennie passée en hors-service, on lui fait comprendre très vite qu'il est hors-la-loi, traqué par à peu près tout le monde. Il va donc lui falloir vite se remettre sur pied, et avec lui son unité, son armée, ses idéaux...
Fan absolu de la saga Metal Gear Solid, qui m'a mis le pied à l'étrier du jeu vidéo dans mon enfance, je n'ai jamais pu envisager d'en rater un pour compléter l'incroyable univers - terriblement cinématographique - de monsieur Hideo Kojima : fourmillant de détails, de thématiques, d'émotions et de twists. À mes yeux, MGS représente ni plus ni moins que la plus grande saga action/S.F (et tellement plus encore) que j'aie pu approcher.
Le premier Metal Gear Solid, sorti en 1998, est une date dans l'histoire du jeu vidéo. À mon humble avis, son seul égal demeure le 3ème opus, Snake Eater
Attention, ne croyez pas que je compte le deuxième ou quatrième volet comme des déceptions, très loin de là. MGS 2 : Sons of Liberty est d'une ambition juste dingue dans sa propension à questionner le joueur sur la notion même du jeu, de la manipulation dont il est à la fois le sujet et l'instigateur, sans parler de la toile de fond politico-philosophique. Le jeu était même diablement en avance sur son temps, dans sa réflexion méta et sa subversion des attentes. Son seul défaut est d'avoir pêché par un équilibre pas toujours adroit entre jeu et cinématiques. Vu l'ampleur des enjeux, ça pourrait se comprendre mais...nous y reviendrons voulez-vous ?
Reste MGS 4 : Guns of the Patriots qui entendait reconstituer TOUT le puzzle, offrir une conclusion à chacun des personnages, sans parler de la mythologie (gigantesque). Sublime expérience ravivant le passé tout en le mettant à distance par rapport à son héros vieillissant, il fut peut-être celui qui eut le plus de difficulté à tenir les rênes. Terriblement généreux, émouvant et parfois sidérant de maestria, cet épilogue était légèrement moins efficace dans certains choix dramaturgiques inutilement alambiqués. Reflet de l'épisode 2, Guns of the Patriots butait sur la longueur parfois déraisonnable des phases "passives" (parfois 15-20 minutes !). Dans cet effort de tout expliquer, Hideo Kojima prenait le risque de se tirer une balle dans le pied, là où des zones d'ambigüités sont parfois préférables pour laisser son auditoire combler les blancs avec son imagination. Pour certaines choses, on peut dire qu'il s'est compliqué la tâche alors qu'il n'y avait pas nécessité.
Déboule The Phantom Pain, le magnum opus de la saga Metal Gear. Ah oui, je considère Ground Zeroes non pas comme une introduction, bien qu'il le soit scénaristiquement, mais plutôt comme une démo dont certains défauts agaçants (points de contrôle, faible durée de vie,...) trahissent une manœuvre commerciale douteuse et un développement qui était loin d'être achevé. Nous voici donc au point de convergence, là où se nichaient les derniers mystères quant à Big Boss et à son basculement du côté obscur de la Fox (pardon).
À bien des égards, cette vraie conclusion (?) est le miroir inversé de Sons of Liberty (je vous avais dit qu'on y reviendrait). Kojima étant Kojima, hors de question de jouer la sécurité. The Phantom Pain est probablement le plus expérimental de toute la franchise. Oui, carrément.
Conscient des critiques émises à l'encontre des épisodes 2 et 4, le producteur/scénariste/réalisateur casse littéralement tous les codes de la saga avec ce cinquième volet. Les longues cinématiques se compteront sur les doigts d'une main, et aucune n'atteindra les dix minutes.Au lieu du récit linéaire ponctué de longues plages de séquences explicatives ou démonstratives, nous avons cette-fois ci un puzzle à reconstituer comme bon nous semble, un format épisodique où les éléments de réponses sont disséminées dans simili open-world (une première dans la saga). Rassurez-vous, rien n'est caché, tout est là. Sous vos yeux, à portée de main, mais il faut d'abord l'appréhender. Ce type d'attente ne se comble qu'avec un mélange savamment dosé d'audace, de surprises (certaines retournent le cerveau) et de frustration. Face aux attentes, Kojima ne se soustrait pas, il les comble mais d'une manière qu'on attendait pas.
Bien des choses prennent forme à la fin de ce chapitre, mais c'est VOUS, le joueur, qui allez leur donner une saveur. Au premier plan, vous avez l'expérience de jeu Metal Gear la plus immersive, viscérale et intense proposée jusqu'alors. La réalisation composée de plan-séquences évoquant sans détour le concept d'immersion jamais arrêtée (et Les Fils de l'Homme accessoirement), De l'autre, une remise à zéro des compteurs. Ici, les boss (il y en aura très peu d'ailleurs), ce sont des missions en apparence anodines où il s'agit de débusquer un tireur isolé, mettre à mal un réseau de blindés ou de chars, défendre ou exfiltrer un quidam retenu en otage. La méthode ? À vous de choisir. Vous déciderez donc quelle légende vous voulez être. Paradoxalement, c'est sûrement le volet où Snake est à la fois le plus présent et le plus en retrait, floutant la limite entre lui et son propriétaire, le joueur, dont la maîtrise sur les évènements est elle-même sujette à interprétations. Ce que la structure même du récit et certaines missions vont rendre limpides.
Personnellement, je suis un adepte de la tagline "Tactical, Espionnage, Action" qui sous-titre Metal Gear Solid. Et le fait d'être également un fan des aventures de son collègue Hitman renforce cette approche. Vous pouvez me croire : la difficulté est parfois démentielle, propre à déclencher des crises de rage ou désespoir quand la situation vous échappe à cause d'un geste malheureux, un bruit qui se remarque, ou une seconde de retard pour recharger ou vous planquer. Mais une fois la mission accomplie dans les règles de l'art, quel pied ! On se surprend souvent à retourner au feu rien que pour tenter un autre chemin, histoire de capter un autre rythme, une harmonie dans l'infiltration. Vous aurez bien sûr des petits défis secondaires à remplir dans les missions principales, histoire de débloquer des items et autres surprises, tout ça pour développer votre base.
Oui, c'est également au programme. Voyez-vous, un fief ça se bâtit. Vous devrez donc ramener le maximum de matériaux, de véhicules, de soldats, d'animaux menacés; alimenter les plateformes en fuel, en personnel, en plantes médicinales (bien utiles aussi pour certaines de vos armes), etc....Ce qui accroit la durée de vie, déjà décuplée par rapports aux précédents. Et pour ceux qui aiment quand ça sent la poudre et les balles qui sifflent, aucune inquiétude : vous en aurez largement pour votre argent. Car MGS c'est aussi des phases explosives de tout premier plan où David affronte un Goliath mutant, mécanique ou simplement des bataillons armés jusqu'aux dents.
Mais bon, chez Metal Gear Solid la méthode le plus discrète est très souvent la meilleure, car vos ennemis ont une I.A d'assez bonne qualité
. Ils peuvent monter une embuscade de plusieurs côtés différents pour vous prendre en étau, appelleront la cavalerie aérienne pour vous neutraliser à la sauvage. Il faudra aussi faire très attention aux corps (vivants ou non) que vous laisserez derrière vous. Un garde qui manque, un bidasse qui ne fait pas son rapport, ça peut vite se transformer en situation inextricable pour vous.
Plus vous avancez dans le jeu, plus vos ennemis seront ardus à berner ou à semer, sans parler de gentils tireurs embusqués dont les balles sauront vous faire sursauter à la première salve.Soyez tranquilles : The Phantom Pain a de la ressource pour vous aider à élaborer vos stratégies. La cultissime boîte en carton est là et son rôle a même été développée d'avantage (elle est décidément increvable celle-là!). Mais vous aurez aussi des leurres en pagaille : des casiers de munitions vides, des poupées gonflables (si,si!) et les petits sifflets pour attraper le premier maraud dans vos filets. Et là je reste dans les classiques. Le reste, vous allez le découvrir par vous même.
Pour l'histoire principale, comptez entre 40 et 50 heures, ajoutez 50 voire 100 heures de plus pour les objectifs annexes dont certains vous seront précieux si vous souhaitez débusquer des bouts de vérités pour compléter la fresque MGS. Manœuvrer Snake n'a jamais été aussi plaisant, tant le gameplay est riche une fois qu'on le maîtrise.
Une fois l'histoire terminée, vous aurez également la liberté de recommencer certaines missions, certains défis dans l'ordre que vous le désirez. Le jeu se chargera également de vous mettre au défi d'en remplir d'autres dans des conditions extrêmes (sans armes, sans déclencher d'alarmes,...). Le mot juste, c'est jubilation. Pour autant, dans le mystère dont se drape The Phantom Pain, ce sera un vrai ballet d'émotions mélangées. L'histoire est rude, toujours en prise avec l'Histoire et ses recoins parfois aux limites de l'insoutenable (guerre d'Afghanistan, enfants-soldats, expériences génétiques,...). Même les moments de tendresse ou de joie vont être largement mis à mal par la rudesse des épreuves, twists ou évidemment la réalisation de cette dernière étape dans la saga. Kojima termine son œuvre par une révérence à son joueur qui donne un sens encore plus fort à la dernière séquence. Simultanément un accomplissement et un déchirement à voir partir Venom Snake dans l'ombre, face à son destin et à l'Histoire déjà écrite en 1998 (et même avant, si on s'en tient aux premiers Metal Gear sortis sur MSX).
Bon comme défauts, il faut avouer que le conflit Konami/Kojima a laissé des traces sur certains détails (certaines épisodes non terminés) et persiste un léger sentiment de manque par rapport à certains personnages secondaires. Et quelques petits (mais alors riquiquis) couacs concernant des minis intéractions avec le décor parfois étranges.
Mais franchement, cela tient vraiment du pinaillage car tout ce que je cherchais, je l'ai bien trouvé avec The Phantom Pain, et même plus encore.