Mirror's Edge
7.1
Mirror's Edge

Jeu de DICE et Electronic Arts (2008PC)

Miroir, mon beau miroir, dis moi qui est la plus rapide?

Je faisais parti des (très) rares joueurs à avoir acheter Mirror's Edge plein tarif à l'époque de sa sortie (déjà quinze ans aujourd'hui, le temps file purée...). Et autant dire que malgré l'excellence de son concept, déjà remarquable en son temps, la déception avait tout de même été de mise pour cette courte aventure terminée en un après midi. Les raisons sont multiples mais je parviens aujourd'hui à identifier plus efficacement les véritables écueils qui entachent le bel écrin que ce Mirror's Edge est censé nous proposer :


* En premier lieu, la regrettable insistance du jeu à vouloir confiner le joueur durant la deuxième moitié de l'aventure, au risque de ralentir considérablement le rythme de l'action proposée. Peut être s'agissait-il d'un effort de diversité de la part des développeurs mais dans le cas présent, Mirror's Edge semble nous proposer (et nous imposer) l'anti-thèse de sa formule durant ses dernières péripéties en ne parvenant que très moyennement à proposer une alternance entre des séquences de fuite toujours haletantes et d'inutiles déambulations dans des niveaux restreints ou plus labyrinthiques où la progression se soit ainsi souvent hasardeuse, malmenant l'exceptionnel sentiment de fluidité que le jeu était pourtant parvenu à façonner durant ses premières heures. Difficile aussi de ne pas déceler la tentation d'un jeu plus orienté action avec un Level Design qui semble contredire en permanence le principal message véhiculé durant le Tutoriel du jeu : "Mieux vaut toujours fuir les affrontements!"; oui mais non en fait, le niveau du paquebot est toujours une ignoble purge à jouer même en 2023 et un non sens total par rapport à la démarche du jeu tandis que les derniers étages à gravir lors de l'affrontement final nous contraignent bel et bien à faire parler les poings ou la poudre; de quoi admirer les exceptionnelles animations de désarmement pour l'époque mais soupirer face à cette emphase malvenue sur des combats déjà peu glorieux (bien avant que Catalyst décide tout aussi connement de s'y engouffrer). La courte durée de vie du titre n'est finalement pas un problème en soit que son inhabilité à maintenir une alchimie cohérente pendant l'intégralité de ses brèves péripéties.


* Un problème plus épineux m'est également apparu durant cette redécouverte : l'impossibilité pour ma part de croire vraiment à cet univers qui nous est présenté. Entendons nous bien; des dystopies Orwelliennes de cet acabit, on en a bouffé des tonnes dans le jeu vidéo et il n'y a pas vraiment à se forcer pour croire à une telle alternative de notre monde; le soucis étant que Mirror's Edge fait très peu d'efforts pour nous impliquer réellement dans cette fiction et nous faire adhérer à son propos. Passe encore que le scénario en lui même soit inintéressant et blindé de raccourcis assez foireux (car il l'est malheureusement) mais le joueur n'a surtout jamais vraiment l'opportunité de voir cet univers évoluer au quotidien, l'action se déroulant toujours dans des toits et des ruelles désespérément vides hormis les policiers qui tireront à vue au moindre signe de notre présence. Il manque clairement une scène d'introduction à la Half Life 2 pour nous immerger durant quelques instants au niveau de la rue, côtoyer brièvement tous ces pauvres hères qui suivent le mouvement par crainte de représailles ou constater par soit même à quel point l'information est censée être verrouillée (la raison même de notre existence en ces lieux, même si le jeu semble l'oublier en chemin). Et ce n'est pas le background expédié en trois artworks de notre héroine qui va atténuer ce sentiment de déconnexion avec le réel; de plus, le jeu se tire involontairement une balle dans le pied avec l'un de ses plus bels atouts : sa direction artistique épurée de toute crasse et à la propreté presque aveuglante. Si cette patte graphique fait encore aujourd'hui la renommée du titre, elle implique malheureusement une contrepartie inattendue : l'absence presque totale de narration environnementale qui aurait pu étoffer quelque peu l'univers dépeint. Ce ne sont pourtant pas les endroits oubliés qui manquent dans l'aventure, les souterrains abandonnés ou les conduits de ventilation mais rien; à aucun moment, le jeu ne va vraiment fluctuer son esthétique avec la présence de tags dénonciateurs ou de mises en garde aux autres messagers, ces fameux cris de désespoir qui avaient traumatisés plus d'un joueur s'étant aventuré au delà des limites supposés du premier Portal. La seule alternative proposée va s'avérer être sa composante la moins reluisante: ces honteuses séquences animées dont la qualité oscille entre les cinématiques des Zelda CDI et la saison 3 de Galactik Football, des scènes censées nous dévoiler à moindre cout le quotidien de Faith en dehors des niveaux traditionnels et qui s'évertuent surtout à briser l'immersion dans la peau de l'héroine en vue subjective. Un autre gâchis pour un univers qui méritait certainement un meilleur traitement et une nuance à la portée de ses concepteurs; il n'est malheureusement en définitive qu'une belle carte postale quelque peu factice.


Alors pourquoi revenir encore vers Mirror's Edge en 2023 avec tous ces écueils encombrants dans sa proposition créative? Hé bien, parce que le cœur du titre, lui, demeure exceptionnel et son éclat a étonnamment bien subsisté à l'épreuve du temps : c'est bien simple, aucun jeu n'est encore parvenu à réitérer la même saveur que les premières heures de ce Mirror's Edge (avant que le jeu lui même ne s'égare en cours de route), ces moments de grâce où la progression est d'une étonnante fluidité (merci le SensUrbain mais pas que), où on se félicite de ses propres cabrioles comme si on devenait un SpeedRunner à l'échelle du jeu, où les séquences de fuite octroient une adrénaline encore inégalée (mention spéciale au dernier archétype d'ennemi, hélas bien peu utilisé dans le cadre des niveaux ultérieurs à son apparition) et où le jeu propose un contraste étonnant entre la beauté de ses environnements qui incitent à la contemplation et l'oppression constante imposée à la messagère, sans cesse contrainte de fuir sous peine d'être littéralement abattue par le pouvoir en place. Qu'il s'agisse de la luminosité aveuglante lorsqu'on surgit brusquement à l'extérieur, de la respiration saccadée de Faith, du Sound Design qui nous suggère la présence de cette vie en contrebas qu'on ne côtoiera jamais, de ce mouvement de balancier en courant, des mains qui se plaquent contre les murs en s'en approchant ou même de la lisibilité constante de nos mouvements en dépit du point de vue adopté, les concepteurs de Dice avaient réellement réussis un tour de force en 2008 et il en devient d'autant plus regrettable qu'ils aient ratés à peu près tout le reste alors que le plus dur était déjà fait. Pour une fois, je vais même me la jouer un peu PC MasterRace mais redécouvrir ce titre en 2023 au clavier/souris avec un casque et les options graphiques à fond, c'était une petite claque et l'expérience en était clairement magnifiée.


Tel est le contraste qui continue de hanter Mirror's Edge : un gameplay de Parkour exceptionnel au sein d'un jeu conventionnel, un titre qui affirme une véritable ambition créative mais peine malheureusement à l'assumer continuellement, comme la présence de ces collectibles risibles qui nous demandent de nous arrêter au cœur même de l'action pour cocher une énième case que le jeu n'avait pas besoin de remplir.


Une fois encore, à vous de considérer si le verre est à moitié plein ou à moitié vide dans le cas présent; on peut s'agacer des limites du jeu comme le féliciter que son ressenti demeure toujours aussi captivant quand le titre assume enfin ses moments d’allégresse. Et j'ai beau râler encore et encore pendant les derniers niveaux, il ne fait pourtant aucun doute que je recommencerais un jour Mirror's Edge pour la énième fois tant qu'un héritier spirituel n'aura pas fait son apparition au sein du médium interactif, ce dont même sa suite inespérée s'est avérée incapable en se plantant dans les grandes largeurs.


Bref un jeu imparfait mais toujours unique à l'heure qu'il est.


Mais putain, ce niveau dans le paquebot quand même... :p

Créée

le 26 nov. 2023

Critique lue 18 fois

2 j'aime

Leon9000

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