Entre Monster Hunter et moi, tout n'a pas toujours été idyllique, loin de là.
Découvert affalé sur un canap' à l'occasion d'un essorage déraisonnable de Devil May Cry 3 et son système de combat extraordinaire et jouissif, oser une session de démonstration sur le premier Monster Hunter d'une lignée (nous allions le découvrir) incroyablement fertile avait tout d'une séance d'acupuncture avec des cures dents. Car non content d'être extrêmement laid et de bénéficier d'une interface aussi déconcertante qu'un poste de pilotage d'avion de ligne, la lourdeur et l'aridité du jeu souffrait forcément de la comparaison avec l'agilité de Dante et sa prise en main immédiatement jouissive.
Je ne révélerai pas non plus mes remarques acerbes à l'égard d'épisodes portables qui contrevenaient ni plus ni moins aux principes fondamentaux de la déclaration universelles des droits de l'homme.
Non, pour que je trempe un orteil dans Monster Hunter il aura fallu attendre l'assimilation de son système de combat rigide par un petit jeu de niche qui fit néanmoins grand bruit : Demon's Souls. Mon basculement irréversible dans la frénésie de la chasse s'est finalement opéré sur un épisode tardif, le bien nommé 4 Ultimate. Et il faut reconnaître que ce revirement inattendu avait ce je-ne-sais quoi de spectaculaire. Le pauvre pécéiste forcené que j'étais devenait alors hypnotisé par une portable rachitique à l'ergonomie douteuse (ce second stick de la honte) et une résolution d'écran qui ferait passer un Tamagochi pour pour un écran 4K, c'était quelque chose à voir, je vous le garantis.
Et moi d'enchaîner les heures de chasse, à plusieurs (sans microphone, faut-il le rappeler) ou en solitaire, apprivoisant petit à petit un jeu dont la richesse n'égale que son traditionalisme profondément archaïque.
Tout cette longue introduction pour vous amener à ce que je pense du dernier épisode en date, qui a eu le bon goût de supprimer numéros et superlatifs, comme pour mieux hurler à la face du monde que ce nouvel opus est un véritable nouveau départ. Nouveau départ que l'on peut qualifier, six mois après une première version console, de particulièrement réussi si l'on considère ses ventes internationales qui dépassaient il y a un mois les 8.3 millions d'exemplaires. C'est simple, Capcom réussit, avec ce reboot d'une vieille franchise jusque là confidentielle en occident et habituellement portée par le marché des consoles portables, à atteindre non seulement un volume de ventes jusque là inédit pour l'entreprise, mais aussi de vendre des consoles de salon au Japon et toucher de plein fouet le marché occidental. En beaucoup moins de caractères, c'est ce qui s'appelle un coup de maître.
Et quoi de plus normal une fois la manette (ou le clavier et la souris, on y reviendra) en mains ? Inutile de paraphraser des tests ou des avis d'influenceurs plus à l'aise pour pousser des petits cris suraigus que faire preuve d'un minimum d'esprit critique : le raz de marée Monster Hunter World a profité d'une réception critique unanime et dithyrambique, à mon humble avis, parfaitement méritée.
Pour un habitué qui vient des opus 3DS, goûter à l'épisode World au travers d'une beta aura été une des plus puissante gifle reçue en 2018... et source d'une grande frustration tant le portage PC (pourtant sorti avant les premières estimations) se sera fait attendre. Car le bon générationnel entre ce nouveau départ et ses respectables ancêtres est véritablement impressionnant. En faisant le choix de conserver le cœur de la série et ses nombreux points forts tout en rénovant en profondeur tous les à-côtés particulièrement vieillots et agaçants, MHW trouve un équilibre beaucoup plus porté sur le fun et les affrontements en allégeant le fardeau habituellement porté par le chasseur diligent. Révolutionner sans trahir semble particulièrement adapté pour caractériser une exécution aussi soignée.
En améliorant l'ergonomie à tous les niveaux, en commençant par les menus pour finir par les mécaniques de récoltes diverses, World veut que son joueur se concentre pleinement sur la chasse et la confection de builds lunaires ultra-pétés.
Le système de combat, véritable institution demeure grosso modo quasi-identique, à savoir extrêmement riche, (légèrement moins) rigide, toujours aussi exigeant et délivre d'âpres combats, propices à l'émergence de véritables morceaux de bravoure et autres moments d'anthologie.
Quant à traque, reposant désormais sur une phase de pistage préalable, elle propose une approche beaucoup plus intuitive qu'un apprentissage par cœur des zones à visiter et le spam sauvage de marqueurs. Pour ne rien gâcher, à force de rencontrer un même monstre, notre niveau de connaissance de la bestiole progresse, permettant de consigner quantité d'informations capitales dans un très utile Compendium.
Enfin, la course au loot, moteur essentiel de la motivation du joueur est toujours un élément fondamental du jeu, offrant des heures de calculs tarabiscotés pour perfectionner une idée d'architecture de build, parmi la multitude de possibilités offerte par une garde robe et un arsenal pléthorique.
À ceux qui s’inquiéteraient de voir leur licence se compromettre pour s'adonner à un prosélytisme de bas étage, soyez rassurés : je reste persuadé que la grande majorité des personnes ayant acheté le jeu ne poussera pas l'aventure jusqu'au end game. Ouf, vous pouvez rester dans votre attitude élitiste, je ne juge pas.
Car même rendu plus accessible et ergonomique, le jeu demeure toujours particulièrement aride, ce malgré un effort évident de scénarisation et l'envie d'accompagner le néophyte en le tenant par la main. Les affrontements sont toujours aussi difficiles grâce à un excellent équilibrage et grand nombre de subtilités ne sont pas ou très peu explicitées, au point de ne pas rendre dispensable la consultation régulière d'un wiki pour qui fait preuve d'un soupçon de curiosité. World demeure un Monster Hunter pur jus.
Mais le changement le plus perceptible, et non des moindres, c'est surtout que Monster Hunter World met enfin un pied dans le 21° siècle avec un profond ravalement de façade (supporté par l'antique MT Framework) et dépoussière aussi son gameplay avec la disparition pure et simple de la segmentation d'une zone de jeu. Place à de grandes zones magnifiques dans lesquelles évoluer sans temps de chargement intempestifs est un véritable plaisir. On grimpe, saute, glisse et se balance avec agilité dans un écosystème dense et particulièrement cohérent, tombant au détour d'une clairière paisible en plein milieu d'une guerre de territoire brutale entre une Rathian et un Anjanath. Le level design déborde de chemins de traverse et bénéficie d'une verticalité véritablement mise à profit par les game designers, pour le plus grand plaisir des joueurs et de leurs mirettes jusqu'ici agressées par des aplats de textures grossières et une profondeur de champ d'un autre temps.
Les animations ne sont d'ailleurs pas en reste et voir tout ce beau petit monde déborder de vie, chacun avec sa démarche caractéristique et de vrais combats organiques entre grosses bébêtes est un plaisir considérable, même avec une bonne grosse centaine d'heures de chasse dans les pattes. Parmi la foultitude de petites perles dont il faut savoir se délecter, voir un Jyuratodus gluant se prendre pour un constrictor en s'enroulant autour d'un Barroth, que la fureur a fait s'éloigner une rivière trop loin de son habitat, est un spectacle qui ferait s'écarquiller les yeux et trépigner un chasseur trop habitué aux rencontres rigides des précédents jeux de la série.
Enfin, la bande son du jeu accompagne merveilleusement bien l'aventure, tant au niveau des bruitages et cris de monstres qu'au niveau des compositions qui savent renforcer la tension d'un combat épique contre un dragon ancien alpha.
Pour contrebalancer ce tableau jusqu'à présent trop idyllique, laissez-moi d'abord prendre une profonde inspiration, car le jeu, aussi excellent soit-il, n'est pas dépourvu de tares.
Le principal problème de Monster Hunter World réside pour moi dans la modestie de son bestiaire. On peut aisément imaginer que le soin maniaque apporté à la transposition de chacun des membre de cette belle petite famille dans le monde de World est particulièrement chronophage, ce qui conduit malheureusement le chasseur à avoir fait le tour du bestiaire au bout d'une petite centaine d'heure de jeux, là où l'avant dernier opus en date, Generation Ultimate, propose de se fritter contre trois fois plus de streums. En résulte un "high" endgame fortement répétitif où l'on se retrouve à farmer une poignée de monstres tempered pour récupérer des items au taux de drop ridiculement faible.
Ajoutons à ça une trame principale, tutoriel longuet mais scénarisé, au mieux inintéressante, au pire irritante quand il est question de supporter les gémissement de l'assistante, personnage fortement stéréotypé de gourdasse sympathique, dont le curseur "tête à claques" est à mon goût un poil trop généreux ou de se farcir les ignobles quêtes du Zorah Magdaros.
Pour ne rien arranger, le portage PC n'est pas exempt de tares additionnelles.
Si au lancement l'architecture online du jeu a pu engendrer des sessions particulièrement éprouvantes et instables, sachez néanmoins que les problèmes de déconnexions intempestives semblent désormais faire partie de l'histoire ancienne.
Les véritables griefs que je conserve à l'égard de ce portage demeurent plutôt au niveau de l'optimisation graphique et la consommation étonnamment goulue de ressources pour ce qu'il affiche. Attention, je ne dis pas que le jeu n'est pas splendide, mais techniquement on est quand même très loin d'une prouesse à la Witcher 3 en son temps, ce qui rend cette maltraitance du couple CPU/GPU plutôt étonnante.
Machine de bourgeois oblige, espérons que Capcom prévoie également une mise à disposition de packs de textures de meilleure qualité, histoire de dégager certains aplats lowrez plutôt inesthétiques.
Que cela ne vous freine pas outre mesure si vous êtes encore hésitant : MHW est un jeu beau, profond et exigeant qu'il serait bête de bouder, surtout maintenant que son online semble définitivement réparé. Il constitue sans aucun doute la porte d'entrée la plus accessible vers une licence dont l'austérité caractéristique a souvent pu décourager les curieux hésitants. Et quelle porte d'entrée bon sang ! En se débarrassant sans regret de la plupart de ses tares héréditaires, la licence a enfin la carrure pour devenir une référence de premier plan.
Espérons que le support de la version PC soit aussi efficace pour la partie graphique que ce qu'il l'a été pour l'architecture online, et que l'ajout régulier de contenu supplémentaire parvienne à maintenir la flamme, plusieurs centaines d'heures plus tard.
Quoi qu'il en soit, Monster Hunter World est d'ores et déjà l'un de mes plus gros coup de cœur de ces dernières années : rarement un jeu ne m'a autant accaparé en si peu de temps.