Autant l'admettre, Mother Russia Bleeds n'est pas le titre le plus original de l'histoire du jeu vidéo. Ce n'est pas une insulte, d'ailleurs. La plupart des titres vendus sur les étals métaphoriques des systèmes de téléchargement modernes portent la marque souvent indélébile de leurs inspirations. Faudra s'en accommoder. Inspiré par diverses influences aisées à reconnaître – et que l'on pourrait aisément lister comme un mélange savant de mécanismes issus de Splatterhouse 3, du meilleur de la série Streets of Rage et de l'esthétique que le jeu indé a hérité du succès d'Hotline Miami – le titre n'est cependant pas dépourvu d'une étrange forme de personnalité. Son histoire, futée pour un titre de ce genre, vous met dans la peau de diverses personnes issus d'un peuple dont l'appellation la plus correcte me semble être d'avancer qu'ils sont des Gens du Voyage... ce qui ne les empêche cependant pas d'avoir été parqués par les autorités soviétiques dans l'un de ces nombreux bidonvilles pour lesquels qui ont fait le succès de l'U.R.S.S. (N'oubliez pas – et cela quoi que vous en disent les barbus à lunettes passés professionnels de l'endoctrinement des masses crédules par la puissance du crowdfunding clientéliste– le communisme est avant tout un système dictatorial dont le fonctionnement nécessite l'élimination constante et systématique de ceux et celles qui sont susceptibles de souligner les problèmes inhérents de ce type de servitude.) Méprisés par le système, nos héros du peuple n'ont qu'un seul talent sur lequel compter pour triompher de la tyrannie : la violence ! Ce qui, par chance, est pile le type d'arsenal nécessaire à survivre dans un Beat 'em Up.
Vous avez à votre disposition tous les archétypes traditionnels de la discipline : un grand tovarich aux coups lents et brutaux, un gars en survet' aux statistiques équilibrées, un barbu sauvage mais chauve et même une donzelle dotée d'une célérité phénoménale mais d'un tout petit peu moins de puissance de frappe. Jusqu'ici... pas de surprise. Vous avez très certainement déjà croisés ces personnages sous d'autre noms dans les titres qui vous auront donné envie de vous lancer dans celui-ci. C'est le but, d'ailleurs, car le secret que l'on a oublié de vous inculquer concernant ce type d'exercice reste que l'on vise une forme de familiarité instinctive. Les spécialistes du Beat 'em Up – dont j'ai l'honneur de faire partie, dit-il en regardant au loin d'un air inspiré – sauront instinctivement vous dire si le feeling de l'un de ces jeux tire du côté de l'un ou l'autre classique du genre. Les déplacements sont trop lents et les frappes trop molles ? Quelqu'un s'est foiré en recopiant Double Dragon. Les ennemis bougent trop vite et leurs frappes sont trop puissantes ? Carlos se sera trompé d'une décimale en tentant de recréer Final Fight. La musique fait shpouin shpouin shpouin shpouin shpouin et les graphismes colorés par un light-show épileptique donnent envie de vomir à toute personne susceptible d'y survivre ? C'est assez vague, tiens, mais la description me laisse penser qu'il est sans-doute question d'un mauvais clone de Streets of Rage. J'en passe et des meilleures. Chaque variable, aussi infime soit-elle, est archivée dans le cerveau du spécialiste tel un catalogue du domaine du possible.
Or – et c'est très certainement le plus gros compliment qu'il me soit possible de faire à un titre moderne inspiré des classiques qui m'ont donné envie de consacrer une portion de ma vie au jeu vidéo – la sensation tactile d'y jouer est parfaitement conforme à mes attentes d'homme ayant joué à Final Fight sur rétroprojecteur géant dans les salles d'arcade des nineties. (J'aurais certes préféré que ces sensations soient plus proches d'un titre comme King of the Dragons... mais bon, c'est un trip considérablement plus spécifique et j'en suis pleinement conscient.) J'imagine que l'on pourrait dire qu'un titre comme Mother Russia Bleeds est réussi précisément car il se limite à rendre hommage aux classiques d'un genre pour lequel il a un profond respect. Ce qui n'est pas entièrement faux, d'ailleurs, il lui manque peut-être une invention majeure pour devenir à son tour l'un des classiques de la discipline. (Quoique... son système de power-ups qui permet de stocker/donner des points de vie n'est vraiment pas loin de suffire à lui permettre de prétendre à ce type de qualifications.) Mais, en ce qui me concerne, voir une première tentative dans le domaine de la création vidéoludique tomber aussi juste dans sa tentative de ramener à la vie l'un des grands genres léthargiques du jeu vidéo... cela mérite le plus grand respect. Et cela me donne envie de voir ce dont ce studio – Le Cartel, si ma mémoire ne me fait pas défaut – est capable dans le futur.