Grmbl. Comment ne peut-on pas être frustré face à ce jeu ? Comment ne pas s'énerver, quand face à toutes ces bonnes idées, telles que le système de démembrement ou ces décors destructibles, face à cette direction artistique maîtrisée (même si les monstres ont des gueules étranges comme c'est pas permis) ou cette galerie de personnages charismatiques, les développeurs dégradent leur jeu en ne prenant même pas la peine de le tester convenablement ?
Quand bien même le jeu vidéo n'évoluerait pas toujours dans le bon sens, il y a quand même des petits trucs de game design que l'on a appris depuis vingt ans. Parmi eux, le fait qu'il y ait d'autres moyens plus simple pour augmenter la difficulté de son jeu que de faire spawner des ennemis increvables en masse ; le fait d'assurer une ligne de vision bien précise au joueur pour éviter le syndrome de Benny Hill où celui-ci passerait son temps à tourner en rond pour chercher les ennemis ; le fait d'assurer un certain équilibrage dans l'arsenal ; ou encore le fait de bien montrer au joueur tout ce qu'il est capable de faire dès le début du jeu (et ne pas lui enseigner trois missions trop tard par exemple).
Voilà pour les plus gros défauts du jeu. Il y a en d'autres hein, par exemple la maniabilité est à certains moments très rigide, notamment au niveau des sauts et de cet infâme système de lock à l'épée, et la physique a parfois ses accès comiques, ce qui peut être rapidement énervant quand notre tête part à l'autre bout de la pièce simplement en se cognant dans une porte. Malgré tout, Nerverdead est un jeu attachant. Répétitif et énervant, mais attachant malgré tout. Parce que même si l'on passe le jeu à faire plus ou moins la même chose (vider une salle de tous ses ennemis, passer à la suivante, résoudre une micro-énigme, ad lib.), on a tout de même envie de continuer pour connaître la suite de l'histoire, à condition de jouer par petites sessions (pour éviter l'écoeurement) bien entendu. Parce qu'il y a des niveaux vraiment sympathiques, et d'autres au contraire vraiment nases où l'on passe son temps à se cogner contre des éléments du décor (au point de se remémorer avec nostalgie cette grande époque où les jeux de plates-formes 3D pourris pullulaient sur PlayStation), mais que l'on est toujours récompensé d'une manière ou d'une autre à la fin d'un stage (combat plutôt fun contre un boss, petite cinématique bien rigolote).
En fait, contrairement à beaucoup de ses congénères, Neverdead a le mérite d'afficher une certaine ambition. Ce ne sera certainement pas le jeu de l'année (il ne vise pas cette place de toute façon), mais on ne peut que reconnaître qu'il y a eu un certaine travail fourni. Le moteur de jeu est propre, fluide, la direction artistique est bien mise en valeur, les musiques sont bonnes, le scénario et les personnages sont attachants (même s'ils sont repris dans les grandes lignes de Hellboy, on a vu pire comme référence, vous en conviendrez), on aurait juste aimé que les développeurs se penchent davantage sur l'essence-même du plaisir de jeu, à savoir le gameplay. Or ici non seulement ce n'est pas brillant, mais c'est même plutôt feignant par moments.
Outre la maniabilité laissant à penser que les petits gars de chez Rebellion n'ont pas vraiment testé leur jeu, c'est surtout sur un mauvais équilibrage et des choix de game design douteux que Neverdead se démarque. Le système de démembrement n'est guère utilisé que pour un ou deux passages intéressants, faisant office de barre de vie du pauvre le reste du temps (et oui, le héros étant immortel, il fallait bien trouver quelque chose pour inclure un minimum de challenge). L'épée est bien trop puissante par rapport au reste de l'arsenal, encourageant dès les premières heures à ranger ses flingues et aller systématiquement au contact. Le système de destruction des décors tient du gimmick, plutôt bien fichu dans l'ensemble, il n'est réellement intéressant qu'au cours d'une poignée de niveaux, et trop bordélique par ailleurs (où l'on se retrouvera, souvent par hasard, à démonter la moitié d'une pièce suite à un coup d'épée mal placé ou une balle perdue sur l'une des centaines bonbonnes de gaz parsemant les niveaux) pour être utilisé efficacement. Pis encore, le placement pas vraiment optimal de la caméra et les divers bugs de collision font que l'ont se retrouvera rapidement coincé dans le décor ou assailli par diverses bestioles sans avoir la possibilité de se dégager.
Prenons deux exemples idiots : le premier, plus personnel, étant le fait d'avoir été obligé de passer en mode facile afin d'arrêter de pester contre ces ennemis qui sortent de partout et me bouffent un bras toutes les deux secondes (putain, je l'utilisais pour tirer, connard). Outre la blessure fatale que cela a infligé à mon ego, c'est surtout le parfait exemple d'une difficulté calibrée "à l'ancienne" (le mode facile correspond au mode standard, et chaque palier supérieur apporte une brouette d'ennemis supplémentaires plus résistants), du temps où les game designers avaient d'autres considérations plus importantes en tête. Sauf que bon, on est en 2012, hein. L'autre exemple, corollaire du premier, c'est une petite compétence, à débloquer durant les premières heures de jeu, affectueusement surnommée "Effet Zack Snyder" par mes soins, qui se propose de ralentir le temps dès que vous faites face à un danger (c'est-à-dire tout le temps, donc). Moi personnellement je trouve cela très drôle, car outre l'impression de jouer à Max Payne avec le mode bullet time activé en permanence, la mention en lettres capitales HAUTEMENT RECOMMANDÉ dans la description de la compétence montre bien que les développeurs ne se sont rendus compte qu'après coup du bordel auquel ils ont donné vie, équivalent à une partie de DoDonPachi avec un vaisseau invisible.
Des exemples débiles et hautement subjectifs, j'en conviens, mais qui m'ont particulièrement agacé dans le cadre d'un jeu "moderne". Malgré tout, le titre réussit le tour de force de ne pas être totalement raté, malgré ces défauts qui seraient rédhibitoires dans d'autres cas, grâce à une véritable personnalité que ses concepteurs ont su lui insuffler. On aurait juste espéré que le travail ne s'arrête pas en si bon chemin. En l'état, s'il est difficile de recommander le jeu, il serait tout de même dommage de passer à côté, à prix doux éventuellement. Car une fois passées les premières heures plutôt frustrantes, les défauts s'estompent (persistance psychique), sans jamais vraiment s'effacer, et le plaisir pointe timidement le bout de son nez. Finalement, le débat portera sur ce que l'on attend d'un jeu vidéo : du plaisir de jeu immédiat et sans frustration, ou une expérience plus exigeante, nécessitant sans doute un plus grand investissement de la part du joueur pour passer outre ses défauts. Gameplay contre design. Fond contre forme. NeverDead fait clairement partie de cette seconde catégorie, à vous de voir où vous vous placez sur la balance. Entre les deux Mon Colonel.