Il y a toujours eu différentes manières d'aborder le RPG Japonais. Loin derrière la noirceur et le machiavélisme des storyboards de leurs concurrents Anglais ou Américains, à l'instar d'un Baldur's Gate ou d'un Fable par exemple, le RPG Japonais est plus dépaysant, plus "Kawaii" (mignon) comme on dit. Il est aussi dès le départ peu accessible, au regard de son gameplay très dense, parfois complexe à prendre en main, d’une histoire souvent horriblement niaise et surtout de son manque de dynamisme patent. Mais le regarder d’un oeil condescendant serait une erreur de fond, car ceux qui apprécient les RPG le font pour l’expérience de jeu profonde, technique, et complète proposée au joueur. Si j’avais d'ailleurs détesté les derniers opus de Square sur PS3 et regretté que les autres studios ne proposent plus grand chose de nouveau (où sont les Xenogears, Genso Suikoden, Valkyria Profile, Wild Arms ou Baten Kaitos ?) j’ai trouvé dans Ni No Kuni un incroyable condensé de ce que j'ai adoré il y a quelques années, faisant remonter à la surface une superbe bouffée de nostalgie, mais pointant surtout une excellente expérience de jeu.
Car voilà, le RPG Japonais se vit avant tout pour son Gameplay et pour son ambiance, auxquels musiques et graphismes jouent un rôle prépondérant. Ces deux leviers en fondent l'ADN et ont en plus une patte immédiatement identifiable depuis les premiers RPG sur Nes.
Tout y est fait pour divertir le joueur et l’immerger dans un univers très typé, et également ultra balisé. Les combats statiques au tour par tour, la déferlante de musiques, de décors différents, la possibilité de faire évoluer les personnages et les accessoires, les déplacements libres sur la carte, les quêtes annexes. Tout cela forme un tout indissociable, que l’amateur s’attend à retrouver implicitement dans chaque opus, ne tolérant que très moyennement les écarts; à moins d’en faire une marque de fabrique, comme ce fut le cas avec les combats dynamiques de Star Ocean ou l'abandon des cartes ouvertes dans les FF. Dans le détail, le background est ainsi souvent tourné vers de l'heroïc Fantasy, mêlant concrètement le médiéval et l'ésotérisme Asiatique dans un mélange des genres improbable mais extrêmement envoûtant.On retrouve également dans chaque grand jeu une pléiade de références mythologiques ou philosophiques, comme les théories de Kant ou de Nietzsche dans Xenagears et Xenosaga, Sephiroth dans Final Fantasy ou les Valkyries dans Valkyria Profile. Sans compter sur les références bouddhistes ou Shintô d’emblée inaccessible pour l’Européen moyen, mais qui donnent un autre regard à des titres comme Genso Suikoden 2 ou 3.
Le RPG Japonais est UNIQUE en son genre, et un joueur attentif trouvera donc souvent plusieurs niveaux de lecture dans les histoires d’un RPG, enfin, pour les plus attendus en tout cas. Il ne faut donc JAMAIS se limiter à l’histoire de base, souvent d’une stupidité à toute épreuve, mais essayer de rechercher un peu plus loin. Celle-ci s’imbrique d'ailleurs souvent dans une ambiance qui va monter crescendo et finir par vous prendre par les tripes, allant jusqu'à vous hanter des années plus tard. Et vous vous souviendrez en prime de votre expérience de jeu, vous rappelant d'un Boss spécialement dur à défourrailler ou d'un Gameplay original, ce qui est suffisamment rare pour être cité. Tiens, au hasard, je citerais les materias de Final Fantasy VII... Mais je me souviens aussi parfaitement des enchaînements ou des combats de méchas dans Xenogears, des techniques de combats dans Final Fantasy VI, ou de la création des plats et des compétences dans Star Ocean…
La liste est longue.
Vous l’aurez compris, leurs gameplay extrêmement étudiés permettent toujours une grande technicité ainsi qu'une infinité d'approches pour chaque partie, en fonction de votre vécu et de votre sensibilité. Le joueur est donc placé au centre d'un véritable univers, développé avec un soin obsessionnel et fonctionnant en vase clos, vous accaparant totalement dès l'écran titre. Mais le même joueur pourra aussi choisir de traîner en route, en faisant grimper patiemment les niveaux et en recherchant l'achèvement des quêtes annexes; ou en se conduisant comme un joueur de base et finir le jeu rapidement. Il ratera malheureusement l'essentiel, et c'est pour intéresser ce joueur là, Casual Gamer ou fan de FPS, que de grands studio comme Square font évoluer leur série (FF 13 et 13-2) en la vidant de toute son âme, comme le plus vulgaire jeu à licence triple A. C'est vraiment terrible d'avoir à comparer la classe d'un Final Fantasy XII avec cette poubelle de FF XIII. Il ne reste plus rien de ce qui fait l'intérêt d'un RPG dans ce genre de titre. Se balader sur une carte fléchée en fluo en combattant des monstres plantés comme des courgettes dans le décors n'a rien de bien intéressant si on n'en retire pas quelques items d'envergures ou éléments clés pour une quête annexe complexe, ou à défaut, ne soyons pas exigeant, pour vous intéresser à l'histoire principale...
Alors quand on voit la réaction des gens qui n'ont pas connu les premiers épisodes et surtout à quel point ils ont été pollués par la presse spécialisée, ça fait mal. Parce que voir à quel point la presse spécialisée est devenue partisane et complaisante en parlant de ce genre de purges achève de me faire dégueuler. Mais vous reprendrez bien quelques Doritos ?
J'avais donc perdu foi dans le genre jusqu'à ce que je joue à Ni No Kuni sur PS3, parce que dès les premières minutes, c'est la claque. Fini les graphismes froids et les animations dégueulasses à la Transformers filmées par un épileptique. Ici c'est du fin main ma p'tite Dame, on colorie avec soin, on ANIME, DESSINE. Dehors les acharnés de la caméras, ici on veut du plan fixe, du traveling maîtrisé, de l'animation de qualité.
Et puis on ne veut pas vous agresser les oreilles avec de la musique d'ascenseur.
Bref, on a mis les petits plats dans les grands.
On retrouve de nouveau la saveur des grands jours, avec les compositions de Joe Hisaichi, écrasant toute contestation possible pour la constance de leur qualité. Chaque titre est un bonheur, écoutez "One Fine Morning" à l'occasion, "Ni No Kuni Dominion of The Dark Jiin", "Mummy's Tummy" ou "World Map", juste comme ça, vous m'en direz des nouvelles.
On se retrouve donc dans la veine des Nobuo Uematsu, d’Hiroki Kikuta, d’Hitoshi Sakimoto ou de Masaharu Iwata à la grande époque, et ce, dès le départ.
Mais il y a autre chose qui se dégage du jeu. Dès l’écran titre, on sent que tout est fait pour capter les déçus de l’évolution des RPG Nippons.
Ni No Kuni est en fait un clin d’oeil permanent à cette génération de joueurs qui a grandi avec eux, mais qui ont aussi quelques accointances avec les Mangas et films d’animations.
On retrouve de tout, du Voyage de Chiiro à Star Wars (Le retour du Jedi), en passant par Star Ocean, Final Fantasy VI, Final Fantasy Tactics ou encore Secret of Mana, pour son allusion au Flammy.
Mais là où c’est le plus fort, c’est qu’on ne ressent à aucun moment ces références comme une vulgaire repompe. Tout s’imbrique parfaitement dans un univers cohérent et presque plus vaste que le jeu lui même, car il prend les nostalgiques par les sentiments, ce qui est clairement mon cas.
J’ai retrouvé les sensations perdues de voyager dans un monde ouvert, à pied, en bateau, ou à dos de Flammy. Pardon, de Dragon.
J’ai retrouvé les invocations spectaculaires, le plaisir de switcher d’un perso à un autre pour utiliser des savoirs-faire vraiment utiles, et des personnages travaillés.
J’ai retrouvé une difficulté parfois corsée, avec des Boss et des monstres qui vous tabasseront allègrement si vous ne vous préparez pas correctement.
J’ai retrouvé également le plaisir de faire du leveling, pour collecter des objets rares sur des monstres, apprivoiser des monstres ou créer de meilleures armes et accessoires.
J’ai enfin retrouvé les sensations oubliées d’une ambiance magnifique, ponctuée par une technicité à la pointe de la manette; qui vous propulse gentiment au travers de plusieurs dizaines d’heures de jeu.
Malheureusement, tout n’est pas rose. Même si j’adore ce qui sort des studios Ghibli en général, il faut quand même admettre que le point faible de Level 5 (et les fans du Pr Layton ne me contrediront pas) c’est le scénario.
Je suis d’accord, l’histoire est originale, et qui plus est, sublimée par le savoir faire de Ghibli. Mais les dialogues sont d’une niaiserie épouvantable, pire que les échanges Squall / Linoa si vous voyez ce que je veux dire. Du coup certains passages sont vraiment horripilants, car en plus de leur inutilité, ils sont longs. Looooooongs, très loooooooooooooongs.
Et si on pensait être épargné dans l’histoire principale, rebelote dans les quêtes annexes: ceux qui ont fini les collecte de fragments de coeur me comprendront.
Les quêtes annexes, puisqu’on en parle sont aussi relativement peu variées. On se cantonne à tuer des monstres plus forts que la moyenne, rechercher des carnets, réparer des coeurs brisés et apporter des monstres à Darwin. Pas vraiment folichon.
Mais ces aspects deviennent finalement assez relatifs à cause du contexte dans lequel se place Ni No Kuni: les bons RPG se raréfient, car les éditeurs qui furent naguère des développeurs se bornent à étirer leurs licences jusqu’à la corde et n’innovent plus.
Ni No Kuni n’a certainement pas la patte d’un RPG exceptionnel, mais il recadre le débat sur ce qui était autrefois un standard incontournable, et ne s’en cache pas.
Donc même si l’histoire est clairement insipide, il se rattrape en misant tout sur l’expérience de jeu, et là, franchement, c’est le pied. On peut aller partout, jouer au casino, passer des heures à chercher des objets rares, ou faire évoluer son équipe… Avant d’aller tabasser le Boss de Fin la mort dans l’âme. Voilà pourquoi j’adore ce jeu. Il renoue avec un genre qui s’oublie parce qu’il néglige les joueurs, et me fait penser un peu à Steam d’un certain côté, qui propose une avalanche de jeu indépendants qui ont tous ce point en commun: vous faire aimer le Gameplay, la Difficulté, le Fun, bref, LE JEU VIDÉO.