Jouer à Ōkami, c'est comme se laisser porter sur un fleuve magnifique, calme et reposant, mais pollué, noir comme de l'encre. Un cours d'eau qu'il nous revient de nettoyer, c'est à nous de lui redonner sa splendeur d'antan.
Lorsque j'ai mis la main sur Ōkami pour la première fois, le jeu venait de sortir, j'étais encore gamin, et pourtant, le chef-d'oeuvre de Clover et un de ces bijoux qui m'ont fait entrer dans une période de transition, je suis passé d'un joueur assidu - jouant, il est vrai, à un nombre bien plus conséquent de jeux que la plupart des gosses - à un véritable boulimique du jeu vidéo, un gouffre sans fond à la recherche du plus grand nombre de trésors vidéo-ludiques possible. C'est Ōkami, au côté de Deus Ex, des Fallout, des Civilization et autres Metal Gear, qui m'a transformé en un monstre de bits et de pixels.
C'est peut-être en partie pour cela que je tiens tant à ce jeu, et que je le considère encore aujourd'hui comme un des meilleurs représentant du dixième art.
Ōkami, plus que tout autre, est une toile interactive, littéralement.
Le grand point fort du titre, ce qui le rend unique, c'est cette possibilité, d'une simple pression sur une gâchette, de transformer l'univers du jeu en une toile géante, et votre joystick en pinceau divin.
Grâce à cela, vous serez en mesure d’interagir avec le monde.
Vous vous en doutez, les usages de ce pinceau sont multiples, que ce soit pour faire apparaître un grand soleil dans le ciel, faire éclore une fleur, faire jaillir une cascade de la roche, réparer des ponts, relier deux objets par magnétisme ... ou bien trancher vos ennemis en deux, créer une bombe, foutre le feu, électrocuter ou encore congeler ces saloperies de démons.
Cette géniale feature, couplée à un gameplay aux petits oignions, très proche d'un Legend of Zelda, et une originalité rafraîchissante font d'Ōkami une franche réussite et un parangon du jeu d'action-aventure.
Mais ce que l'on retient d'Ōkami après avoir passé une dizaine d'heure à arpenter les plaines nippones, c'est cette ambiance poétique, unique et si particulière.
C'est bien simple, Ōkami est pour moi LE plus beau jeu auquel j'ai eu la chance de jouer.
Les graphismes en cel-shading sont de très bonne qualité (il faut rappeler qu'il est d'abord sorti sur une PS2 en fin de vie), mais c'est surtout la direction artistique qui dépasse tout ce qu'on avait pu voir ailleurs. Il faut savoir qu'avant d'emprunter la voie du cel-shading et de s'inspirer des estampes japonaises et autres Lavis, le studio avait d'abord prévu un aspect plus réaliste pour leur jeu.
Heureusement pour nous, ils se sont ravisés, et ont accouché d'une des plus belles oeuvre vidéo-ludique qu'il soit.
La direction artistique innovante à d'ailleurs été récompensée à de nombreuses reprises, tout comme sa sublime bande-originale inspirée par la musique traditionnelle japonaise, notamment par des prix BAFTA en 2007.
Pourtant, Ōkami est également victime d'un triste sort, bien qu'ayant reçu de très très nombreuses éloges de la part des professionnels du milieu, des critiques, et des joueurs, et s'être vu remettre le prix de jeu de l'année 2006, puis même être désigné en 2007 par IGN comme 19eme meilleur jeu de tous les temps, Ōkami a souffert de ventes désastreuses pour un jeu si ambitieux.
Le nombre de ventes ne dépassant pas les 600 000 dans le monde en 2009, trois ans après sa sortie, Ōkami a même obtenu le très peu convoité prix du "Jeu de l'année ayant connu le moins grand succès commercial" en 2010, décerné par le Guinness des records.
Cet échec commercial fut en partie responsable de la dissolution du studio Clover (bien que le départ de Capcom de Mikami, Kamiya et Inaba, parti fonder le futur studio Platinum Games, donna le coup de grâce).
Et bien qu'étant considéré, par la plupart de ceux qui y ont touché, comme un chef-d'oeuvre, Ōkami n'a jamais reçu la reconnaissance auquel il a le droit de la part de l'éditeur Capcom.
Certes nous avons eu droit à un portage WII, puis PS3 du jeu, et même à une (très) timide "suite" sur Nintendo DS, Ōkami Den, mais aucune véritable suite n'est en projet, et il en sera très probablement ainsi pour toujours.
Et c'est peut-être pas si mal comme ça, Ōkami est et restera un trésor, un jardin d'Eden, un El Dorado du monde vidéo ludique, dans lequel, en cas de doutes, ou durant des temps sombres, il est toujours bon de venir se ressourcer.