Il était une fois une forêt magique, lieu de quiétude et de contemplation infini, où les créatures qui peuplent ses terres et les plantes qui dessinent ses traits vivaient en harmonie sous la protection du majestueux arbre aux esprits. Hélas, l'équilibre fut brisé, menacé par un mal ineffable de nouveau incarné par une chouette maléfique. Et oui, encore une chouette… Allez savoir ce que Moon Studios reproche à ce noble animal pourtant connu de tous comme le compagnon idéal pour un apprenti sorcier. Pour incarner l'espoir d'une renaissance, Ori reprend du service, avec cette fois l'intention de se battre pour de vrai, notre jeune esprit aurait-il grandi ?


Pour les personnes n'y étant pas familières, laissez-moi d'abord vous présentez le personnage. Ori est donc un esprit, un minuscule point lumineux errant sur des tableaux colorés dont le rapport d'échelle ne fait que peu de doutes sur la véritable star de l'histoire. Un protecteur de la nature, ami des animaux, sorte de mascotte Greenpeace qui s'ignore, le pendant mutique de Brigitte Bardot, un Célébi immaculé aux compétences ninja. Ori, lumière en hébreux, l'incarnation même de l'innocence, la définition la plus pure du pardon. Mais Ori, c'est surtout l'une des figures de proue de cette vague de jeux indépendants bienveillants en apparence, et pourtant si cruel à l'intérieur.


Difficilement conseillable à de jeunes enfants de par son potentiel létal, Ori cultive pourtant tous les poncifs inhérents aux œuvres destinées à éduquer la jeunesse. Un trop plein de bons sentiments, des personnages sans substance, du drama prévisible et éculé, une fausse poésie servie sans finesse sur un piano larmoyant. Ori est indéniablement un jeu sublime, un régal artistique de tous les instants, un pourvoyeur inépuisable de fonds d'écran. Le fruit d'un travail remarquable d'artistes et animateurs très certainement talentueux. Mais un jeu vidéo peut-il se satisfaire du simple fait d'être beau ? Entre Rayman et Hayao Miyazaki, l'univers d'Ori n'a ni l'humour du bébé de Michel Ancel, ni la profondeur des œuvres du sensei. Son ambiance enivre le temps de l'exploration mais laisse la sensation d'une coquille vide une fois la magie dissipée.


Mais dans le fond est-ce si grave ? La narration n'étant réduite qu'à quelques cinématiques et une poignée de dialogues fonctionnels, Ori reste, et ce malgré le gain d'ambition de cette suite, un jeu de plateformes à tendance metroid bien emballé. Et comme tout le monde le sait, les platformer se jugent avant tout sur le gamefeel et leurs mécaniques de jeux.


Ori premier du nom s'est démarqué à mon sens par deux grandes idées. La première, le bash (frapper en français, ça en jette un peu moins) mécanique absolument brillante et formidable outil de game design qui réunit plateforme, combat, et même puzzle autour de son utilisation. Le bash c'est le signature move d'Ori, une capacité sans limites qui renverse les ennemis, transforme les dangers en possibilités, donne un élan supplémentaire à nos cabrioles et permet de se maintenir dans les airs, soit l'endroit où Ori est sans conteste à son meilleur.


C'est ce genre de mécanique qui, une fois apprise renverse la boucle de gameplay et nous fait envisager l'environnement avec une nouvelle perspective. Rien d'étonnant en ce sens que l'arbre Ginso soit devenu un passage culte du premier épisode. Suite oblige, le bash fait désormais parti du bagage quasi initial du personnage, et autant se dire qu'aucun des nouveaux pouvoirs désormais disponibles ne viendra l'égaler. Pour compenser, la grande nouveauté est ici un plagiat de fonds en comble d'Hollow Knight. En soi l'idée n'est pas scandaleuse, s'inspirer des meilleurs n'est pas un mal et la référence est pertinente. Au programme on retrouve donc des PNJ qui parlent le yaourt, des charmes à trouver et équiper, ou encore un cartographe qui se planque dans les zones pour nous vendre le fruit de son travail. En revanche, l'idée de la map en seamless n'a pas été reprise, et c'est bien dommage. De simples exemples évocateurs, loin d'être une liste exhaustive. Le problème derrière ça, est, au-delà d'une possible perte d'identité, la manière dont ces mécaniques sont intégrées dans la recette d'origine.


Exemple pas complètement innocent, Ori est maintenant capable de consommer du mana pour se soigner. Dans HK, cette mécanique est articulée autour d'un dilemme défensif/offensif, contraint à l'attaque, bénéficie d'un travail minutieux sur les timings d'utilisation en combat et il s'agit surtout de la seule manière de regagner sa vie hors checkpoints. Dans Ori, pas de dilemme, le mana coule à flot et la réserve est telle que l'écran n'est presque pas assez grand pour l'afficher. Pas d'incitation à l'attaque, le mana se récupère en cassant des cristaux, et pas de timings précis, les quelques boss du jeu n'étant pas particulièrement rapides. Plus problématique, les points de vie peuvent être récupérés en tuant des ennemis ou même plus basiquement sur des plantes disséminées un peu partout. Du coup, c'est la fête de la santé, et encore une fois, simple exemple, on pourrait déconstruire d'autres mécaniques de la même façon.


Reste le cas du système de combat, la "grande nouveauté" mise en avant durant la promotion du jeu. A première vue, l'exécution est bonne, les sensations plaisantes et personne ne regrettera l'orbe à tête chercheuse et le bête mash button du premier épisode. Mais si Ori premier du nom se permettait une mécanique si basique c'est aussi parce que son orientation glissait davantage sur la plateforme que sur les affrontements, en témoigne les controversées phases de course poursuite qui faisaient figure de boss. Cela passait également par des ennemis conçus pour être vaincu avec le bash. Désormais on a le droit à de "vrais" combats de boss, réussi bien que peu nombreux, mais souvent entrecoupés avec une petite séquence de poursuite, ce qui amène forcément cette question : Pourquoi tu me fais fuir un ennemi pour ensuite l'affronter dans une salle 500m plus loin ? Pose aussi la question de l'intégration des différentes capacités de combats d'un point de vue ergonomique. Le premier Ori mobilisait déjà toutes les touches de la manette, ici on se retrouve avec un mapping repensé (enchaîner les deux jeux doit s'avérer génialement confus), et surtout avec plus d'options que de boutons. D'avantage de complexité donc, compensé par un challenge revu à la baisse.


Deuxième grande idée de l'épisode original, un système de sauvegarde manuel qui consistait à dépenser un point de mana pour poser un checkpoint à l'endroit de son choix. Plutôt bien pensée, cette mécanique a complètement disparue. Sans en connaitre véritablement la raison, on imagine qu'elle se situe non loin du mot accessibilité. Désormais une mort équivaut à un respawn quelques mètres en arrière, diminuant de fait la potentielle frustration certes, mais ramenant en même temps l'aventure sur un canevas plus classique. La sauvegarde manuelle, c'était aussi une gestion de la difficulté originale, permettant de déconstruire les passages de plateformes tortueux en les séquençant soi-même en fonction de ses capacités. L'écueil majeur de ce choix discutable, c'est qu'en évacuant complètement l'aspect punitif, on permet voire incite le joueur à abuser du jeu. Et de ce point de vue-là, autant vous dire qu'il est craquable dans tous les sens. Se cogner sur des épines ou tomber dans les ronces peut piquer vous vous en doutez. Mais dans Ori, ce genre de mauvaises manœuvres équivaut rarement à une mort. Couplée à une barre de vie généreuse (et la fête de la santé), il en vient un point où les obstacles pensés pour nous sanctionner se transforment malgré eux en moyens d'avancer. Rajouter à cela les capacités exceptionnelles du personnage (sérieusement qui a eu l'idée de ce triple saut ?), et Ori se retrouve bien vite inarrêtable parvenant sans problèmes à atteindre des endroits techniquement inaccessibles ou traverser des portions de niveau sans bien comprendre comment. Et ne vous méprenez pas, je ne déplore pas la facilité, mais regrette surtout un manque d'équilibrage; un décalage entre le challenge voulu et les moyens de s'en détourner.


Cette suite d'Ori est finalement victime de boulimie. De tous les petits ajouts dont il s'est greffé, c'est à se demander s'il n'a pas plus perdu que gagné.

LeMalin
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le 19 mars 2020

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