Outer Wilds, les 10 premiers % sont éventuellement compliqués, les 80% suivants sont géniaux et frustrants, les 10 derniers % sont horribles et extraordinaires.


Quand on commence le jeu, et qu'on apprend qu'on va explorer le système solaire, se lancer n'est pas évident pour tout le monde. Que va-t-on chercher exactement ? Les quelques indices donnés sur une civilisation disparue, nos prédécesseurs astronautes plus ou moins égarés dans l'espace, les mystérieux échos perçus, peuvent sembler une motivation bien maigre. Il importe pourtant de les suivre pour commencer à dérouler petit à petit le fil d'une histoire passionnante.


Pour cela, consulter l'ordinateur de bord du vaisseau est absolument primordial : c'est là, dans ses tableaux qui vont se remplir à mesure des découvertes, que se trouve la vraie interface du jeu, les questions et les réponses de toutes les énigmes, les indices sur la marche à suivre.


Le studio a fait le choix de donner à votre personnage ainsi qu'à votre vaisseau un vrai pilotage en 3D, avec poussée horizontale, verticale et latérale. C'est là-dessus, surtout, qu'un grand nombre de gens vont pester, râler, renoncer. Si vous n'avez pas l'habitude de ces contrôles type simulation (légère), ils risquent d'être très délicats à prendre en main, et une certaine patience sera requise. Je me suis cogné partout au début, moins à la fin, mais je ne m'y suis jamais fait totalement.


Une fois qu'on est lancé, c'est là qu'on va se mettre à enchaîner les découvertes, les révélations, le comment du pourquoi de ce qui s'est passé, de ce qui se passe, de ce qui va se passer. C'est un puzzle dont on assemble d'abord les coins, puis les côtés, puis qu'on remplit petit à petit, et dont les vagues taches de couleurs deviennent peu à peu un ensemble cohérent qui se révèle à nous.
Sauf qu'on est frustré en le faisant. Cette foutue mécanique de boucle temporelle imposée frustre toute l'aventure, gêne toute l'exploration en obligeant à rusher pour ne pas rater quelque chose au risque de commettre un faux pas, empêche de s'émerveiller et de prendre le temps de contempler ce qu'on découvre, impose de refaire en permanence le même trajet avec cette fusée malaisée à contrôler.
Et pourtant, elle est cohérente, cette sacrée boucle. Elle a un sens. Le jeu lui donne un sens. Le jeu donne un sens à tout ce qu'il contient, à toutes les mécaniques de gameplay, à tous ses systèmes, à tous ses éléments de décor.
Le fait de démarrer toujours du même endroit me fait d'ailleurs penser à Soul Reaver, et on ne peut s'empêcher de voir une similitude entre les deux jeux ; à la différence que dans le titre d'Amy Hennig, on débloque les chemins physiquement, alors que Outer Wilds, on les débloque... intellectuellement !


Le génie de ce jeu, c'est que presque toutes les solutions sont en fait là dès le début, littéralement posées sous notre nez, mais qu'on ne les voit pas. Il sait donner du sens à notre quête de connaissance. Cet espèce de mélange cartoon et rustique entre 2001 et Star Trek est à la fois profondément poétique et profondément scientifique, de cette science humaniste qui croit en l'intelligence, en l'ouverture, en la curiosité, en la compréhension des lois de l'Univers. Tous les personnages qu'on suit dans l'aventure ont une démarche profondément scientifique, une démarche simplifiée pour le grand public, mais totalement cartésienne. De même, toujours dans cette cohérence absolue entre forme et fond, si les distances interplanétaires de notre univers de Petit Prince se comptent en kilomètres, ses lois sont physiquement réalistes. Les planètes sont toutes petites mais elles obéissent aux lois de la pesanteur, de la gravitation, de la dynamique des fluides, et ces lois physiques vont jouer leur rôle dans le jeu. D'où les règles de pilotage.


Le génie de ce jeu, c'est la rigueur de son game design. Il est carré comme c'est pas permis. Tout y est utile. (tout ce qu'il propose doit donc être bien retenu) Absolument rien n'y est gratuit. Absolument rien n'y est en trop. Il n'a aucun gras. Mais contrairement à tant de mécaniques bien huilées mais vides de sens, les siennes sont au service de sa substance, de son univers, de son propos, de son émotion. On n'a pas le temps, mais il sait nous faire ressentir la beauté de l'espace en miniature, la fragilité d'un jour qui se lève sur sa planète pour ne durer que quelques minutes, il sait nous attacher à ses personnages passés et présents.


Le génie de ce jeu, et ce qui émerveille en le traversant malgré les contraintes qu'il impose, et malgré les lois qu'il s'impose à lui-même, c'est qu'il est bourré à craquer d'idées incroyables, de fulgurances, de créativité, de multiples détails ultra bien pensés. Il ne s'agit pas que des planètes du jeu, qui sont à elles seules un grand moment de science-fiction - mais tout le jeu l'est - ou des puzzles. Je ne donnerai qu'un exemple, malheureusement un spoiler, mais qui sera bien utile au débutant rétif : la boucle temporelle se clôt toujours sur un certain thème musical. Cette ritournelle est non seulement très émouvante par sa signification dans le jeu, mais elle sert aussi brillamment de repère de gameplay au joueur en lui signifiant qu'il lui reste une minute pour terminer ce qu'il était en train de faire. Des petits détails comme ça, Outer Wilds en regorge.


Et puis arrive la toute fin, les dernières énigmes, et là, c'est malheureusement l'aspect pénible du jeu qui reprend le dessus. La résolution des ultimes puzzles ne demande pas forcément énormément d'intelligence, mais leur traduction et leur mise en oeuvre s'avère parfois délicate. Inutile de s'aigrir : si vous avez eu des griefs envers Outer Wilds, n'hésitez pas à aller chercher un peu d'aide. Il est probable que vous aviez déjà deviné plus ou moins la réponse, de toute façon. Le jeu ne vous en voudra absolument pas. Au contraire, il vous offrira une conclusion digne de ce nom, une de ces fins qui vous marquent pour de bon.


Je conseille absolument à tout le monde d'essayer Outer Wilds si vous ne l'avez pas encore fait. Il était chiant, il était pénible, il était génial. Par rapport aux 9/10 de la presse spécialisée, je naviguais, durant la partie, entre 7 et 8. Et le temps passant, la fin arrivant, je me suis rendu à l'évidence : pour moi, malgré ses défauts, c'est toujours 9/10.
Peut-être que vous allez détester et laisser tomber au bout d'une heure. Peut-être que vous allez accrocher de ouf et ne même pas voir ce qui pose souci à d'autres. Mais le résultat est tel que miser sur ce pari, croyez-moi, en vaut la peine.

Catel_
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes GOTY depuis 1990, Les meilleurs jeux vidéo de 2019 et Mes jeux vidéo de 2022

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le 24 janv. 2022

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Catel_

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