Les gros sabots
C'est une drôle d'impression que laisse Outlast, entre profonde déception et intense satisfaction. Satisfaction d'avoir joué, enfin, à un survival horror façon AAA en 2013 : le jeu reste quand...
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le 22 sept. 2013
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En général, on aime les survival horror ou on n’aime pas du tout. Au début, je n’aimais pas du tout: l’idée de lutter pour rester en vie dans un jeu m’énervait prodigieusement. Il n’y avait jamais assez de munitions, jamais assez de trousses de secours (ou tout ce que vous vous voulez qui y ressemble), et toujours trop d’ennemis… Tout ceci faisait que je craignais constamment de perdre la partie et de voir ma progression - quelque soit le jeu - s’achever dans un bain de sang. Bon, mais ça c’était avant. Depuis, j’ai fait quelques progrès: il y a eu Obscure I, Obscure II, Resident Evil Revelation II...et Outlast.
I. Une immersion problématique dans l’horreur
Alors, bon pour vous faire un plantage de décor rapide, Outlast, c’est l’histoire d’un type (ça commence toujours à peu près comme ça) du nom de Miles Upshur, journaliste de son état, qui reçoit un mail très inquiétant de la part d’un des consultants en informatique d’un endroit charmant qui s’appelle Mount Massive Asylum (comprenez la fin des haricots pour nous). Le gars nous laisse entendre que beaucoup de choses bizarres et pas très nettes du tout se passent dans l’enceinte de l’asile et qu’en tant que journaliste, on ferait bien d’y jeter un oeil, car le bazar n’est pas légal et qu’un bon petit article dessus pour attirer l’avis du public et des autorités ne ferait pas de mal.
Le jeu commence à ce moment précis, où le joueur incarne le journaliste en train de franchir les grilles d’entrées de l’asile de nuit et sous la pluie. Le téléphone ne capte plus, il fait noir. Au loin, on devine la silhouette massive -sans jeu de mots, aucun - de l’asile qui se découpe contre l’horizon obscur. Le journaliste, caméra au poing, descend de sa voiture qu’il a garée près du poste de surveillance étrangement désert et s’avance vers l’asile. Tandis que l’on se rapproche, on distingue des lumières provenant de l’intérieur du bâtiment, preuve que celui-ci est habité.
Personnellement, je pensais bêtement que j’allais pouvoir sonner à la porte, qu’un majordome m’ouvrirait et me ferait patienter dans un petit salon, avec du thé et des petits gâteaux, le temps que le directeur de l’asile ne me reçoive. Dans le scénario, je prévoyais quelque chose de vaguement Shutter Islandesque…. du genre: “Ah, Monsieur Upshur, nous vous attendions. Notre asile est fantastique, j’espère qu’un bref séjour chez nous vous permettra de dissiper vos craintes quant à la nature des soins qui sont prodigués entre ces murs…” et là tout serait progressivement parti en vrille. Petit bout par petit bout.
Et bien, en fait pas du tout. Enfin si, dans un sens, on peut dire qu’il y a beaucoup de petits bouts partout, mais pas comme je m’y attendais.
En faisant mes premiers pas dans la cour principale, j’aurai dû me douter que quelque chose ne tournait pas rond en voyant la gueule des “ambulances” garées juste devant le perron: les militaires n’auraient pas eu de meilleures blindées pour partir en mission. Avouez quand même que des tanks parkés dans la cour d’un asile, ça pose un peu question…
Miles Upshur lève le nez pour regarder autour de lui. Une ombre passe furtivement à l’une des fenêtres éclairées. Un rideau flotte dans le vent. Bon. La sonnette d’entrée ne marche pas, ou alors il n’y en a jamais eu et je ne parle même pas du thé et des petits gâteaux. Obligé de rentrer dans l’asile comme un voleur, en escaladant le mur. Bof. Pas terrible tout ça. J’espère quand même que le directeur attend ma visite sinon ce sera vraiment ennuyeux. J’enjambe le montant d’une fenêtre ouverte et pouf, me voilà à l’intérieur, ma caméra toujours en marche. Il fait sombre, le mobilier est en désordre. C’est le bordel partout dans la pièce. Mon personnage fait quelques pas hésitants dans le couloir, pour confirmer ce que je redoute: le bordel absolument partout, le genre de désordre insoutenable qui dit: “Il s’est passé quelque chose de terrible ici”. Quelques minutes plus tard, on atterrit dans une pièce très sombre et c’est là que Miles Upshur appuie sur un petit bouton magique de la caméra qui fait passer son champ de vision en mode infrarouge, car l’écran de l’appareil se confond avec notre champ de vision quand celui-ci enregistre. Tout d’un coup, il y a des yeux luisants dans la pénombre, étonnement proches les uns des autres. Je pousse un cri intérieur en m’approchant: ce sont des têtes coupées, alignées sur des étagères comme des assiettes en porcelaine dans un magasin de vaisselle. Les pupilles des infortunés luisent dans la pénombre, avec l’éclair artificiel de la caméra comme source de lumière. Juste à côté de ce triste spectacle, des bouts de cadavres partout et surtout, surtout, un type à la carrure de géant empalé sur une pique qui murmure dans un râle de douleur qu’il fait parti d’une élite d’intervention spéciale, que lui et ses gars se sont salement fait avoiner la gueule et qu’à défaut d’avoir pu en réchapper, il faut absolument que nous nous trouvions un moyen de nous tirer. Le gars pousse un râle encore plus dégueulasse que le premier et crève de sa belle mort. A partir de là, le ton d’Outlast est donné. Le journaliste n’en mène pas large, je le sais parce que sa respiration est vraiment pénible, hachée, bruyante. Il a soudainement la gorge sèche, Miles Upshur. Dommage qu’on n’ait pas eu droit à une tasse de thé.
Sans rire, après une intro comme celle-là, le jeu était déjà bousillé à 50% pour moi, parce qu’une des forces du survival horror, c’est l’évolution de son intrigue de façon progressive, par gradation. (Comme dans Obscure I où la situation part d’un truc plutôt fun et évolue lentement vers quelque chose de beaucoup plus inquiétant pour se terminer dans un climat de frousse pas possible). Or, ici, après une immersion aussi rapide que soudaine dans l’horreur, que pouvait-on bien rajouter? Que pouvait-on trouver de pire que des membres arrachés par-ci par-là dans l’asile avec d’autres gars au bout d’une pique en train de nous dire: “Fuyez, pauvre fou:”. Je me marre.
Bon, alors c’est vrai qu’il reste toujours les deux grands mystères à résoudre: le premier, que s’est-il passé récemment dans cet asile pour que tout soit sans dessus dessous? et le deuxième, que se passait-il avant que tout ceci n’arrive ? (rapport au mail bizarre que l’on nous a envoyé pour nous faire venir ici). Ce sont les deux grandes questions qui font tenir le joueur dans l’univers du jeu, et c’est un peu malheureux, parce qu’on vient à peine de commencer qu’on se dit déjà que beaucoup de l’effet de surprise et du frisson sont ruinés…
II. Du sang, des hommes et encore du sang
La suite du jeu dans le détail, je vous l’épargne pour plusieurs raisons. D’abord, je ne vais pas vous spoiler tout à fait, ensuite décrire la suite du jeu serait long et fastidieux et comme je n’aime pas ce qui est fastidieux, je m’épargne cette tâche laborieuse.
En revanche, je dois parler du décors et des “personnages” du jeu. L’asile, vu de l’extérieur est une grande bâtisse ancienne, haute et vaste, avec de grands renfoncements sur les hauteurs et des toits crénelés. Pour un peu, on se serait cru dans un roman d’Egard Alan Poe. A l’intérieur, on trouve par endroit des parquets lambrissés, de hautes et larges fenêtres, des panneaux de bois contre les murs. Cela pourrait être joli si la visite ne se déroulait pas dans un contexte aussi lugubre. Miles Upshur se heurte d’abord à des cadavres (ou à ce qu’il en reste) avant de trouver âme qui vive. Vous l’aurez deviné, Mount Massive Asylum est loin, bien loin d’être un simple asile. C’est un labyrinthe où les couloirs et les monstres tueurs s’entremêlent. Combien d’étages, du sommet jusqu’aux entrailles de cet hospice, Miles a-t-il dévalé? Je ne saurais pas vous le dire. Il est descendu sous terre, il est allé très bas et puis il a fini par remonter, ne me demandez pas comment. Escaliers effondrés, parquets moisis, gouffres inattendus, fenêtres brisés, portes bloquées: autant de passages impraticables qui révèlent en négatif le chemin à suivre. Dans chaque salle que l’infortuné journaliste franchit, la mort se tient au milieu de la pièce. “C’est un survival horror, mon pote, fallait pas jouer si t’aimes pas le sang’’, me direz-vous, et vous aurez à moitié raison. Le problème ce n’est pas tant le sang, c’est son omniprésence. La surenchère est partout, tout le temps (ou presque) au point que cela m’a fait me demander dans quel état mental se trouvait les développeurs du jeu au moment de sa conception. Ces hommes étaient-ils sains d’esprit lorsqu’ils ont modélisés les intestins éventrés qui jonchent le sol des dortoirs aux allures d'abattoirs du Dr Richard Trager? Que penser des jambes, têtes et autres membres que l’on retrouve égarés au fond des cuvettes de toilettes? Quel espoir avons-nous en tant que joueur d’obtenir un jour, une explication tangible à ce massacre aussi grotesque qu’indéfinissable? Je passe sur le tas de malheureux surveillants assassinés que Miles retrouve sagement étendus à côté de leur poste de travail, le regard dans le vide.
Que les choses soient claires : la violence a sa place dans un survival horror, lorsque sa fonction dans le jeu se trouve clairement définie. Dans certains jeux intelligemment construits sur le plan de l'intrigue, la violence est un indicateur de la situation dans laquelle se trouve les personnages, elle traduit également quelque chose de l’état de l’endroit dans lequel évoluent les protagonistes. La violence peut être une chose subtile, et si l'on veut qu'elle fasse de l'effet sur le joueur, mieux vaut bien réfléchir aux façon de la faire apparaître… Dans Outlast, on ne parle pas de violence et encore moins de subtilité. On parle de saturation de la violence. Il n'y a pas un cadavre par-ci par là, il y en a à la pelle tous les deux mètres. Alors, en tant que joueur, vous avez deux solutions : ou vous êtes comme moi, un hyper sensible, et vous restez horrifiés pendant toute la durée de la partie, ou alors vous êtes un joueur aguerri et vous devenez complètement blasé parce qu'assez vite, toute cette violence ne fait plus aucun effet sur votre mental. Notre journaliste reste au milieu de tout ce gâchis, un être transparent comme l'écran de sa caméra, visiblement tétanisé par la peur, passant son temps à fuir et à se cacher faute de ne pas pouvoir se saisir d'une arme pour mettre la pâtée à quelques pensionnaires de l'asile transformés en monstres. Que voulez-vous, personne n'est parfait.
III. Outlast ou l'état d'impuissance
C'est un parti pris du jeu : vous ne pouvez pas utiliser d'armes, vous ne pouvez pas vous défendre. Si votre personnage, qui cherche à fuir par tous les moyens possibles de cet asile de fous, vient à passer près d'une fenêtre, (Dieu sait que cela m'est arrivé plusieurs fois au cours du jeu) il lui est impossible de briser les vitres par quelque moyen que ce soit. Oui, c'est idiot et pas réaliste pour deux sous (mettez vous à la place de Miles Upshur deux secondes pour de vrai, et vous verrez que vous pourrez la casser, cette putain de vitre), mais c'est comme ça. Je passe sur les casiers où Miles a passé son temps à s'enfermer à chaque fois qu'une créature horrible venait à croiser son chemin.
Ce qui m'amène à vous parler des ''ennemis'' en question. (Pas longtemps, hein).
Pour vous la faire courte, il s'agit des patients de l'asile. Visiblement, ceux-ci n'ont pas eu les soins escomptés… Corps mutilés, couturés, momifiés, vous aurez le choix.
On distingue clairement deux types de créatures dans notre progression: les prostrés et les agresseurs. Il y a ceux qui restent terrés dans des coins de cellules, repliés en position fœtale, tremblant de crainte, la tête rentrée entre les jambes, et puis les autres, ceux qui vous attrapent et vous déchiquettent en quelques secondes, séparant d’un geste auguste une partie de vous-même au reste de votre corps. Bon. Je passe sur le fait que certains se trimballent tout nus (oui, oui absolument) et que d'autres s'amusent à voler des corps pour faire des choses bizarres avec (cela n'arrive qu'une fois dans le jeu, rassurez-vous) mais enfin bon, quand même quoi.
J'en viens à LA chose qui m'a fait dresser tous mes petits cheveux sur la tête. Ce n'est certainement pas une chose que la grande majorité des joueurs jugeront capitale, au contraire, et pourtant il m'apparaît fondamental d'en parler. A un moment dans le jeu, vous vous retrouverez dans une sorte d'infirmerie de l'horreur avec des corps gémissants et un médecin qui se charge de les torturer. L'endroit, sombre, est repoussant de crasse. Il y a du sang partout (encore). Certains patients ont des tronçons de fer délibérément enfoncés dans les chairs, et autres clous et vis toutes aussi sympathiques. En clair, on assiste à de multiples scènes de torture, le décor entier n'est qu'une vaste boucherie.
Et Miles Upshur ne peut absolument rien faire pour aucun de ces malheureux. C'est là une des grosses lacunes d'Outlast : l'entraide n'existe pas, ou alors elle est à sens unique (certains patients de l'asile viendront en aide au journaliste mais jamais l'inverse). J'ai rêvé que Miles puisse détacher les infirmes de leurs sangles ou qu'il délivre les plus affaiblis de l'asile avec lui. Mais non. Comprenez que dans Outlast, la question de l'entraide du point de vue du joueur n'existe tout simplement pas et c'est très dérangeant, pour plusieurs raisons. D'abord parce que le joueur se retrouve en position je-m'en-foutiste du type qui n'y peut rien, donc qui s'en fout. L’égoïsme de jeu imposé, je déteste. Ensuite, parce que c'est une conception du jeu médiocre. J'entends presque les développeurs me dire: "C'est du sang, t'inquiète, on refait juste un peu la peinture des murs. T'occupes pas et amuse-toi." La violence, les gars, ça n'est pas anodin. La posture du joueur, c'est fondamental.
En y réfléchissant, peu de jeux permettent une intervention de ce type du protagoniste dans un survival horror sans faire de celle-ci une action nécessaire au jeu. L'entraide existe mais elle devient alors une des clés dans le parcours du personnage. Or, ici, j'aurais aimé que l'on puisse apporter de l'aide sans pour autant en faire un pilier narratif du jeu. Dans Outlast, je suis resté pour ainsi dire, impuissant face aux autres victimes de Murkoff & cie.
Conclusion (toute petite) : Outlast? Graphiquement bien mais alors moralement, je repasserai. La surenchère de la violence dépourvue de sens et de fonction, très peu pour moi.
Pour une critique plus poussée sur le scénario, je vous recommande la critique plus professionnelle de Pedrof sur ce site: http://www.senscritique.com/jeuvideo/Outlast/critique/93426319
Créée
le 6 mai 2016
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