Les gros sabots
C'est une drôle d'impression que laisse Outlast, entre profonde déception et intense satisfaction. Satisfaction d'avoir joué, enfin, à un survival horror façon AAA en 2013 : le jeu reste quand...
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le 22 sept. 2013
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C'est une drôle d'impression que laisse Outlast, entre profonde déception et intense satisfaction. Satisfaction d'avoir joué, enfin, à un survival horror façon AAA en 2013 : le jeu reste quand même un bon trip, flippant, stressant, crispant comme il faut. Techniquement très classe, bardé de bonnes idées, très respectueux de son héritage et appliqué jusque dans son body awareness plutôt trippant. Ce n'est pas tant Satan que le souci du détail qui habite Outlast, œuvre d'un jeune studio qu'on sent avide de faire ses preuves et qui, malgré sa petite équipe, réussit à délivrer un vrai jeu d'horreur en full 3D, très beau, très prenant et plein de petites attentions. Ça commence avec ce camescope qu'on peut dégainer n'importe quand d'un simple clic droit, qui fait office de lampe torche mais aussi de certificat d'immersion comme rarement on en a vu : le zoom fonctionnel, le grain d'image légèrement sale, la vision nocturne délavée, l'inscription REC avec le rond rouge. Ça continue avec la sensation prégnante d'incarner son avatar à la première personne, dont on ressent bien la démarche peu assurée, dont on entend le souffle angoissé et dont on voit les différents membres du corps s'animer dans un souci du détail impressionnant (ça n'a l'air de rien, mais voir son personnage s'accrocher au chambranle d'une porte lorsqu'on le fait se pencher fait partie des détails qui tuent). Et, bien sûr, il y a la peur, finalement bonne, intense, celle qui fait jouer par petites sessions et redouter les sales coups dès qu'on pénètre dans une nouvelle pièce. Comme dans la plupart des grands jeux d'horreur first person de ces dernières années (Amnesia, Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth), le personnage est une proie, un être vulnérable dont la seule défense est de se cacher. Casiers ou dessous de lits, on se planque à la première occasion, dès qu'une ombre louche se profile contre un mur. Quand on est poursuivi, on pique un sprint : l'occasion de découvrir une autre ingéniosité du jeu, la possibilité de se retourner en pleine course pour vérifier à quelle distance se trouve l'assaillant. L'excellent sound design, la pertinence des contrôles, la sensation d'incarner un être humain fragile et traqué font partie des points qui, dès le début, laissent entrevoir d'extraordinaires moments d'angoisse. Et Outlast remplit son contrat, techniquement, en alignant ces moments où l'on sue à grosses gouttes, où l'on progresse à tâtons avant de se barrer à toutes jambes au moindre son suspect.
Et pourtant, deux problèmes ne tarderont pas à se manifester. Le premier, aussi étonnant que cela paraisse, est un manque d'identité patent. Les développeurs ont des références : Amnesia, Call of Cthulhu, Condemned en première ligne, soit, effectivement, trois des meilleurs jeux d'horreur parus depuis le début du siècle. On en retrouve les ingrédients un peu partout, tant et si bien que l'impression se fait vite sentir de jouer à une sorte de pompage, certes bien calculé, mais dépourvu d'une certaine grâce, de cette cohérence qui faisait précisément le charme de ces jeux. Pas de demi-mesure pour Outlast, qui abat toutes ses cartes dès le début, impatient d'épater son public : en à peine quinze minutes, on aura fait le tour de ce que le jeu à proposer, et très tôt les limites se montreront. D'abord, malgré toutes ses qualités techniques, Outlast échoue bizarrement à instaurer une atmosphère réellement anxiogène. On stresse, on flippe, certes, mais il manque quelque chose, ou plutôt, il y a quelque chose en trop dans le gameplay, qui à force de vouloir bouffer à tous les râteliers se montre un peu falot, transparent. On a déjà joué à tout ce que propose le jeu, aussi léché soit-il. Le fait d'avoir mixé ensemble les gameplays de références incontestables donne un résultat bâtard : course-poursuite, exploration, jump scare, infiltration, c'est beaucoup mais surtout c'est mécanique et la recette vire trop à l'alternance systématique – un piège évité par les grands frères d' Outlast qui profitaient précisément de leur minimalisme de gameplay, ou à tout le moins de l'évolution très progressive de ce dernier, pour installer une peur durable et surtout croissante. Pas de ça ici, vu que tous les ingrédients sont balancés à la figure du joueur dans les premières minutes et que rien ne viendra démentir ce qui, très vite, ressemblera à ce qu'on pourrait appeler une routine de l'horreur.
L'autre gros problème d'Outlast est toujours lié à la gourmandise des développeurs et concerne davantage l'histoire, le déroulé. Là encore, les développeurs croulent sous les inspirations, tant et si bien que ce qui promettait être une histoire bien flippante finit par ressembler à une sorte d'assemblage opportuniste des recettes qui marchent. On aura droit aux nazis, à la manipulation génétique et tout un tas d'autres joyeusetés vaguement périmées et racontées à coups de papiers trouvés sur le sol. On s'en désintéressera assez rapidement. Mais le mal, le grand mal de cette scénarisation, c'est l'excès permanent dans l'horreur. Les murs de l'asile dans lequel on évolue sont littéralement repeints de sang, on ne fait jamais trois pas sans tomber sur un cadavre atrocement mutilé, sur des boyaux étalés sans raison sur le sol ou sur des flaques de sang posées là, comme ça. De la barbaque, il y en a absolument partout, et dès le départ, ce qui flingue une bonne partie du stress : nulle progression, nulle mesure, du bourrinage à l'état pur. Plus dommageable que le pompage manifeste de ses références, c'est bien ce level design de débutant qui fout les nerfs en pelote, quand on enchaîne les salles remplies de cadavres posés là pour faire peur, quand peu à peu l'ambiance vient se résumer à ces seuls litres de sang renversés sur le sol et les murs qu'on finit par considérer avec une sorte de détachement, presque d'amusement. « Grand guignol » est l'un des adjectifs que l'on pourrait apposer à Outlast qui, malgré ses belles intentions, tombe à pieds joints dans tous les excès au risque de faire perdre l'envie de progresser.
À quoi se raccrocher ? À cette finition globale franchement bonne, cette angoisse malgré tout présente, assurée par un travail minutieux sur le sound design et le body awareness, qui à eux seuls justifient quasiment de terminer l'aventure, rien que pour dire « j'y étais ». Il y a beaucoup, beaucoup d'erreurs de jeunesse dans Outlast qui tient au final davantage du jeu mutant, du plagiat quelque part, que d'une véritable création originale. Sa technique de pointe est en décalage avec la maladresse de ses effets, souvent over the top, et l'anonymat de son scénario, qu'on suit avec une indifférence totale jusqu'à un finale là encore bien léché mais vide, téléphoné. La principale faiblesse d'Outlast réside dans ce manque de mesure, dans cette obsession de tout mettre, de faire mieux que tout le monde en faisant comme eux et même davantage. Ceux qui n'ont jamais joué aux références (par trop manifestes) des développeurs se réjouiront probablement d'avoir affaire à un jeu d'horreur aussi « complet » - car, finalement, il l'est. En revanche, les habitués du genre critiqueront ce manque terrible d'identité, d'autant plus rageant que les développeurs avaient tous les outils pour faire de leur jeu un monument du genre. Il n'est pas interdit, après avoir fini Outlast, de se replonger dans Condemned ou Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth pour apprécier les mêmes idées (pour la plupart) mises en œuvre avec un talent clairement supérieur. Dans l'angoisse, pour eux, tout est dans la mesure, l'économie des effets, le glissement progressif vers le cauchemar. Autant de préceptes fondamentaux que les développeurs de chez Red Barrel, trop gourmands, n'ont pas pris le temps d'intégrer ni même, vraisemblablement, de considérer. L'erreur de jeunesse étant pardonnable (surtout vu les nombreuses qualités techniques du jeu), on attendra quand même confirmation d'une éventuelle suite, juste pour voir...
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le 22 sept. 2013
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