Si 2015 aura été l'année du jeu en monde ouvert (vide), 2016 sera celle du jeu narratif/walking simulator. OXENFREE amorce cette cuvée en mélangeant habilement les deux styles, quelque part entre une production Telltale et un Lone Survivor désamorcé de ses ennemis retors.
Le titre n'est pas parfait, loin s'en faut, mais a le mérite de reprendre avec bonheur ce qui fonctionne bien ailleurs, et de se l'approprier pour obtenir une approche singulière du genre. Les dialogues par exemple se fondent sans transition dans les phases de gameplay, de sorte qu'il est possible de converser avec ses camarades tout en explorant les environnements, amenant une dynamique nouvelle à certaines scènes. De la même manière, si le scénario reste relativement linéaire (à quelques exceptions près), le jeu de Night School Studio se démarque de ses grands frères en affichant une plus grande ambiguïté quant aux conséquences de nos actions. Là où les épisodiques Telltale commencent à être très (voire trop) familiers en recyclant certains poncifs faciles à repérer (Tales from the Borderlands en joue d'ailleurs avec malice), OXENFREE, de par son ambiance particulière mêlant allègrement histoires de fantômes, boucles temporelles, rêves et portails inter-dimensionnels, s'amuse de cette relation acte-conséquence, souvent au détriment des sentiments du joueur.
Car la plus grande réussite du titre est, à sa façon tout à fait contemporaine, de nous amener à relativiser le lien entre jeu et joueur, notamment au travers de cet univers où les règles semblent changer en permanence. On pourrait légitimement craindre une catastrophe à cette idée (d'autres s'y sont déjà cassé le nez pour moins que cela), et pourtant, utilisée à bon escient, c'est ici une bonne occasion pour installer un sentiment de malaise palpable, ainsi que quelques frissons bien sentis. Par ailleurs, le titre ne s'arrête jamais pour laisser au joueur le temps de réfléchir au-delà des choix de dialogue proposés, un sentiment d'urgence pertinent dans le cadre de l'aventure mais aussi pour favoriser un jeu de rôle plus spontané et moins calculateur. Il est possible de ne pas y trouver son compte (au niveau du final notamment, où nos différents choix y trouvent des conséquences plus diffuses qu'il n'y semblait initialement), mais difficile de nier qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction pour le médium, vers des systèmes de jeu moins ostentatoires et plus naturels.
Malgré cela, le titre n'est pas parfait. Basé sur le moteur Unity, le jeu souffre des stigmates habituels du middleware, une maniabilité un poil rigide couplée à des bugs de collision heureusement jamais vraiment frustrants mais bien présents malgré tout. Les choix de dialogues s'estompent parfois bien trop vite, nous obligeant à couper la parole à un personnage (d'autant que l'abondance de paroles est parfois difficile à suivre pour les publics non-anglophones). Les énigmes sont inexistantes, et une bonne partie du gameplay consiste à aller aux endroits (subtilement) désignés et d'appuyer sur la bouton A pour déclencher le prochain événement. Enfin, si beaucoup de questionnements sont soulevés au court de l'aventure, la conclusion tombe à plat en passant sous silence quelques réponses qui auraient été les bienvenues.
Qu'importe ceci dit, si OXENFREE ne révolutionnera pas le petit monde du jeu vidéo, il fait montre d'une passion sans commune mesure à laquelle il est difficile de rester insensible. Le style graphique est magnifique et rappellera volontiers Broken Age ; chaque séquence est un véritable tableau qu'il est possible de mettre en scène à sa guise. L'aventure n'est pas avare en passages marquants, nourrie de petits traits d'humour bien sentis entre deux moments de malaise et/ou de peur. Les 5 adolescents semblent tout droit sortis d'un film de John Hugues et sont attachants chacun à leur façon, grandement aidés par des interprétations sans failles. Enfin, si l'histoire n'est pas particulièrement longue (4 heures au total, l'affaire d'une grosse soirée), le rythme y est maîtrisé de bout en bout, de sorte qu'il aurait été difficile d'y rajouter quoi que ce soit sans faire preuve de remplissage. D'autant qu'il est toujours possible de recommencer le jeu pour profiter des différentes issues possibles.
Mais ce qui devrait aider le titre à entrer au panthéon des simulateurs de marche, c'est cette ambiance. Difficile à retranscrire sans rentrer dans trop de détails et de spoils, cette ambiance insidieuse est la raison pour laquelle OXENFREE s'inscrira comme une des expériences les plus marquantes de l'année. On pensera volontiers à Silent Hill, Lone Survivor ou Life is Strange côté jeux vidéo, Souvenirs de Marnie et It Follows côté films, ou plus évident encore la Tempête de Shakespeare en matière de littérature, mais à tout moment le jeu n'oublie jamais de développer sa propre identité, sur fond de récit initiatique adolescent bordé de paranormal et d'aurores boréales. Une réussite couronnée par une ambiance sonore de haute volée, des voix aux effets, en passant par la sublime musique, à écouter pleines basses dehors. Il serait presque réducteur de n'attribuer la réussite du jeu qu'à cette simple ambiance, c'est sans compter sur le fait que l'ambiance est partie tenante de 80% de l'intérêt d'un simulateur de marche, et à cet égard, OXENFREE est sans doute l'un des meilleurs auxquels il m'ait été donné l'occasion de jouer.
Premier grand représentant d'un année 2016 risquant d'être pleine jusqu'à l'écoeurement de ce style de jeu, le premier titre de Night School Studio fait montre d'une passion débordante malgré de menus défauts et quelques aspects moins maîtrisés que d'autres. Si vous êtes adeptes du genre, je ne paux que vous recommander de vous essayer à ce coup d'essai aux formes de coup de maître inachevé. En espérant une consécration pour le prochain titre du studio.