Hostile Drive
Deux heures. Voilà le temps que Pacific Drive m'a fait perdre le premier jour. Deux longues heures de ma vie que je ne retrouverai jamais. Ce jeu ne vous veux pas du bien. Et ça, ça fait du bien... ...
le 20 mars 2024
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Jeu de Ironwood Studios, Roget, Wilbert II et Kepler Interactive (2024 • PlayStation 5)
Attention danger, vous entrez dans la Spiral Zone
Attention danger, c'est un monde dont jamais personne
N'a pu ressortir, ressortir vivant,
Il faut vous enfuir tant qu'il est encore temps !
Attention danger, vous entrez dans la Spiral Zone.
(répéter à l'infini jusqu'à expiration des tympans)
Spiral Zone, voilà, ça c'est pas de la référence de petit Mickey (cherchez pas, c'est une expression de boomer, ça vaut bien vos "claqués au sol" et vos "c'est une dinguerie"), on sent l'homme de culture aux tempes grisonnantes, le Jack Kerouac des canapés, dont le postérieur rebondi usait déjà l'assise bien avant Poltronesofa (ceci expliquant cela). Parce qu'au risque de choquer les âmes les plus sensibles, il y a eu une vie avant Stranger Things - qui n'a rien inventé, jamais, c'est le principe de la série, surtout, rien de nouveau, la tendance est au recyclage, dans la poubelle jaune Stranger Things, il faut que chaque épisode ressemble au rayon Funko de chez Micromania pour qu'on puisse se dire "hé ! Je reconnais ça ! J'adorais quand j'étais petit ! Cette série est donc géniale ! CQFD !". Non parce qu'on a dû vous dire que la zone de Pacific Drive, c'était un peu comme le Monde à l'Envers, hein, comme si le Monde à l'Envers n'était pas qu'un amalgame du monde de rouille et du monde de cendre de Silent Hill (seule et unique raison pour laquelle je m'obstine à regarder ce truc), et oui, il y a un peu de ça, dans le côté univers parallèle où tout est calqué sur le nôtre sans que rien n'y soit bienveillant, mais enfin à ce compte, on aurait pu parler de la 4ème Dimension, au moins (à tout seigneur tout honneur, quand même, comme il disait Sauron), ou comme dans le cas présent de la Spiral Zone, fleuron du dessin animé américain des années 80 conçus pour vendre du plastoc par palettes (la recette est simple : concept accrocheur, animation limitée, scénarios indigents, production à la chaîne), programme que la marmaille d'alors s'infligeait moins parce qu'elle adorait ça que parce qu'il n'y avait pas mieux ailleurs. Haaaaaa, c'était le bon temps : deux épisodes de MASK, un de G.I. Joe ou de Dino Riders et on se finissait au Bécébégé comme d'autres l'auraient fait au cognac, pour une gueule de bois similaire. Pas étonnant que nous ayons été si nombreux à tomber dans la drogue et/ou la dépression.
Mais au-delà de ces digressions nostalgiques (si vous vous êtes dit "ha oui, Spiral Zone, j'adorais quand j'étais petit", n'oubliez pas de liker cette critique, en vertu de la jurisprudence Stranger Things, merci), la principale source d'inspiration de Pacific Drive sera plutôt à chercher du côté de la rétro SF de Tales from the Loop, son esthétique de solitude, de silence, de froid et de technologie vintage, bref, de Suède techno-liminale, les Transformers de Mickael Bay en version Fiat Tipo, où tout n'est que globes électriques orange et grille-pains connectés. Rien d'étonnant alors à ce qu'on y retrouve (avec bonheur) l'ambiance et l'esthétique du FPS Generation Zero, sorti il y a quelques années dans l'indifférence générale (la faute à sa difficulté solo et à ses bâtiments copiés-collés, dont on côtoie ici les petits frères) mais qui n'a eu de cesse de s'améliorer depuis lors à grand renfort de mises à jours régulières, et qui empruntait déjà abondamment à l'univers visuel du peintre Simon Stålenhag (univers subséquemment décliné en jeu de rôle papier et en série TV, dont la beauté plastique et musicale n'aura pas su faire oublier la triste vacuité) (en ce qui me concerne, du moins). Voilà, oui. Vous prenez Generation Zero, vous remplacez les flingues par une voiture, vous baissez un peu le curseur du photoréalisme pour un rendu plus cell shadé et basiquement, vous obtenez Pacific Drive, l'aura de mystère qui plane est la même, et c'est un compliment (pour les deux titres, d'ailleurs, comme ça pas de jaloux).
Ajoutez à cela une très très grosse louchée de crafting, de la génération de maps procédurale, un background narratif à la Control (réalité altérée, objets vivants, tout l'attirail creepy pasta de la Fondation SCP), ainsi qu'un principe interactif jumeau du récent Titan Chaser, et vous aurez une idée assez nette de ce qu'est Pacific Drive manette à la main.
Première chose à savoir avant de vous lancer, toutefois : le jeu vous hait. A l'instar d'un From Software, il ne veut pas être votre ami, il ne veut pas vous divertir, il veut vous faire pleurer du sang. Si Titan Chaser se distinguait par le sentiment profond de mélancolie qu'il distillait à pas (roues ?) feutré(e)s, au fil d'errances nocturnes introspectives au point d'en devenir hypnotiques, Pacific Drive ne vous ménagera jamais une minute de répit : guère le temps de vous arrêter prendre une photo du paysage ou d'aller cueillir des pâquerettes de l'autre côté de la colline, plus vous resterez longtemps loin du véhicule et plus vous aurez une chance de le retrouver en miettes parce que des enzymes gloutons de l'espace auront joué au babyfoot avec en votre absence. Que vous collectiez des ressources ou tentiez d'atteindre l'embranchement suivant, vous serez toujours dans le stress, toujours dans le speed, toujours sur le qui-vive et malgré tout, vous rentrerez toujours au garage avec votre bagnole ruinée. Entre la météo changeante, et rarement à votre avantage (les bretons seront à la fête), les tempêtes de réalité (parce que les tempêtes tout court ça ne suffit pas), les conditions environnementales surnaturelles, les radiations, les obstacles naturels, les anomalies plus ou moins hostiles (mais rarement amicales), les dégâts structurels, les jauges à surveiller, les bugs mécaniques, les retours au garage à l'arrachée, autant vous dire que la contemplation, vous pouvez oublier, même si la radio vous propose une généreuse playlist mélancolique (playlist que vous couperez manu militari parce que c'est difficile d'apprécier une belle balade pop indé quand tout explose autour de soi et qu'on a perdu une portière). Peut-être est-ce d'ailleurs là le plus gros manque de ce titre fascinant, à mes yeux : de vrais moments de relâche à la Death Stranding, histoire de laisser la pression tomber en chillant sur la route sur fond de soleil couchant, plutôt qu'une frénésie constante à flux tendu façon bourse de Wall Street au lancement d'un nouvel Iphone. Vous qui jouez pour vous détendre, perdez toute espérance, Pacific Drive est un jeu de survie et il ne fera aucune concession à ce modèle ludique (forcément exigeant).
Il va falloir looter sévère. Piller des caravanes, des cabanes, des carcasses de voiture, découper des capots à la scie électrique (plus efficace en soi que la scie chien fidèle) (pardon, j'étais obligé), ramasser des bouts de verre et des oeufs de machin dont vous ne voulez pas savoir ce qui les a pondu ni quel goût ils ont sur des toasts. Non seulement ça, mais une fois vos larcins commis, il va falloir crafter. Qu'est-ce que vous croyez ? Toutes ces ressources, elles ne vont pas se transformer en pneus ou en paratonnerres toutes seules. Il se passe certes beaucoup de choses étranges dans la Zone, votre meilleure alliée y sera une benne à ordures (comme en politique), mais que votre voiture se répare toute seule ? Il ne faut pas y compter.
Est-ce que vous vous amuserez, alors ? Peut-être, si vous kiffez la gestion de ressources en milieu extrême. Moi ça n'a pas été mon cas. Et pourtant je n'ai pas pu lâcher la manette sitôt le titre lancé. Je n'ai pas joué au truc, je l'ai vécu, subi, en immersion. Tout est fait pour : la vue à la première personne (comme dans Titan Chaser), la clé à tourner pour mettre le contact (comme dans Titan Chaser), la gestion du frein à main (comme dans Titan Chaser), la gestion des phares (comme dans Titan Chaser), la gestion des essuie-glaces (comme dans Titan Chaser. Notez qu'ils ne sont pas allés jusqu'à implémenter un clignotant car il aurait fallu un tutoriel à part pour expliquer au tout venant à quoi ça sert), le rétro à surveiller, la carte à consulter sur le siège passager (comme dans Titan Chaser !), sachant que quitter la route des yeux une seconde peut avoir des conséquences dramatiques, même en roulant au pas, parce qu'on ne sait jamais quand une rangée de générateurs électriques peut surgir du sol et vous griller la carrosserie (je déteste ces saloperies). Et puis bien fermer les portières aussi. A cause des arbres. Et des touristes. Ne cherchez pas, vous comprendrez sur place.
Niveau conduite, par contre, pas de souci particulier, on est plus sur du Ridge Racer que sur du Gran Turismo, les contrôles sont (très )permissifs, le bolide tient étonnamment bien la route (tant qu'il est en bon état, s'entend, car l'impact des dégâts sur la conduite est si efficacement retranscrit qu'on peut deviner les problèmes rien qu'au comportement du véhicule), mais vu ce qui nous attend sur le terrain, on ne s'en plaindra pas. Idem pour l'aspect mécanique, vous passerez près d'un tiers de votre partie à l'atelier à bricoler, réparer, installer, améliorer, mais n'espérez pas pour autant devenir un expert et économiser sur votre prochain contrôle technique : pour dévisser une portière, c'est triangle, pour réparer un moteur, deux coups de clé à molette. Malgré tout, il va vous falloir bosser. Etre astucieux. Avoir de la ressource (wink, wink). Et si après autant d'efforts, il vous reste un peu d'énergie, vous aurez l'opportunité de tuner votre véhicule comme un Jacky professionnel grâce à un large panel d'accessoires étranges et d'autocollants personnalisés (dont la plupart arracheront quelques grimaces à ceux que le progressisme Twitter incommode, vous êtes prévenus, d'autant qu'ils sont anachroniques puisque l'intrigue est supposée se dérouler en 1995. J'ai découvert ainsi le drapeau des neutrois, et me suis demandé ce qu'ils avaient pu faire de mal pour mériter pareil blason).
Au-delà, le cœur de l'expérience, son moteur véritable, tient à sa courbe d'apprentissage. Vous allez devoir apprendre les règles de la zone, et vous apprendrez celles-ci à la dure, à vos dépends, vous râlerez (très fort), vous pesterez (beaucoup), vous insulterez (de façon imaginative et colorée. N'oubliez pas d'aller vous laver la bouche au savon ensuite), vous lancerez la manette dans la mesure de vos capacités physiques tout en vous demandant pourquoi vous n'avez pas attendu la sortie de la version physique pour pouvoir revendre celle-ci sur Vinted ; et je pourrais vous faire gagner du temps, c'est sûr, vous faire la liste des bons et des mauvais réflexes, vous gagneriez dix heures et 70 balles de manette, seulement ce serait vous priver de l'aspect le plus intéressant (même si le plus frustrant) de l'aventure, avec sa propension à vous débloquer le transit intestinal : la découverte méthodique de l'environnement et de ses mécaniques, pour parvenir à moyen terme « à réduire raisonnablement le facteur risque pour maximiser le rendement de nos excursions en plein air » - lesquelles à tout moment peuvent tourner au désastre. Ce sont plusieurs dizaines de paramètres qu'il vous faudra comprendre et maîtriser pour être le roi du monde (ou défaut : cesser de lui servir de punching ball), à plus forte raison si comme moi vous ne lisez pas les tutos parce que ça vous gonfle. De gré ou de force, ça finira par rentrer, un fail après l'autre, vous deviendrez des spécialistes, la zone n'aura plus de secret pour vous, vous y serez comme un poisson dans l'eau (notez que je n'ai pas dit quel poisson, ni quelle eau. Tout est relatif). Et même : vous finirez par la quitter à contrecœur. Si toutefois vous y parvenez.
Tracé en ligne droite, le trajet se bouclerait en douze heures. Je l'ai terminé en 38, avec pas mal d'escales et de détours, certains volontaires, d'autres moins, ponctués de pas mal de "P*tain de m*rde !" aussi longtemps que je me suis obstiné à "jouer roleplay" (à savoir la moitié du run), au point de me demander pourquoi je m'entêtais à y revenir sans cesse alors que je n'y prenais aucun plaisir et que le jeu se foutait de ma poire. Mais c'était comme une drogue : « allez, encore un petit trajet, après j'arrête, allez non, disons deux, juste pour récupérer un peu de cuivre et des produits chimiques, après j'éteins et haaaaa p*tain de m*rde, pas le fossé ! ». Puis j'ai lâché un peu de mon jusqu'au boutisme, cessé de jouer à l'instinct pour mieux planifier mes sorties, amélioré sensiblement mon véhicule et pris mes marques. J'étais ici chez moi. Ou disons que je n'y n'étais pas pire que dans la vraie vie, si tant est qu'elle le soit. Aussi est-ce avec un regard en arrière empli de nostalgie, déjà (on y revient), que j'ai quitté les pistes sinueuses de la Zone d'Isolement Olympique, non sans me promettre, non sans lui promettre, d'y revenir de temps en temps pour compléter tel ou tel parcours laissé en suspens. Malgré ces trente huit heures, il me reste des anomalies à découvrir, des conditions surnaturelles à expérimenter, la moitié des améliorations à développer et des camions entiers de documents à dénicher pour approfondir le lore, qu'ils soient audios ou écrits, plutôt bien tournés dans l'ensemble et intéressants juste ce qu'il faut, même si sans doute trop sages et convenus compte tenu du contexte. Une expérience scientifique révolutionnaire qui tourne mal. Le loop qui s'étend, en somme. On serait en droit d'attendre mieux, même si ça fait le taf.
C'est peut-être le seul vrai reproche qu'on peut adresser à Pacific Drive : le fait de manquer de folie dans sa folie, de rester sage, scolaire, plutôt que d'aller au bout de ses ambitions surréalistes. On aurait aimé plus d'audaces dans le scénario, plus de secrets à découvrir, plus de missions scénarisées, et puis des easter eggs, surtout, plein d'easter eggs partout, des événements scriptés dont on se serait demandé si on aurait bien vu ou si on les aurait imaginés : on nous parle de Bigfoot, d’hôtels mystérieux qui mangent les gens, de portes plantées au milieu de nulle part qu'il ne faut pas approcher, mais on ne les verra jamais (?) faute de budget (ou bien tomberais-je accidentellement dessus un jour ou l'autre ?! J'espère toujours, sans trop y croire). Et si la génération procédurale convient parfaitement à ce projet (une fois n'est pas coutume), sans jamais produire d'aberrations topographiques problématiques (aucune forêt ne vous bloquera jamais au point de vous demander de faire demi tour, et ça ce n'est pas rien), on aurait rêvé d'une carte stable à explorer progressivement, riche de mille inventions et de mille singularités sur lesquelles enquêter en parallèle - pourquoi pas quelques quêtes annexes et quelques PNJ aussi, tiens, tant qu'on y serait ?! En l'état, on l'aura, notre lot de bizarreries, et même on sera bien servi, je vous promets du rab', seulement une fois celles-ci apprivoisées, on en aurait aimé d'autres plus imprévisibles parce qu'uniques en leur genre. Le potentiel est là, il est parfaitement exploité, néanmoins il est d'une richesse telle qu'on aura l'impression de n'avoir pourtant fait que gratter la surface. De sorte qu'on en redemandera nécessairement, ingrats que nous sommes.
A ce stade, on l'aura compris : bien que n'étant pas (du tout) attiré par les jeux de survie et qu'ayant le concept de crafting en horreur, je me suis tout de même laissé embarquer de bout en bout par l'ambiance au delà du réel de ce Fast and Furious quantique et sa proposition (presque) unique en son genre, au point de supporter sans trop de peine les longues heures passées au garage à coller des rustines. Tout y est cohérent, tout y fait sens, rien n'y est superflu, renforçant l'expérience au lieu d'en diminuer l'impact.
Avec une certitude en bout de course : la Zone, beeen... c'est vraiment la zone.
Allons bon, pluie de météorites.
Et moi qui ai besoin de panneaux en acier, c'est bien ma veine.
Ils passent quoi, ce soir, à la radio ?
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le 5 mars 2024
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